La République du Congo, notre beau pays, est dans sa 63ème année de son indépendance acquise le 15 août 1960. Ainsi, il a un demi-siècle et treize ans, le Congo est entré dans le club des sexagénaires. En 63 ans, tous les Chefs d’État qui l’auront dirigé ou le dirigent, les six Présidents successifs, l’abbé Fulbert Youlou, Alphonse Massamba-Débat, le commandant Marien Ngouabi, le général de brigade Joachim Yhombi-Opango, le professeur Pascal Lissouba et le général des armées Denis Sassou-Nguesso ont eu, souvent, à prononcer, dans leurs discours, trois mots clés: unité; paix et fraternité.
Pourquoi me permettrais-je de parler du devoir de fraternité? Pour la simple raison que nous chantons, dans notre hymne national, la phrase suivante: «Oublions ce qui nous divise, soyons plus unis que jamais; vivons pour notre devise: Unité; Travail; Progrès».
Tout au long de notre indépendance, nos dirigeants, nous ont toujours demandé «d’enlever tout obstacle sur le chemin de la paix, de transcender nos égoïsmes et nos divisions, nos rancœurs et méchancetés inutiles pour la construction d’un Congo démocratique, digne de nos meilleures traditions sociales et morales animées par l’esprit de famille élargie, l’esprit de fraternité et de solidarité agissantes», ou «de jeter les bases d’un Congo nouveau, moderne, de développement, de progrès, prospère pour toutes les Congolaises et tous les Congolais, un pays de tolérance, de respect mutuel et de fraternité».
Pour consolider l’esprit de fraternité entre tous les Congolais du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, sous la présidence de M. Alphonse Massamba-Débat, l’on s’appelait «frères» au lieu de «camarades». Donc, l’un de nos devoirs est celui de la fraternité, émanation de l’unité et de l’amour fraternel qui en sont les fondements. Une loi d’amour qui doit nous unir aux autres, sans aucune distinction. Une loi qui fait appel à l’altruisme et au sens du devoir.
Mais, qu’est-ce-que le devoir? Selon le dictionnaire Larousse, le devoir est «ce que l’on doit faire et qui est défini par le système moral que l’on accepte, par la loi, par les circonstances». Quant à la fraternité, le Larousse la définit comme «le lien existant entre personnes considérées comme membres de la famille humaine». En un mot, la fraternité est le lien qui nous unit. Lorsque dans le monde ou au Congo, l’on prononce le mot «fraternité», chacun pense immédiatement aux associations des personnes. Tel est le cas des fraternités des grandes écoles, des associations religieuses, des humanistes dont la devise est, «réunir ce qui est épars» ou des «mizikis» (groupe de solidarité), etc.
La fraternité, c’est aussi le fait, pour les hommes, d’être frères, nés d’une même mère ou d’un même père. Elle traduit, donc, la double relation, comme les axes d’un plan: l’axe vertical de la relation filiale et l’axe horizontal de la relation d’égalité entre les fils.
La fraternité est aussi l’expression du lien moral qui unit une fratrie. Étymologiquement, le sens originel du mot fraternité vient du mot latin «fraternitas», qui fait référence à la relation entre frères. Voilà pour le sens strict.
Fraternité ou modèle du vivre-ensemble
Au-delà de la consanguinité, le sens de la fraternité s’est étendu. Dans son extension, la fraternité est devenue un modèle de vivre-ensemble. Elle représente un lien entre peuples. La fraternité désigne, alors, le sentiment profond de ce lien et comporte une dimension effective. Ainsi donc, la fraternité peut avoir un sens plus ou moins large. L’on peut parler de fraternité pour une fratrie ou de la fraternité d’armes qui unit des combattants, par exemple les A.e.t (Anciens enfants de troupe) chez nous, ou, dans son sens le plus large, de fraternité universelle qui s’exprime notamment dans l’idéal philosophique du cosmopolitisme.
Le concept est d’une richesse si importante qu’il est utilisé dans le premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité». Ainsi, nous, les êtres humains, avons un devoir de fraternité. Et cette fraternité doit être universelle, c’est-à-dire que les droits et les libertés que nous avons à notre actif, doivent être transmis. Nous les tenons des personnes qui ont vécu avant nous et nous nous devons de les transmettre et de faire en sorte que l’avenir ne soit plus incertain pour ceux qui nous suivront. Pour ceux-ci, je suis convaincu qu’il s’agit d’un avenir radieux possible, à long terme. C’est donc dans cet esprit que la fraternité nous pousse à avoir ce regard génératif, car nous avons hérité de la terre; nous la travaillons, nous la modelons actuellement et nous devons faire en sorte qu’elle soit un lieu de vie possible pour les générations futures. Il y aurait ici beaucoup à dire… La fraternité doit aussi être qualitative, en se préoccupant de droits fondamentaux tels que le droit à l’éducation, au travail, à la santé et à l’expression des libertés individuelles dont découle l’épanouissement.
Faire don de soi
Enfin, la fraternité implique le devoir d’humanisme pour lequel elle se résout, en somme, en une simple égalité. Elle est le devoir de tout homme de faire un don de soi, pour l’amélioration de l’humanité. Et comme disait le philosophe chinois, Confucius, «il faut placer avant tout le devoir et ne mettre qu’au second plan, le fruit de ce que l’on obtient». Ou, pour paraphraser Bossuet, «Dieu a établi la fraternité des hommes, en les faisant tous naître d’un seul qui, pour cela, est leur commun».
Comme le remarque aussi Jean Verdun, «la fraternité se nourrit rarement d’idées communes». Elle ignore les catégories et les origines sociales; elle écarte les archétypes humains; elle oublie les idéaux, les principes, les valeurs, pour accepter l’autre tel qu’il est et quels que soient sa condition, ses parangons et ses convictions.
De son côté, Montaigne définissait ainsi «l’honnête homme»: «C’est un homme mêlé, c’est-à-dire mêlé aux autres, aussi à l’aise avec le paysan qu’avec l’aristocrate, capable de converser dans le jargon de l’illettré comme dans le sabir de l’érudit».
Dans un groupe, la reconnaissance des différences signale l’identité. Or cette reconnaissance s’établit non seulement dans la réciprocité de la condition humaine, mais aussi dans le respect des diversités, dans l’écoute des autres, la rencontre avec les autres et la tolérance à l’égard de leurs idées.
Difficile à vivre
Le devoir de fraternité est difficile à vivre, parce qu’il est paradoxal: s’écartant autant de l’égoïsme forcené que de l’allocentrisme béat, il interagit entre le respect de soi et l’amour des autres. Il aspire à l’estime de ceux que l’on aime, pour éloigner de l’attachement à soi-même. Il ouvre sur la voie de l’humanisme, pour donner un but à l’humanité.
Parce que j’ai fait de mon frère que j’ai rencontré, mon égal, parce que par équité j’ai reconnu sa différence et parce que je suis libre d’y inscrire par choix délibéré et j’assume, parce qu’enfin je me suis imposé ce devoir de fraternité qui, à défaut du sang, m’unit indissolublement à lui par l’esprit et par le cœur, alors, je peux revendiquer la même chose de lui: un droit à la fraternité envers moi.
Les Congolais se doivent un grand devoir: s’aimer
En résumé, le Congolais a le devoir et l’obligation d’aimer et d’aider ses compatriotes. Il leur doit assistance. C’est en général un devoir qu’il remplit avec joie. Cependant, il ne doit pas oublier que la véritable fraternité a besoin de franchise, d’amour et d’exigence. Quand des compatriotes, nos frères et sœurs, se conduisent mal, manquent à la parole donnée, se montrent durs ou égoïstes, le devoir de ceux qui sont leurs frères et sœurs, est de le leur dire et, le cas échéant, de prendre part pour leurs victimes. Être le frère d’un frère ou d’une sœur, être la sœur d’un frère ou d’une sœur, c’est être le frère ou la sœur de leur honneur. Ainsi, quand un frère ou une sœur font un acte d’honneur, nous sommes tous honorés.
Charles Péguy a écrit que «la fraternité était un devoir d’urgence». Dans un monde en plein chamboulement où les valeurs fondamentales sont mises à mal par l’individualisme forcené et le règne du paraître, les Congolais doivent jouer un rôle plein et actif de porteur de valeurs humaines qui sont les leurs et non des antivaleurs qui commencent à être légion dans notre pays.
«Quand tu es un homme en bonne santé et dans l’abondance, porte secours aux malheureux. Lorsque tu navigues le vent en poupe, porte secours aux malheureux. Lorsque, toi, tu navigues le vent en poupe, tends la main à ceux qui font naufrage. N’attends pas d’apprendre à tes dépens combien l’égoïsme est un mal et combien il est bon d’ouvrir son cœur à ceux qui sont dans le besoin. Tire leçon des malheurs d’autrui et prodigue à l’indigent ne serait-ce que les petits secours. Pour lui qui manque de tout, ce ne sera pas rien», dixit Saint Grégoire de Nazianze.
Qui dit fraternité dit aussi rencontre avec l’autre, recherche d’une relation qualitative à l’autre, source même de la tolérance; qui dit fraternité dit partage dans l’amélioration de la société humaniste dans des domaines aussi variés que l’éducation, la santé, la protection du plus faible, l’acceptation de la différence comme un enrichissement et une source de progrès, la lutte contre l’esclavagisme moderne, contre l’exclusion, le tribalisme, la misère, la violence, la pauvreté et la pensée unique. Les Congolais ont le devoir d’apporter leur pierre à la réalisation d’une humanité plus juste et plus humaine. Et ce, sans perdre le temps dans les palabres inutiles ou stériles, comme l’a écrit Guy Menga.
C’est en gardant espoir en la progression de l’humanité, en ayant foi en l’homme, confiance en son prochain, que le Congolais peut envisager une fraternité qui tende vers l’universel, car ce qu’il peut, son frère ou sa sœur le peuvent aussi. Avec Victor Hugo, j’affirme donc:
«La poésie au front lumineux est la sœur
De la clémence, étant la sœur de l’harmonie.
Elle affirme le vrai que la colère nie,
Et le vrai c’est l’espoir, le vrai c’est la bonté,
Le grand rayon de l’art c’est la fraternité».
Enfin, le devoir de la fraternité est un devoir intangible. Et comme tout devoir, il demande un effort: celui de rencontrer l’autre, d’aller vers l’autre, vers celui ou celle pour qui nous n’avons pas d’attirance et, peut-être, de l’antipathie. Le frère et la sœur qui diffèrent de moi, qui ne pensent pas comme moi et qui n’aiment pas comme moi, me montrent une voie que je ne connais pas. Ils m’enrichissent, parce qu’ils m’apprennent quelque chose. Nous devons, tous, nous rencontrer et nous frotter pour progresser; nous frotter, mais sans nous affronter. Les différences sont belles quand les divergences demeurent fraternelles. Car aucun homme n’est une île. Tout homme ne se construit que par le regard, la tendresse d’autrui. La vie ne naît que de la complémentarité, de la réciprocité. Je suis l’autre, l’autre est moi.
Mes très chers compatriotes, bon anniversaire, «Happy birthday» à l’occasion des 63 ans de l’indépendance de notre beau pays, le Congo. Oublions ce qui nous divise; soyons plus unis que jamais et vivons toujours pour notre devise: Unité; travail; progrès!
Dieudonné
ANTOINE-GANGA.