Personne ne peut contester l’initiative, pour un gouvernement, d’avoir mis en place une Caisse d’assurance maladie universelle (Camu), lorsque l’on pense au casse-tête que représente l’idée de se faire soigner dans notre pays, avec le coût exorbitant de la prise en charge et la qualité médiocre de celle-ci. Malheureusement, les bonnes intentions, sans fondement solide de base politico-économico-sociale, s’écrasent devant la réalité du pays. Une idée initiée depuis 2008 et finalement concrétisée par la loi n°12-2015 du 31 août 2015 qui crée la Caisse d’assurance maladie universelle.
D’après le gouvernement, «des études ont été menées pour rendre opérationnelle la Camu. Elles ont porté sur la détermination du panier des soins de référence, les actes médicaux à prendre en compte ainsi que leur tarification conventionnée, les modalités de prise en charge des assurés sociaux, la fixation des taux de cotisation, enfin, les conditions de financement et d’équilibre du régime». A l’ordre du jour aujourd’hui, la Camu ne semble pas une idée bien claire chez beaucoup de citoyen et le système sanitaire national, avec ses difficultés, ne peut garantir un bon fonctionnement du régime d’assurance.
En effet, la création de cette structure devrait permettre aux plus défavorisés d’accéder aux soins de santé et de se soigner à moindre coût, dans les différentes structures sanitaires du pays. Mais, cela suppose une organisation, pour ne pas dire des structures de soins de santé dignes de ce nom, en termes de qualité et de quantité. Cela vaut tant pour le secteur public que pour le secteur privé. D’où la nécessité d’une réorganisation de ces deux secteurs de santé dans le pays.
Selon l’enquête congolaise sur les ménages (Ecom), l’incidence de la pauvreté était de 46.5% en 2011, c’est-à-dire que la pauvreté touchait près de 1,9 million de personnes au Congo-Brazzaville. Ces personnes vivent avec moins de 994 francs Cfa par jour. Donc, impossible pour ces compatriotes pauvres de se faire soigner ou d’accéder aux services de santé de base.
Et pourtant, c’est sur cette frange de la population que les pouvoirs publics doivent concentrer leurs efforts en matière de sécurité sociale. D’après l’O.i.t (Organisation internationale du travail), 80 à 85% de la population congolaise ne bénéficie d’aucune couverture sociale et les risques sociaux majeurs, tels que la maladie et le chômage, ne sont pas suffisamment, sinon pas du tout couverts par le système de sécurité sociale actuel. Voilà pourquoi l’estimation d’une contribution même estimée à 1000 francs Cfa par mois et par personne restera élevée pour les plus démunis et constitue un obstacle pour la prise en charge des assurés sociaux et pour la pérennité de ce système.
L’étude de faisabilité, menée de juin 2007 à janvier 2009, par le Cabinet Imeda, sur le système de soins et la couverture maladie au Congo, a estimé à 116 milliards de francs Cfa, le besoin annuel de financement de l’assurance maladie universelle, au bout de la cinquième année suivant le démarrage du régime. Ce qui pourra représenter environ 3% du P.i.b (Produit intérieur brut). On a là une idée globale et macroscopique du coût du système.
On voit bien que le système reposera, en grande partie, sur l’Etat, avec un risque énorme d’aggravation du déficit budgétaire incompatible devenant ainsi un obstacle pour l’avenir de la Camu. Si la participation de l’Etat repose sur les revenus du pétrole, le risque que le système emphatise est bien réel. D’où la nécessité de sources de financements à identifier. La contribution des grosses fortunes, puisque nous avons au Congo des milliardaires, serait d’un grand secours.
Comme mentionner dès le début, l’insuffisance des infrastructures sanitaires aggravée par la qualité problématique des plateaux techniques, malgré des sommes englouties dans le système sanitaire, ne pourra pas répondre à la demande générée par la mise en place de la Camu. Toutefois, selon l’O.m.s (Organisation mondiale de la santé), le Congo dispose d’un médecin pour dix mille habitants, contre 3,2 médecins pour mille habitants dans les pays de l’O.c.d.e. Par conséquent, le Congo dispose de moins de deux lits pour mille habitants, soit 16 lits pour dix mille habitants. On voit bien que cette volonté politique de venir en aide aux plus démunis va se heurter à une insuffisance de l’offre sanitaire, tant quantitativement que qualitativement.
Le plus dure est à venir
Si l’on se réfère au classement de l’O.n.g Transparency international, sur la perception de la corruption, le Congo occupait une position peu enviable de 154ème place sur un total de 177 pays. Voilà pourquoi la gestion rigoureuse et efficace de la Camu risque de poser problème et restera un défi majeur à relever. En effet, il s’agit là des cotisations et leur bonne gestion sera le gage de réussite et de pérennité de la Camu. Malheureusement, l’absence de maîtrise du problème de la corruption et l’utilisation des ressources issues des cotisations pour financer des dépenses publiques sans aucun lien avec la Camu ne laissera aucune chance au système de solidarité mis en place dans le domaine de la santé.
Au lieu d’un copier-coller avec des systèmes occidentaux dont la rigueur et la gestion de leurs systèmes de soins n’est plus à démontrer, et peut être pas comparable et adapté à notre pays, une réflexion locale de tous les acteurs médico-sociaux et les politiques s’avère nécessaire. Pour construire un système d’aide aux plus démunis dans notre pays semble plus adapter et plus efficace. Les tentatives de mise en place de la Camu dans notre continent ont donné des résultats loin des ambitions de départ. L’exemple du Nigeria avec moins de 30% d’adhésions en dit long.
Nous avons, là, la chance de proposer une alternative de ce qui se fait en Occident, pour éviter les dérives de surconsommation (possible), d’explosion des dépenses. Rien ne peut se faire sans une réforme du système de santé de notre pays. La place de l’hôpital public et ses missions; la place de l’hôpital et de la clinique privés et leurs missions, car la concurrence entre les deux systèmes doit être saine, pour devenir un levier permettant l’accès, sans encombre, aux soins de santé par les populations démunies. Une gouvernance plus saine des institutions, la lutte contre la corruption devenues un sport national dans notre pays sont les conditions sine qua non pour la réussite de la mise en place d’une caisse d’assurance maladie universelle. Bouteille à moitié vide ou projet mort-né, en attendant, la population trinque.
Dr Diaz Patrice
BADILA KOUENDOLO
Chef de pôle chef de service
de Gériatrie;
Hôtel Dieu Le Creusot groupe SOS France;
Expert en Gestion et Politique de Santé.