La République du Congo a subi l’humiliation de voir son avion présidentiel être saisi en France, par un huissier de justice et bradé aux enchères trois ans plus tard, sans que les protestations du gouvernement congolais ne parviennent à y changer quelque chose. C’est l’affaire Commisimpex, du nom d’une société créée à Brazzaville dans les années 80 par un homme d’affaires libanais, qui réclame aujourd’hui à l’Etat congolais de lui verser 1,5 milliard d’euros (près de mille milliards de francs Cfa), au terme de sentences arbitrales rendues le 3 décembre 2000 et le 21 janvier 2013, par la Cour internationale d’arbitrage de la C.c.i (Chambre de commerce internationale) de Paris (France). Mais, comment en est-on arrivé là?
C’est la question qui taraude l’esprit au regard de cette affaire partie de 22 milliards de francs Cfa en 1992 et qui, en 2023, a atteint la somme vertigineuse de près de mille milliards de francs Cfa. De notre point de vue, la corruption, côté congolais, a créé les conditions d’aggravation de cette affaire qui empoisonne dorénavant la vie de l’Etat congolais, obligé veiller à ses transactions financières internationales et à ses biens, au risque de les voir être choppés par les avocats de Commisimpex.
Société anonyme de droit congolais, Commisimpex (Commissions import export), a toujours soutenu que pendant la période allant de 1982 à 1986, elle fut adjudicataire de plusieurs marchés de travaux publics et de fournitures d’équipements qu’elle avait pré-financés, dans le cadre du Plan quinquennal initié par le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso. Avec la crise économique née de la chute du prix du baril de pétrole, à partir de 1985, le Plan quinquennal glissa et le Congo n’arrivait plus à payer ses fournisseurs. Commisimpex avait obtenu des billets à ordre émis par la C.c.a (Caisse congolaise d’amortissement) au titre des travaux réalisés à ses propres frais.
Le 14 octobre 1992, un protocole d’accord est conclu entre le gouvernement du Président Pascal Lissouba et la société Commisimpex, pour établir les modalités de règlement des sommes restantes dues, fixées à un total d’environ 22 milliards de francs Cfa. Déjà à l’époque, ce montant est soupçonné d’avoir été surévalué. Le ministre en charge des finances, feu Moungounga Nkombo Nguila, qui signa pourtant ce protocole d’accord au nom du gouvernement congolais, ne le mit pas à exécution, surtout que le patron de Commisimpex, Mohsen Hojeij, était considéré comme un proche de celui qui était alors l’ancien Président de la République, Denis Sassou-Nguesso. Ce dernier, allié du Président Pascal Lissouba qu’il avait soutenu au deuxième tour de l’élection présidentielle d’août 1992, face à Bernard Bakana Kolélas, venait de basculer à l’opposition. Ayant contesté le nombre de ministres réservé à son parti, le P.c.t (Parti congolais du travail), dans le gouvernement du Premier ministre Stéphane Maurice Bongho-Nouarra (7 septembre – 25 décembre 1992), suivant l’accord «pour gouverner ensemble» signé avec l’U.pa.d.s (Union panafricaine pour la démocratie sociale) de Pascal Lissouba, il rejoint en effet Bernard Bakana Kolélas, le leader du M.c.d.d.i, à l’opposition. Dans ce contexte de crise politique profonde, Mohsen Hojeij se voit d’ailleurs obligé de quitter le Congo.
Revenu aux affaires, le Président Denis Sassou-Nguesso retrouve le contentieux de son ami qui peut, enfin, retourner au Congo. Malheureusement, le pays est sorti exsangue de la guerre de 1997 et ne peut, pour l’instant, faire face à la dette intérieure, au regard des urgences de reconstruction nationale. Mais, Mohsen Hojeij est impatient, il veut son argent. N’arrivant pas à se faire payer, mais ayant les lettres d’engagement que le gouvernement lui avait remises le 3 mars 1993, dans lesquelles la République du Congo renonçait «définitivement et irrévocablement à invoquer, dans le cadre du règlement» de cette affaire, «toute immunité de juridiction ainsi que toute immunité d’exécution», il saisit, le 13 mars 1998, conformément à l’accord du 14 octobre 1992, le Tribunal arbitral de la C.c.i (Chambre de commerce internationale) de Paris qui, le 3 décembre 2000, condamne la République du Congo et la Caisse congolaise d’amortissement, à lui payer au total 107 millions de dollars Us (environ 66,6 milliards de francs Cfa).
En septembre 2001, l’affaire va rebondir au Tribunal du commerce de Brazzaville. Se basant sur la sentence arbitrale de Paris, le Tribunal du commerce de Brazzaville, saisi par Commisimpex, rend deux ordonnances condamnant l’Etat congolais à payer les montants qui lui sont dus, majorés des intérêts. Le Congo fait appel puis se pourvoit en cassation devant la Cour suprême qui, rendant son arrêt dans cette affaire, en juin 2003, confirme la sentence du Tribunal arbitral de Paris prise le 3 décembre 2000. Cette sentence est assortie d’une majoration de 10,5% du montant total par année de retard. Cette même disposition est d’ailleurs contenue dans le protocole d’accord du 14 octobre 1992.
Malgré le fait que sa propre juridiction l’a condamné à payer, le gouvernement ne s’exécute pas. Durant cette période, le ministre en charge des finances n’est autre que Mathias Dzon. Lorsqu’il quitte le gouvernement en août 2002, remplacé par l’intraitable Roger Rigobert Andély, le Congo amorce une procédure de règlement à l’amiable du contentieux Commisimpex, pour éviter la sentence du Tribunal arbitral de Paris, confirmée par la Cour suprême du Congo. C’est là où les choses se gâtent de plus bel.
En effet, le 23 août 2003, deux représentants de la Présidence de la République, le secrétaire général, feu Gabriel Longobé, et le secrétaire général du C.n.s (Conseil national de sécurité), Jean Dominique Okemba, conseiller spécial du Chef de l’Etat, signent, pour le compte du Congo, avec le patron de Commisimpex, un protocole d’accord qui établit la dette du Congo à un montant total de 48 milliards de francs Cfa, au lieu de 22 milliards de francs Cfa, conformément au protocole d’accord du 14 octobre 1992.
Fait curieux, dans le pourvoi en cassation introduit à Paris, le 14 octobre 2014, contre la deuxième sentence rendue par le Tribunal arbitral de Paris, le 21 janvier 2013, les avocats du Congo attaquent le protocole d’accord du 23 août 2003 comme ayant été entaché de corruption et qu’il serait basée sur une mystérieuse lettre adressée par le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, au patron de Commisimpex, mais qui serait un faux document.
Pour eux, cet accord de 2003 matérialisait un détournement de fonds publics facilité par la corruption et le trafic d’influence, établis par un faisceau d’indices dont le Tribunal arbitral de Paris aurait pu tenir compte. Le directeur général de la Caisse congolaise d’amortissement aurait même exposé, dans son attestation au Tribunal arbitral, les manœuvres auxquelles s’était livrée la société Commisimpex pour arriver à ses fins, en parlant des pressions qu’il aurait subies «pour ne pas contester en justice les décisions favorables à Commisimpex par lesquelles les tribunaux de Brazzaville entérinaient, à tort, le rapport du Cabinet Ernst & Young». Ce qui est vrai. Mais, le Tribunal arbitral de Paris ne va pas retenir ces accusations de corruption, tout simplement parce que personne n’avait été poursuivi ni condamné au Congo pour ces faits de corruption, relevés par la partie congolaise. Même si le pays a instauré une politique de lutte contre la corruption, il est rare de voir une personne être poursuivie et condamnée pour délit de corruption dans les tribunaux congolais. Voilà comment le Congo se retrouve condamné dans la deuxième sentence rendue le 21 janvier 2013 par le Tribunal arbitral de Paris et qui a fait exploser la dette du Congo envers Commisimpex à 1,5 milliard d’euros (près de mille milliards de francs Cfa).
Il est vrai que l’espoir du Congo réside dorénavant dans le recours introduit en octobre 2021, au P.n.f (Parquet national financier), pour attaquer la sentence de 2013. A la suite de ce recours, le P.n.f a ouvert une information judiciaire sur les chefs de corruption active et passive, contre Commisimpex. Dans une prochaine édition, nous allons analyser pourquoi le Congo n’a jamais daigné verser un seul rond pour rembourser sa dette à Commisimpex.
Jean-Clotaire DIATOU