Commentaire

Est-ce le requiem pour les institutions d’appui démocratique au Congo?

La crise financière que connaît l’Etat congolais, cette année, n’est pas sans conséquence sur la vie des institutions constitutionnelles nationales, comme on le constate dans certains secteurs de l’administration publique (santé, éducation…). Si les institutions dites de souveraineté (Présidence de la République, gouvernement et parlement) ont parfois des ballons d’oxygène pour tenir, les institutions d’appui démocratique et les autres sont presque dans l’asphyxie. L’activité y est en berne. Et pour cause, elles sont dans leur cinquième mois d’affilé sans rémunération. Et comme à leur niveau les revendications sociales n’existent pas, on a l’impression qu’on a entamé le requiem pour elles. Surtout que certaines voix dans l’opinion laissent entendre que la réduction du train de vie de l’Etat passe par la suppression de certaines institutions considérées comme inutiles.

Pour garantir le fonctionnement démocratique de l’Etat et surtout éviter les abus de pouvoir, suivant le principe philosophique de Montesquieu, penseur français du 18ème siècle, «seul le pouvoir arrête le pouvoir», le paysage institutionnel a été doté d’institutions constitutionnelles d’appui à la démocratie. La séparation des pouvoirs et le suffrage universel sont évidemment les deux autres fondements principaux des démocraties contemporaines.
Ainsi, à côté des institutions de souveraineté que sont la Présidence de la République, le gouvernement, le parlement, la Cour suprême (Pouvoir judiciaire), et la Cour constitutionnelle, il y a les institutions d’appui à la démocratie. En première catégorie chez nous, on trouve: la Cour des comptes et de discipline budgétaire; la Haute cour de justice; le Conseil économique, social et environnementale; le médiateur de la République; la Commission nationale des droits de l’homme et le Conseil supérieur de la liberté de communication.
En deuxième catégorie, il y a le Conseil national du dialogue et les cinq Conseil consultatifs (Sage, femmes, personnes handicapées, jeunes et société civile). En dernière catégorie, il y a les pouvoirs locaux (Conseils départementaux et mairies).
Toutes ces institutions constitutionnelles, chacune suivant ses missions et son champ d’actions, participent ainsi au fonctionnement démocratique de l’Etat, en matière d’exercice des pouvoirs publics. Ce n’est donc pas un luxe voulu par le législateur congolais,  mais une exigence des principes démocratiques universellement reconnus, auxquels le Congo ne peut se soustraire. Et tout cela a un prix, que l’Etat est tenu d’intégrer dans ses charges.
A partir de là, peut-on penser que les charges de fonctionnement des institutions constitutionnelles d’appui à la démocratie grèvent le budget de l’Etat? L’existence de ces institutions est-elle déterminante dans l’accélération du train de vie de l’Etat? Il est clair que le niveau de rémunération dans les institutions de souveraineté paraît nettement plus avantageux que dans les institutions des autres catégories. Encore que, de manière générale, on peut dire sans risque de se tromper que ce ne sont pas les rémunérations qui grèvent les budgets, plutôt les dépenses annexes liées aux missions, évacuations sanitaires, cérémonies, véhicules de luxe, etc.
Si le Premier ministre chef du gouvernement a pris la décision de suspendre les missions des ministres à l’étranger jusqu’à la fin de l’année, c’est parce que ce chapitre est grevant pour le budget de l’Etat. Lorsque le Président de la République fait une visite d’Etat où il est accompagné d’une délégation de 72 personnes, exclusivement des membres de son cabinet, des fonctionnaires et des proches, comment ne pas y percevoir des dépenses de nature à grever le budget de l’Etat?
L’autre aspect qui a mis le Congo en difficulté financière, ce sont les investissements des grands travaux dans les années 2010. Avec sa manne pétrolière, le pays a vu tellement grand qu’il s’est endetté à tout va pour réaliser de grands projets comme le Complexe sportif de Kintélé, au point de compromettre son propre avenir. Il s’est même vu en pays émergent à l’horizon 2025, oubliant que la forte croissance de son économie à l’époque n’était qu’un effet induit par la manne pétrolière. Il a suffi que les prix du pétrole chutent à partir de juin 2014, pour que la capacité de remboursement s’effondre. C’est ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui, où le pays n’est même plus capable d’organiser le service de ramassage des ordures dans ses villes, alors qu’on est bientôt dans l’année de l’émergence.
Et, on ne le dira jamais assez, le pays est aussi victime de la propension des anti-valeurs au niveau de ses élites dirigeantes, malgré les discours officiels et les structures mises en place pour lutter contre. L’enrichissement illicite ou sans cause est devenu une culture. Ce qui fait le plus mal aux Congolais, c’est de voir que ce sont les cadres proches des chefs et les chefs eux-mêmes qui brillent par cette culture. Au plan éthique et de justice sociale, on est tombé très bas. Le principe de la redistribution équitable du fruit de la Nation est simplement compromis.
Réduire le train de vie de l’Etat revient donc à, tout d’abord, remporter la bataille de la lutte contre les anti-valeurs et à être, ensuite, parcimonieux et raisonnable dans les dépenses budgétaires relatives au fonctionnement des institutions, surtout en ce qui concerne les missions, la taille des délégations, les cérémonies, la qualité des véhicules achetés avec l’argent public, etc. Mais, les institutions constitutionnelles d’appui à la démocratie, telles qu’elles existent, ne constituent pas un facteur d’aggravation du train de vie de l’Etat. Il ne faut pas en faire le bouc émissaire de la crise financière qui affecte l’Etat aujourd’hui. Donc, il ne sert pas d’entonner le requiem pour nos institutions d’appui à la démocratie, qui concourent, tant bien que mal, à la qualité de la vie démocratique dans notre pays. Il faut bien circonscrire les maux dont souffre la gestion de l’Etat, pour y apporter des remèdes adéquats.
Jean-Clotaire DIATOU

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