Lénine, mourant, laisse un message: «Il n’est pas une révolution qui n’ait renforcé le pouvoir de l’Etat». Pour analyser la culpabilité des dirigeants, André Malraux s’appuie sur son parcours: «Les Nations ont inventé bien des formes d’Etat, depuis les théocraties de l’Ancien Orient jusqu’aux Etats totalitaires; mais l’histoire des Etats faibles a toujours été celle des Nations condamnées…».
Le modèle politique post Conférence nationale souveraine est en panne: panne de ces hommes; pannes de ces institutions. Il a du mal à s’accommoder aux approches de la modernité. Il est en décalage aujourd’hui, politiquement, philosophiquement, moralement avec les exigences du peuple congolais. Ils ont volé la démocratie! La sidération de voir se dérouler le hold-up électoral ahurissant: le spectaculaire bourrage d’urnes; la falsification des listes électorales; le refus de la biométrie; le découpage électoral… Tout ça, c’est une brutalité de l’Etat qui ne dit pas mot. A la fois c’est une faiblesse de l’Etat qui est loin d’ouvrir les voies tracées de notre développement, donc de notre civilisation.
La crise politique des années 1997-1998 s’est transformée en crise sociale et sociétale. Nul ne peut nier que la société congolaise fait face à une menace rendue de plus en plus inéluctable. Dans ces temps de malentendu électoral, une relation renouvelée de confiance entre les institutions et le peuple s’impose. Le Congolais y est prêt. Il comprend l’immense traumatisme dont le pays est victime. Il faut réactiver le processus politique. La République reconnaît aux citoyens les mêmes droits et leur confère les mêmes devoirs. Les politiques, la société civile, nous devons faire de telle sorte que l’éthique républicaine se traduise concrètement au plan de la pratique électorale.
Ma conviction est que la solution est politique. Elle ne passera pas par la force. Il me paraît donc essentiel d’encourager rapidement le retour à l’entente cordiale, afin de nourrir le débat des intellectuelles venant de tous horizons. Aux acteurs politiques d’accepter leurs analyses, leurs critiques qui peuvent être contradictoires, mais sûrement complémentaires. L’intérêt de cette formule, c’est qu’elle permet une mise en perspective multidirectionnelle des problèmes.
Il faut ouvrir une nouvelle étape de la gouvernance électorale. La biométrie en est une. Faire de l’acceptation de la biométrie une cause nationale, c’est assurer aux Congolais, outre les droits garantis par la Constitution, le bénéfice d’une citoyenneté inspiré de l’esprit qui anime leur fidélité à la plus féconde confiance dans les qualités congolaises. C’est une grande opportunité citoyenne de remettre au cœur de la cité ceux qui tiennent à participer à la vie de la communauté nationale.
Le nouvel âge politique d’un Congo plus efficace, démocratique en dépend. L’enjeu est bien celui-là. Il est au cœur d’une cité courage préparée à porter, plus haut et plus loin, l’ambition congolaise, de façon à ce que la «forêt d’eucalyptus» plantée au sortir de la Conférence nationale souveraine ne s’accompagne pas d’un affadissement, mais d’un approfondissement, bien odorant, et d’une volonté pour pouvoir assurer toutes nos responsabilités.
Aujourd’hui, quelques jours à peine nous séparent des élections législatives. Des ruptures successives ont bouleversé l’ordre électoral: dysfonctionnements observés ici et là, révélant les mêmes gouffres; fraude organisée sur fond de montée du fanatisme, du tribalisme et de l’achat des consciences.
Bref, une organisation sans ordre, mais qui aspire à en trouver un dans l’intérêt du mieux vivre ensemble? Car notre société aujourd’hui est en quête de sens et de repères. Que reste-t-il des pensées républicaines de la Conférence nationale souveraine? La République doit affirmer le droit, elle doit élever l’individu à la dignité d’homme. Telle est la conclusion pour répandre sur le peuple qui nous entoure, la sympathie et la fraternité. Le choix est politique.
L’initiative de planter la forêt de la paix, de la réconciliation et du pardon, c’est une cérémonie qui mêle politique et réjouissances républicaines: fonder; créer; produire; ce sont là les éléments qui peuvent éclairer les conséquences de ce malentendu électoral qui ne cesse de réveiller les vieux démons. Le pouvoir politique, quel qu’il soit, s’émanciperait à admettre les critiques, mais de surcroit, il s’agit de les écouter pour changer ce qui ne va pas. Le peuple ne comprend pas. Il est épuisé. Pourquoi la cellule chargée d’organiser les élections est dans le noir? La gouvernance électorale est détournée. Instrument de construction républicaine, il est employé comme arme de destruction de la cohésion sociale. Son utilisation est inversée. Nous avons le devoir de dénoncer ces mauvais penchants qui font la faiblesse de nos institutions.
Nous savons, tous, que les élections ont été à la source de tous les malheurs de notre pays et que l’intolérance et le fanatisme ne sont pas des mots créateurs, c’est-à-dire qu’ils n’assurent pas le passage de l’archaïsme au progrès, de la violence à l’apaisement.
L’élection est devenue peu de chose, dès lors qu’elle se limite à une organisation groupusculaire d’un parti. Il faut, bien sûr, comprendre que le suffrage signifie, conformément à son étymologie: «Suffrage universel, dans lequel sont électeurs et éligibles, tous les citoyens parvenus à un certain âge et jouissant de leurs droits civiques».
Encore une fois, le gouvernement devrait coller à l’esprit du temps. Il faut mettre fin à la progressivité de la fraude électorale. Autrement, à quoi auront servi les rencontres d’Ewo, de Dolisie, de Sibiti et tout récemment d’Owando, si le gouvernement est incapable d’opérer une réversion définitive et une nouvelle marche vers l’unité et le progrès sur lesquels repose symboliquement le corpus républicain? Cette marche nous apprendra, en tant que Congolais, que, désormais, c’est la gouvernance électorale qui doit guider le politique et le citoyen.
Du coup, l’axe de gravité de la démocratie, dans notre pays, ne sera plus le copinage, la parentocratie, mais le résultat des urnes. Au nom de quelle légitimité politique un particularisme prendrait-il l’avantage sur un principe universel? A-t-on oublié ce que doit être le Congo: «Une synthèse harmonieuse de deux civilisations dont l’une plonge ses racines dans cette Afrique éternelle, massive, mais cependant si diverse… C’est pourquoi il nous est permis de dire que de nous sortira une civilisation originale digne de notre essence propre» (Fulbert Youlou)?
Joseph BADILA