Si en 1957, le Ghana a dansé «Ghana land of freedom» (Ghana, terre de liberté) de E.T Mensah, en 1960, quatorze pays africains, «anciennes colonies françaises», accèdent à la souveraineté et danse sur le rythme enlevé, endiablé, survolté de la chanson de Joseph Kabasele (Grand Kallé), intitulée: «Indépendance Tcha Tcha». De l’indépendance en 1960 à la Conférence nationale souveraine de 1991, en débouchant sur les guerres de 1997,1998, sans oublier le changement, très contesté, de la Constitution en 2015, qui a malheureusement conduit le pays droit au mur, après l’élection présidentielle de 2016, l’histoire du Congo n’est pas un fleuve tranquille. Mais, quelle lecture faisons-nous de cette histoire?
L’Afrique noire est mal partie», disait l’agronome français René Dumont, dans son ouvrage publié en 1962. En 1970, Lanciné Camara lui réplique que «l’Afrique noire est bien partie» et son ouvrage garde toute son actualité.
Après les guerres de 1997 et 1998, les Congolais ont vite compris qu’il fallait, coûte-que-coûte, tourner la page. Le pays avait pris un nouveau départ. Ce serait malhonnête de ma part de ne pas reconnaître les efforts des Congolais et du Président Sassou-Nguesso, dans le processus de paix qui a permis de relancer le pays, après la sortie de l’enfer.
L’année 2002, qui marque la sortie de la période de transition et le début du processus électoral avec l’organisation des premières élections, fut un nouveau départ pour notre vie politique, économique et socio-culturelle. Une nouvelle Constitution a été mise en place. Les élections présidentielle, législatives et locales ont vu le jour. La santé économique s’est traduite en excédents budgétaires et sur le plan sécuritaire, le pasteur Ntoumi et ses nsiloulous ont pris part au processus de paix. Tout allait bien jusque-là, malgré quelques difficultés et le laisser-aller dans le cercle des élites. «Le Congolais a tendance à vite oublier, j’emprunterais ici les propos du défunt journaliste, Mfumu Di Fua Di Sassa, dans son journal de l’époque intitulé «Libertés». Il écrit: «N’oublions pas. Rien n’est plus dangereux pour un peuple que l’amnésie (perte de mémoire) collective». Il ajoute: «Quand un peuple perd la sienne, c’est la porte ouverte à tous les dérapages».
Malgré les progrès que notre pays a réalisés entre 2002 et 2014, aujourd’hui, il y a de quoi dire que nous avons replongé, à nouveau, dans le pétrin, avec, entre autres, la gabegie financière, le népotisme, la corruption, etc, toutes ces anti-valeurs qui gangrènent la gestion publique et dont les scandales, même quand ils arrivent au niveau de la justice, restent souvent impunis. On oublie d’où l’on vient. Je n’invente rien, le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, avait lui-même, d’ailleurs, dans un message à la Nation, rappelé ces maux qui affectent sérieusement la gestion publique, en appelant ses compatriotes à la «la rupture».
Au cours du deuxième et dernier septennat du Président Denis Sassou-Nguesso, réélu en 2009, va naître l’idée de changer la Constitution du 20 janvier 2002, pour lui permettre de briguer un troisième mandat. C’est là que tout va basculer du point de vue démocratique, à cause du bras de fer que cela va provoquer avec l’opposition dont une frange était foncièrement opposée à cette idée. Le pays en est sorti avec une fracture socio-politique qu’on a du mal à ressouder jusqu’à présent, à cause du maintien en prison des dirigeants de l’opposition.
Parmi les promesses qui nourrissent d’espoir les Congolais, on peut évoquer tout récemment, celle du Président de la République de faire de 2024, une année de la jeunesse. Dans ce cadre, le gouvernement s’est engagé à créer cent mille emplois. A la place, plus que jamais, les jeunes sont confrontés au chômage massif. Ils ont le sentiment d’être abandonnés à leur triste sort, malgré les discours prometteurs qui leur sont servis à chaque rencontre officielle. Même les domaines où les jeunes excellent, à savoir la culture et le sport, ne suscitent que déception dans notre pays. Les initiatives culturelles ne sont pas soutenues, tandis que dans le sport, on voit comment les dirigeants passent leur temps à s’étriper entre eux, pour leurs propres intérêts. Le désespoir envahit le cœur des jeunes et ceux-ci sont presqu’au bord de la révolte, au regard de tout ce qu’on voit sur les réseaux sociaux.
C’est ici le lieu d’avouer que sans une économie dynamique, diversifiée, toute promesse de création d’emplois est vaine. Le gouvernement doit d’abord relever le défi de relancer l’économie nationale, aujourd’hui plombée par le déficit énergétique et la dette intérieure. Comment le gouvernement peut prétendre créer cent mille emplois, dans un contexte où l’électricité est scandaleusement déficitaire, malgré les investissements réalisés? L’économie numérique, qui est le secteur prometteur en matière d’emplois, ne dépend-elle pas de l’électricité? Nos principales villes, Brazzaville et Pointe-Noire, ne disposent pas de l’électricité suffisante pour satisfaire leurs besoins. La plupart des villes secondaires ne disposent pas de l’électricité permanente. Sauf rares exceptions, le secteur rural en est privé. En plus, le coût d’accès à l’électricité est tel que beaucoup de ménages en sont privés. Comment dans ces conditions, on peut prétendre aller à l’émergence?
Il faut que le gouvernement développe une politique devant attirer les investisseurs par des mesures incitatives. Il doit s’attacher à améliorer le climat des affaires, en mettant fin aux tracasseries administratives qui non seulement découragent les entrepreneurs économiques, mais parfois les font fuir. Les opérateurs économiques ne peuvent pas investir, parce que l’Etat leur doit beaucoup. Il faut renforcer le secteur bancaire pour qu’il soutienne les investissements au Congo. La responsabilité dont a parlé le Président de la République doit amener nos gouvernants à changer de logiciel, bref à réaliser les réformes, pour s’occuper du bien public et non privilégier leur enrichissement.
Pour conclure, il est vrai que notre pays traverse des moments difficiles et que la jeunesse est en train de perdre l’espoir, certes. Mais, ce n’est pas pour autant que nous devons nous résigner, croiser les bras et attendre un messie. Il faut continuer à lutter, démocratiquement parlant, pour que l’espoir renaisse et que les choses changent pour le bien de nos populations. L’éducation et la formation scolaire, c’est la base de tout. L’insertion dans la vie professionnelle, faire que chaque jeune formé trouve un emploi, voilà l’un des grands défis qui reste à relever. Nous devons en être conscients. 64 ans après l’indépendance, les gouvernants sont appelés à prendre leurs responsabilités, tandis que le peuple que nous sommes les attend au tournant démocratique.
Loïck MFUMU
LOUBASSA MOSSIPY