Congo

Décès à Paris, de l’écrivain et ancien Premier ministre du Congo, Henri Lopès

Homme politique congolais, diplomate et surtout écrivain, Marie Joseph Henri Lopès, plus connu sous son nom de Henri Lopès, ancien Premier ministre de la République du Congo, est né le 12 septembre 1937, à Léopoldville, alors capitale de l’ancienne colonie belge, le Congo-Léopoldville, et décédé, selon un communiqué de l’ancien ministre de la justice, Joseph Ouabari, dans la nuit du jeudi 2 novembre 2023, à l’Hôpital Foch, à Suresnes, en banlieue de Paris, en France.
Communiqué de la Primature

Henri Lopès a fait ses études primaires à Brazzaville, au Moyen-Congo (colonie française), puis à Bangui, en Centrafrique. C’est en France qu’il a poursuivi ses études secondaires, avant d’intégrer La Sorbonne pour ses études supérieures qu’il a terminées en 1963, pour devenir professeur.
Henri Lopès.
Deux ans après, en 1965, après ce qu’on appelait la «Révolution des 13, 14 et 15 août 1963» ayant provoqué la chute du régime du Président Fulbert Youlou, Henri Lopès regagne le Congo-Brazzaville, au moment où la gauche était au pouvoir, avec Alphonse Massamba-Débat comme Président de la République. Il est enseignant d’histoire à l’Ecole normale supérieure d’Afrique centrale à Brazzaville. Un an après, en 1966, il est nommé directeur général de l’enseignement.
Etant à Brazzaville, il participe au congrès fondateur du P.c.t (Parti congolais du travail) qui se tient du 29 au 31 décembre 1969, sous la direction du Président Marien Ngouabi. Ce congrès fait du Congo une République Populaire, avec l’adoption d’un nouveau drapeau et d’un nouvel hymne national d’inspiration socialiste. Mais par la suite, le nouveau régime sera secoué par de multiples crises politiques, dès la première année de son existence.
Le lieutenant Pierre Kinganga est un A.e.t (Ancien enfant de troupe à l’Ecole général Leclerc de Brazzaville), formé à l’Ecole militaire d’application de Saint-Maixent en France et à l’Ecole supérieure de commandement des troupes aéroportées de Riazan, dans l’ex-URSS, pendant un an (de 1965 à 1966). Classé comme officier de droite et surnommé Sirocco, il est proche de l’ancien Président Fulbert Youlou, exilé en Espagne. Sous le régime du Président Alphonse Massamba-Débat, Sirocco est arrêté en 1968 pour son implication dans une tentative de putsch menée par un mercenaire français appelé Jacques Debré, surnommé Debreton. Il retrouve la liberté dans la crise politique qui provoque la chute du Président Massamba-Débat. Mais, très vite, il se brouille avec le nouveau régime dirigé par le Président Marien Ngouabi et trouve refuge à Kinshasa.
L’écrivain et diplomate Henri Lopès.
Le 23 mars 1970, Sirocco tente une aventure solitaire de coup d’Etat à Brazzaville, en prenant, avec quelques jeunes, le contrôle de la radio nationale, «La Voix de la Révolution». Il y diffuse ce qui était alors l’ancien hymne national, «La Congolaise». La tentative de putsch est rapidement écrasée le jour même par l’armée et son meneur, le lieutenant Kinganga, est tuée sur les lieux de la radio. Mais, la crise politique s’installe au sein du nouveau parti unique au pouvoir, où une frange exige de plus en plus la radicalisation de la révolution, alors qu’une autre aile prêche la souplesse.
Voilà comment arrive, en février 1972, une autre tentative de coup d’Etat, cette fois fomentée par l’extrême gauche du Parti congolais du travail. Ange Diawara Farimaka est un étudiant en sciences économiques qui décide d’interrompre ses études pour s’engager en politique, un an après la «Révolution des 13,14 et 15 août 1963». Très vite, il intègre la Défense civile, qui est la garde présidentielle et la gardienne de la révolution, en s’appuyant sur la J.m.n.r (Jeunesse du Mouvement national de la révolution), dans un climat de terreur, d’arrestations et d’assassinats au petit matin.
Très vite, le Président Massamba-Débat fait de lui le chef de la Défense civile et donc le chef de sa sécurité. Quand éclate, en juillet 1968, la crise entre le Président Massamba-Débat et l’armée où se distingue le capitaine Marien Ngouabi comme chef de file de la fronde militaire, Ange Diawara bascule dans le camp des militaires. Marien Ngouabi fait de lui premier vice-président du Conseil national de la révolution, un organe de 40 membres (politiques et officiers de l’armée) mis en place le 4 août 1968, pour vider le Président de la République, Alphonse Massamba-Débat, de l’essentiel de ses pouvoirs, en faisant de lui un simple membre de cet organe. Le 4 septembre 1968, le Président Massamba-Débat démissionne officiellement de ses fonctions à la tête du pays.
Du 5 septembre au 1er janvier 1969, les fonctions de Chef d’Etat sont assurées par le commandant Alfred Raoul, suivant un Acte fondamental mis en place. Mais en réalité, c’est le capitaine Marien Ngouabi qui tient les rênes du pouvoir, appuyé entre autres, par certains officiers de l’armée dont celui qui devient le lieutenant Ange Diawara, après l’intégration des éléments de la Défense civile dans l’Armée populaire nationale.
Très populaire au sein de la jeunesse, Ange Diawara est réputé comme un homme intègre, excellent sportif d’arts martiaux et grand idéologue marxiste, proche de Claude-Ernest Ndalla, alias Ndalla Graille, et d’Edouard Ambroise Noumazalaye, qui tiennent l’aile du marxisme pur et dur au sein du P.c.t.
Après la tentative de coup d’Etat de Pierre Kinganga, Ange Diawara fait son entrée au gouvernement comme ministre du développement, chargé des eaux et forêts, formé après la tenue, du 30 mars au 1er avril 1970, du premier congrès extraordinaire du P.c.t. Mais, à cause de son activisme trop prononcé en faveur de la radicalisation de la révolution, il est évincé du gouvernement et du Conseil d’Etat, en décembre 1971. Il faut dire que les rivalités étaient grandes au sein du parti et autour du Président Ngouabi. Le 22 février 1972, Diawara revient avec une tentative de coup d’Etat, issue d’une vaste conspiration de la gauche au sein du P.c.t contre le Président Marien Ngouabi, accusé de beaucoup de maux, dont la mauvaise gouvernance et le tribalisme (Obumitri). La tentative de putsch, baptisée le M22 (Mouvement du 22 février 1972) échoue (Lire l’interview de Henri Lopès). Le Président Marien Ngouabi en profite pour procéder à une grande purge au sein de son parti, avec de multiples arrestations et des procès expéditifs. Après son maquis à Goma-Tsétsé, Diawara et treize de ses compagnons sont capturés, abattus et leurs corps exhibés au Stade de la révolution (actuel Stade Alphonse Massamba-Débat).
C’est en 1969, après la fondation du P.c.t, que Henri Lopès entre au gouvernement comme ministre de l’éducation nationale. En 1972, il devient ministre des affaires étrangères. C’est à lui que le Président Marien Ngouabi fait recours, le 28 juillet 1973, pour atténuer la crise politique issue de la tentative de coup d’Etat de 1972, pour le nommer Premier ministre. Le 18 décembre 1975, il est remplacé par Louis Sylvain Goma. Henri Lopès va revenir au gouvernement comme ministre des finances de 1977 à 1980, malgré le changement de régime qui intervient après l’assassinat du Président Marien Ngouabi et le renversement du C.m.p (Comité militaire du parti), dirigé par le général Jacques Joachim Yhomby Opango. Puis, il quitte le Congo pour travailler à l’Unesco, à Paris, où il devient, à partir de 1982, directeur général adjoint, jusqu’en 1998. Il retrouve la politique congolaise, cette année-là, avec sa nomination comme ambassadeur du Congo en France.
«Ce dont j’ai peur, c’est le passage de la vie à la mort, parce qu’arrivé au grand âge qui est le mien, on sait que c’est une question très proche. Donc, on s’arme, pour ne plus avoir peur. Mais, on se demande, au moment du passage, quelle tête on va faire». (Henri Lopès, sur Rfi)
En 2002, il fut le candidat de la République du Congo, soutenu par le Président Denis Sassou-Nguesso, au poste de secrétaire général de l’O.i.f (Organisation internationale de la Francophonie) contre l’ancien Président sénégalais, Abdou Diouf, soutenu par le Président français Jacques Chirac,  pourtant ami du Président congolais.
En novembre 2014, lors du sommet de l’O.i.f à Dakar, toujours soutenu par le Président de la République, Henri Lopès est de nouveau candidat au même poste, pour succéder cette fois à Abdou Diouf. Mais, une fois encore, la France, cette fois avec le Président François Hollande, qui n’est pas l’ami de Denis Sassou-Nguesso, même s’il lui donnera un coup de pouce plus tard, fait pencher la balance en faveur de la Canadienne d’origine haïtienne, Michaëlle Jean. Deux échecs qui auront marqué la vie de l’homme d’Etat congolais, mais qui n’enlèveront en rien sa grandeur d’écrivain et d’homme d’Etat congolais. En 2015, il prend sa retraite et est remplacé par Rodolphe Adada comme ambassadeur du Congo à Paris. Très proche du Président Denis Sassou-Nguesso, Henri Lopès est un grand pan de l’histoire du Congo qui s’en est allé.
Jean-Clotaire DIATOU

 

Entretien de François Onday Akiéra avec Henri Lopès

Il y a 48 ans, la tentative de coup d’Etat du 22 février 1972 à Brazzaville

Pour se remémorer l’histoire, voici comment le quotidien français, «Le Monde», rendait compte des événements qui venaient de se produire à Brazzaville, le mardi 22 février 1972, dans son édition du 24 février 1972, sous la plume du journaliste Philippe Decraene: «Après l’échec du coup d’Etat de mardi, le Président Ngouabi contrôle la situation à Brazzaville. Neuf ans d’instabilité».
Brazzaville (A.F.P., Reuter).  Après vingt-quatre heures de confusion, le calme règne dans la capitale congolaise où le commandant Marien Ngouabi, Chef de l’État, contrôle la situation. La population semble d’ailleurs être restée totalement à l’écart de la tentative de coup d’État perpétrée mardi 22 février.
Dans une déclaration écrite distribuée à Brazzaville, le commandant Joachim Yhombi-Opango, chef d’Etat-major général de l’armée, auquel on avait tout d’abord attribué la paternité de la tentative de coup d’État, dément «qu’il ait l’intention de s’emparer du pouvoir». Il assure que ce sont «quelques éléments» du premier bataillon d’infanterie, commandés par le lieutenant Ange Diawara, qui se sont rendus maîtres de la station de radiodiffusion nationale, «La Voix de la Révolution», qu’ils contrôlaient toujours mardi en fin de matinée.
Le commandant Yhombi-Opango a annoncé, «au nom du Président Marien Ngouabi», que le lieutenant Diawara était en fuite. Le chef d’état-major général de l’armée a ajouté que «des officiers félons et leurs laquais» avaient été «mis en état d’arrestation ou neutralisés». D’autre part, le commandant Ngouabi, qui se trouvait à Pointe-Noire au moment du coup d’État manqué, a regagné Brazzaville. Dans un message radiodiffusé mardi en fin d’après-midi, le Chef de l’État a confirmé que «les éléments ambitieux et assoiffés de pouvoir», auteurs de la tentative de coup d’État, étaient «en déroute». Beaucoup ont été arrêtés, a-t-il précisé, «d’autres, malheureusement, sont actuellement en fuite». Enfin, le Chef de l’État a lancé un appel pressant à ces «éléments», pour qu’ils se rendent, car «leur cause est perdue». De nombreuses arrestations ont été opérées. M. Bernard Kombo-Matsiona, ancien président de l’Union de la jeunesse socialiste congolaise, et le lieutenant Matessa, ancien commissaire du gouvernement, se trouveraient parmi les personnes appréhendées». (Fin)
Henri Lopès.
Dans un entretien avec Henri Lopès, homme politique, écrivain, ancien Premier ministre et ancien ambassadeur du Congo en France, qui fut à l’époque des faits, ministre des affaires étrangères, raconte comment il avait été arrêté par les insurgés, alors qu’au départ, il ne savait pas ce qui se passait, durant la journée du mardi 22 février 1972. Avec lui, on comprend que cette tentative de coup d’Etat est la résultante des divisions au sein du Comité central du P.c.t, le parti unique qui contrôlait le pouvoir d’Etat. Cet entretien est réalisé par François Onday Akiéra, en mars 2010, à l’Hôtel Olympic palace, à Brazzaville, au moment où Henri Lopès était encore ambassadeur du Congo à Paris.
* Excellence Monsieur l’ambassadeur, je voudrais savoir dans quelles circonstances vous avez été arrêtés, ensemble avec Messieurs Pierre Nzé et Aloïse Moudileno-Massengo, tôt dans la matinée du 22 février 1972?
** Je vais essayer de faire jouer ma mémoire le plus vite possible. Le 21 février, c’est un dimanche. Le Président Ngouabi…
 * Le 21 était un lundi!
** Vous êtes sûr?
 * Oui!
** Alors, c’était un lundi férié. Je suis presque sûr que le 21 était un dimanche. Parce que j’étais à la Rivière, chez un ami camerounais qui était à l’O.m.s et je l’ai quitté pour me changer et aller saluer le Président à l’aéroport. Donc, ça c’est à vérifier. Je me souviens que c’est un dimanche que je suis allé saluer le Président à l’aéroport. Bon, bref. Là, (à l’aéroport, ndlr) je rencontre quelqu’un, je crois que c’est Pambou…
* Pambou Pierre André?
** Pierre André qui me dit: «Est-ce qu’on peut se voir après le départ du Président. Je lui réponds: «Malheureusement, je dois retourner me changer, parce que j’ai laissé ma famille à la Rivière, à Kintélé. Donc, je n’ai pas le temps». Il me dit: «C’est dommage Et puis voilà. Le lendemain matin, nous sommes réveillés très tôt, je ne me souviens plus de l’heure, si c’était 5h30 ou 6h, par une sirène.
* C’est-à-dire l’alarme?
** Nous étions habitués… Il y avait comme mot d’ordre qu’en cas de sirène, il fallait se rendre au siège d’un arrondissement. Je sors donc de chez moi. J’étais alors ministre des affaires étrangères. J’habitais à côté de l’enceinte où se trouvait logé le général angolais (derrière l’actuelle Direction générale des affaires électorale, un général angolais y vivait durant la période trouble que le Congo vient de traverser, ndlr). J’avais comme voisin, le Président Neto (Agostino Neto, ndlr). Donc, je sors de chez moi, j’étais tout seul. Je prends ma voiture…
* Une Peugeot 404?
** Oui, une Peugeot 404 qui était de couleur…
 * De couleur bordeaux!
** Oui, absolument, de couleur bordeaux. Je l’avais depuis peu de temps. J’aperçois le Président Neto qui sort, parce qu’il ne comprend pas qu’est-ce que cette sirène. Je lui dis: «Moi non plus, je n’y comprends rien… Rentrez chez vous, parce que ça peut être dangereux». Je crois que juste avant, j’avais reçu un coup de fil de Moudileno qui était ministre de la justice et vice-président du Conseil d’Etat. Moudiléno me dit: «Ecoutes, tu as entendu la sirène, qu’est-ce qu’on fait? On n’a pas d’instructions précises». Je lui dis: «Retrouvons-nous!». Il me donne rendez-vous vers la rue qui est en bas du Mess des sous-officiers. Je prends donc ma voiture. Je retrouve Moudileno à l’endroit indiqué. Et nous nous proposons de regarder ce qui se passe, en faisant un tour dans la ville. J’étais de l’arrondissement 3 Poto-Poto. Nous essayons de commencer par là. Je ne sais plus à quel endroit nous avons rencontré Pierre Nzé et Antoinette Paka. Eux aussi disent qu’ils ne savent pas non plus ce qui se passe. Je leur ai dit que ce n’était pas la peine qu’on prenne mille voitures: montons dans la mienne!
Puis, nous avons commencé à faire le tour des arrondissements de Poto-Poto, Ouenzé, Moungali. On ne trouve rien d’anormal. On passe devant la radio, on ne trouve rien d’anormal. On se dit: mais, c’est bizarre, puisque pendant les coups ou tentatives de coup d’Etat précédents, celle de Kinganga, en particulier, la première chose que les insurgés avaient prise, c’était la radio. On dit: «Bon, on va faire un tour vers Bacongo». On fait le tour de Bacongo. On commence par Makélékélé. On roule sur l’Avenue des Trois Francs et, là, on voit un barrage de miliciens, disons de militants avec Atondi (Atondi Momondjo Lecas, ndlr). Je demande à Atondi: «Qu’est-ce qui se passe. Il répond: «Je ne sais pas». On plaisante quelques instants avec lui et nous reprenons la voiture.
Arrivés au siège de l’arrondissement 2, Bacongo, nous sommes arrêtés. On nous dit de descendre de la voiture. On proteste. Nous étions des responsables politiques forts bien connus. Ils ont maintenu la sommation: «Descendez de la voiture. On descend de la voiture. On prend les armes que nous avions. L’aspirant Ndébéka, qui était un ami puisque c’était un écrivain, nous fait monter dans une jeep. Je n’ai pas le temps de m’occuper de ma voiture qui disparaît. On cherche Paka. Paka n’est plus avec nous. Elle avait profité du moment de confusion née de notre arrestation pour fuir. Comme c’était une femme, ceux qui nous arrêtaient n’avaient pas fait attention à elle et elle avait réussi à fuir.
On nous emmène d’abord à la gendarmerie. Là, je reconnais parmi les gens qui étaient à l’entrée, Noumazalay et Nzambila. On essaie de parler à Noumazalay, on ne peut pas: c’est le silence qui nous répond. On nous enferme dans une cellule. On nous dépouille de nos lacets de chaussures et de nos ceintures.
Mais, on ne reste pas longtemps. Tout de suite, on vient nous prendre. On nous met dans une voiture. Je ne me souviens plus si c’était la même voiture. Dans tous les cas, on nous embarque à Makala. Et, c’est à Makalla que je rencontre, dans la pièce où nous sommes placés, Nicodème Ekamba Elombé qui était déjà là. Il y avait une autre personne qui était avec lui dont je ne me souviens plus du nom…
* Il s’appelait Ossombo.
** Il était avec nous ou il était dans l’autre pièce?
* Dans la même pièce. On l’avait pris dans la nuit vers Ouenzé. C’était un militaire, un aspirant.
** Ah oui! Çà, j’ai oublié. Alors, on nous enferme. Et jusque-là, nous ne comprenons pas. Et je vois parmi la garde qui était chargée de nous surveiller qu’il y avait un… Ah, j’oublie son prénom… Il était de la Défense civile, en 1968.
* Le sous-lieutenant Boko?
*Quel est son prénom? Si vous me dites son prénom, je saurai!
* Je n’ai pas le document relatif à cette affaire sur moi. Cependant, j’ai pu y lire que les dirigeants arrêtés avaient été placés dans le bureau du sous-lieutenant Boko.
** Celui auquel je fais allusion avait été mon garde du corps en 1968. M’ayant reconnu, il me pose la question: «Chef, qu’est-ce qui se passe. Je réponds: «Je ne sais pas, on nous fait prisonniers!». Il dit: «Dans tous les cas, soyez tranquille, on ne vous donnera pas; nous-mêmes, on ne comprend pas ce qui se passe; on nous a donné des instructions».
Alors, en ce moment et, depuis la gendarmerie, on avait compris qu’il y en avait qui s’étaient rebellés. Mais, comment? Pourquoi? Sous la conduite de qui? On n’avait pas de radio. Rien, on n’entendait rien. Cette situation évoquait un climat, un clivage qui était apparu lors du dernier comité central entre une aile qui disait qu’il fallait être plus souple à laquelle j’appartenais et l’autre qui disait qu’il fallait radicaliser la révolution, que les responsables du comité central ne devaient pas avoir de voitures personnelles; ils ne devaient pas avoir de maisons personnelles, etc.
La présence d’Ekamba-Elombé était capitale. Il nous expliquait qu’il avait été pris la nuit. Lui avait son idée sur ce qui se passait. Il accusait les gens, il dénonçait. Et, tout d’un coup, on s’est dit: «Ben, on va essayer de téléphoner». Il y avait bien un téléphone qui était débranché. Ekamba-Elombé, qui avait travaillé aux postes, a pris le fil, a mis les deux fiches du fil dans une prise et nous avons pu téléphoner. On a donné plusieurs coups de fil. Moi, j’ai appelé ma femme en lui disant: «Votre mari, Madame, a été arrêté. Si vous pouvez toucher les autorités et dire qu’il est à tel endroit avec tel, tel, tel». C’est ainsi que ma femme a pu entrer en contact avec le général Yhomby.
* Le commandant Yhomby à cette époque
** Ah! Pardon, (rires), le commandant Yhomby! Ce dernier a rassuré ma femme, en disant qu’on va tout faire pour nous sortir de là. Nous sommes restés enfermés à Makala, pendant plus de cinq heures.
* Il était entre 15h25 et 16h, quand on vous a sortis de ce trou…
** Dans tous les cas, c’était la fin de la journée. A ce moment-là, un blindé, un B.t.r est arrivé. Il y avait dedans, Engobo, un jeune sous-lieutenant de l’entourage de Ngouabi, et d’autres dont je ne me souviens pas. Je me demande si Nzambila n’était pas là. Mais, je ne suis pas sûr. C’est alors qu’Ekamba-Elombé a choisi un, je ne me souviens plus qui, et lui a lancé: «Toi, je te connais, s’il nous arrive quelque chose, c’est toi qui porteras la responsabilité de notre mort».
Moi, je connaissais Engobo que je voyais dans l’entourage du Président Ngouabi. Je me suis dit: «Bon, je fais à priori confiance, j’espère que ce n’est pas un piège». Et, on nous a effectivement ramenés chez nous. Voilà dans quelles circonstances nous nous sommes retrouvés prisonniers à Makala. Nous appliquions une directive générale assez vague qui disait qu’en cas de coup dur, les dirigeants politiques devaient se retrouver au siège de nos arrondissements respectifs. Comme à Poto-Poto, Ouenzé et Moungali. On n’a rien trouvé d’anormal. On s’est mis à faire le tour des autres arrondissements de la ville. Et paf, nous avons été pris.
* Après, qu’est ce qui s’est passé?
** Et bien, il y a eu la déroute de ceux qui avaient tenté le coup. Il y a eu un problème. Je crois qu’il y a eu une cour martiale qui s’est réunie la nuit. Cette cour avait prononcé des peines de mort. Noumazalay avait été condamné à mort. Moundélé-Ngolo et Maxime Ndébéka pour ceux qui m’étaient proches. Ah oui, Camille Bongou aussi. C’était un coup terrible. Il y a eu une réunion du comité central. Ce qui restait du comité central. On n’était plus que la moitié du comité central; l’autre moitié se trouvait dans le putsch ou bien avait été soupçonné d’être de connivence avec ceux qui avaient organisé le coup et avaient été arrêtés après, tel le jeune Foungui qui est mort maintenant.
Au cours de cette session, le comité central s’est trouvé additionné du bureau de la Confédération syndicale congolaise (C.s.c), du bureau de l’Union de la jeunesse socialiste congolaise (U.j.s.c), du bureau de l’Union révolutionnaire des femmes congolaises (U.r.f.c), et, peut-être un groupe de militaires.
Le débat, la question posée par le Président Ngouabi était la suivante: «Voilà, il y a tant de condamnés à mort parmi lesquels l’ancien Premier ministre Noumazalay. Moi, je ne me vois pas exécutant des anciens Premiers ministres. Mais, je suis obligé d’appliquer la sentence ici retenue. Je voudrais que chacun se prononce sur ce qu’il pense de cela».
Inutile de vous dire que la majorité était pour qu’on exécute les condamnés à mort. On disait qu’il fallait que «la Révolution se radicalise y compris dans l’application des châtiments», on vociférait que c’est parce qu’«on avait fait preuve de beaucoup de mansuétude que tout cela était arrivé».
Or, un certain nombre de camarades disaient qu’ils sont contre la peine de mort pour différentes raisons. Jean-Edouard Sathoud et moi étions contre, pour des raisons de principe. On ne s’était pas consulté. C’était des réactions qui venaient comme çà. Poungui étaient aussi contre.
* Ange Edouard Poungui?
** Ange Edouard Poungui était contre aussi. Lui se sentait malheureux, parce que la plupart des gens condamnés à mort étaient soit ses anciens condisciples, soit des gens qui l’avaient formé comme Ange Diawara. Il ne comprenait pas pourquoi ils avaient fait çà. Lui se trouvait en mission au Tchad pendant la tentative de coup d’Etat. Anatole Kondo aussi était contre.
Le Président Ngouabi à la fin a dit: «S’il en ait ainsi, si la majorité pense qu’ils doivent être exécutés, on va appliquer la peine. Mais, sachez que je ne suis pas d’accord. Je suis d’accord avec ceux qui sont contre la peine de mort. Mais, je suis obligé de me plier à la loi de la majorité». Et, il a scandé la devise du parti en fondant en larmes.
Au moment où il sortait, Poungui est allé vers lui. Il (Poungui) nous a appelés. En quittant la salle, nous avons pris deux autres camarades dont l’argumentation plus douce n’était pas celle des excités. C’était Yhomby et Sassou. Nous leur avons dit: «Vous êtes des militaires, vous êtes des gens sensés. Vous avez vu la situation dans laquelle est notre Président, on ne peut pas le laisser comme çà. Nous avons collectivement une responsabilité là-dessus, il ne faut pas que les gens soient exécutés».
Est-ce Sassou, est-ce Yhomby, je ne me souviens plus. L’un deux, peut-être les deux ont dit: «Si on veut changer, il faut aller le voir tout de suite».
Et nous sommes allés à l’Etat-major. On a pu entrer. Les mesures de sécurité étaient draconiennes à l’époque. Nous avons vu le Président et nous avons développé l’argumentation suivante: «Président, vous êtes contre la peine de mort. Nous les six que voici, aussi. Vous avez dit que vous vous pliez à la majorité des camarades du Comité central et autres -les condamnés allaient être exécutés le matin suivant, à l’aube- vous avez eu déjà le courage, quand Kolélas était condamné à mort d’affronter la foule et de dire que vous, en tant que militaire, vous n’avez pas été préparé à tirer sur quelqu’un qui a rendu ses armes. Si tous ceux qui sont sur la liste des condamnés à mort sont exécutés demain, on oubliera tous ceux qui ont soutenu le vote de cette condamnation au Comité central. C’est sur vous que le sang rejaillira».
Il a dit: «Si vous êtes prêts à être autour de moi, je donne les instructions, pour les gracier». Dans notre argumentation, nous avions dit: «Président, vous n’êtes pas seulement le chef du parti, vous êtes le Chef de l’Etat, le Président de la République, vous avez le droit de grâce. Donc, dès que les avocats viendront, accordez votre grâce».
Il nous a demandé de nous organiser. Puis, il a dit: «Bon, on ne peut pas les laisser dehors comme ça». On a eu une séance de travail au palais, à l’Etat-major, vers là où se trouve l’actuel Mausolée Marien Ngouabi. On a décidé que si on laissait les condamnés à mort dans les prisons, on courait le risque d’être débordé. Il risquait d’y avoir des exécutions. A telle enseigne que Théophile Itsouhou et Franklin Boukaka ont été tués comme ça. D’où la décision de les envoyer dans les prisons de l’intérieur. On n’a pas été compris à l’extérieur, notamment par ceux qui se disaient révolutionnaires et qui nous accusaient d’avoir déporté des révolutionnaires vers l’intérieur. En fait, on avait fait ça pour les protéger.
* Monsieur l’ambassadeur, je voudrais que vous m’éclaircissiez un point lié à votre présence à Makala. Après leur arrestation, les lieutenants Nzambila, Matingou et Boko ont déclaré avoir emmené les responsables politiques là-bas pour les protéger. Alors, est-ce parce que votre sécurité était menacée qu’ils vous avaient convoyé à Makala, ou bien vous estimez que ce fut là une réponse adroite qu’ils avaient formulée à ceux qui les interrogeaient?
** Nous, on ne nous avait pas dit qu’on nous emmenait à Makala pour nous protéger. Il y avait eu d’ailleurs à ce sujet un échange énergique entre Nzé et Ndébéka. Nzé dit qu’il a même vu des gens charger des pelles dans la Jeep qui nous convoyait. Moi, je ne les avais pas vus. Mais, dans tous les cas, nous ne nous sentions pas en état de protection là-bas. Jamais personne ne nous avait dit cela. Voilà!
* Est-ce pour cela que vous étiez méfiants, quand une Land-Rover, conduite par le sous-lieutenant Engobo, est venue vous chercher dans l’après-midi, pour vous ramener dans vos foyers. A priori, vous ne saviez pas de nouveau dans quelle direction on vous emmenait.
** Oui, c’est vrai! Ekamba-Elombé, Moudileno et Nzé notamment étaient très méfiants. Ils ne voulaient pas monter. J’ai hésité. Mais, la vue d’Engobo m’avait quelque peu rassuré. Je me suis dit: «Je suis, peut-être, naïf, mais j’ai confiance en ce jeune homme». A l’époque, je ne connaissais pas son nom. Je l’appelais par Bonaventure, c’est-à-dire le jeune Bonaventure que je voyais dans l’entourage du Président Ngouabi.
* Excellence, comment jugez-vous la stratégie des putschistes qui consistait à accuser le commandant Yhomby et le capitaine Sassou de mener un coup d’Etat de droite contre le Président Ngouabi, alors que dans les faits, ce sont eux qui tentaient de pousser Marien Ngouabi vers la sortie? Avec le recul du temps, comment jugez-vous cette manière d’accuser l’autre, tout en voulant tirer leurs marrons du feu?
** Dans le mouvement révolutionnaire congolais, nous étions tous pour la Révolution. Mais, nous avions des formations différentes. Il y avait ceux qui avaient été formés en France. Et même en France, ce n’était pas homogène. Certains avaient milité au Parti communiste français, d’autres avaient milité dans un parti marxiste-léniniste africain qui n’avait pas d’implantation en Afrique, en dehors du Sénégal. C’était le Parti africain de l’indépendance (Pa.i) auquel j’avais adhéré. Je n’étais pas au Parti communiste français, mais au P.a.i. C’était le cas de Nzé aussi.
Il y avait ceux qui avaient fait un séjour rapide en Union soviétique, qui avaient tendance à se porter un peu comme les dépositaires d’un certain savoir, d’une certaine bénédiction. Et puis, il y avait ceux qui avaient été formés sur place dans le feu de la Révolution, dans les mouvements de la jeunesse et des étudiants, comme Ange Diawara. Je dirai qu’il y avait un peu comme une compétition entre ces groupes sur la représentation du vrai marxisme, c’est-à-dire lequel de ces groupes en avait une représentation claire.
Et là-dessus, il y avait les militaires. Alors, les militaires étaient soupçonnés par beaucoup de ceux-ci comme étant des gens qui n’avaient pas de formation idéologique et étaient regardés un peu de haut. Comme par ailleurs, le commandant Yhomby et le capitaine Sassou étaient très proches. Au fond, il y avait un trio que nous avons appris à connaître au moment des évènements de 1968. Il y avait le capitaine Marien Ngouabi, il y avait un dont j’oublie le nom, qui était aux postes et télécommunications, qui était toujours à côté de lui et qui, ensuite, a dû être envoyé comme attaché militaire à Paris (il s’agit du sous-lieutenant Gaston Eyabo, actuellement colonel, ndlr) et le lieutenant Sassou qui a joué un rôle important en 1968. S’ajoutait à ces trois, le capitaine Yhomby qui était en Union soviétique et qui venait d’arriver.
Les autres considéraient qu’ils n’étaient pas de vrais révolutionnaires. Ils estimaient que Ngouabi faisait un peu de fuite en avant. Ils disaient qu’en matière d’éthique révolutionnaire, ceux-là n’étaient pas fiables. A mon avis, ils s’appuyaient sur des détails. A l’époque, la principale voiture de luxe était la Peugeot 404. Venait d’apparaître le modèle 504. Je crois que le capitaine Sassou venait d’en acheter une et cela avait fait grincer les dents à certains qui regardaient cela comme un signe de bourgeoisie.
Yhomby, je ne sais pas ce qu’on lui reprochait. Donc, pour leurs accusateurs, il s’agissait principalement de les enfoncer. D’où leur attitude, pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux qu’il y avait eu «un coup d’Etat technique et légal de la part des autres» (expression employée par Ambroise Noumazalay, pendant son interrogatoire, après l’échec du putsch, ndlr). Un coup d’Etat technique droitier.
* Excellence, avec le recul du temps, on s’aperçoit que cette «gauche» et cette «droite» ne se définissaient pas comme des notions politiques de gauche et de droite en Europe, lesquelles intégrant l’histoire des mouvements sociaux, se fondent sur des réalités objectives, palpables et dont l’action en termes de gouvernance est visible chaque fois que l’un ou l’autre camp exerce le pouvoir d’Etat. Tandis qu’ici, ces notions de gauche et de droite apparaissent obscures par plusieurs aspects subjectifs. Il n’y a pas comme une ligne de démarcation claire. Si l’on fouille, si l’on regarde comment quasiment tous ceux qui se proclamaient révolutionnaires à cette époque ont pu mener leur existence, il n’est pas facile de dire qui était à gauche et qui était à droite?
** Je dirais qu’aujourd’hui non plus. Toutes ces notions de «gauche» et de «droite», dans notre pays, n’ont pas de contenu solide. A l’époque, en effet, on disait untel est réactionnaire, untel est droitier, untel est gauchiste. Mais, quand vous demandez pourquoi vous accusez untel, pourquoi vous accusez celui-là? Pourtant, il est comme nous… Il y en a qui ne connaissaient pas le marxisme, parce qu’ils n’ont pas eu le temps d’étudier. Mais, est-ce la connaissance intellectuelle qui faisait le révolutionnaire ou la pratique? Et même la pratique, tout cela était confus. Je crois qu’en fait, tout cela, les accusations comme les faveurs reposaient sur des antipathies et des sympathies.
* Autrement dit sur des cercles d’amis?
** Des cercles d’amis? Je dirais que cela était plus que de simples cercles d’amis.
* Pourquoi le coup avait-il échoué?
** Je crois qu’il avait été mal préparé, mal étoffé et mal mis en œuvre.
Propos recueillis par François ONDAY AKIERA

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