Dans un hôpital parisien, des suites d’une longue maladie, Alphonse Souchlaty-Poaty s’en est allé, le jeudi 24 octobre 2024. Enfant des riches terres du Kouilou, au Congo-Brazzaville, né à Diosso, il avait 83 ans. Pour l’avoir connu et approché, les années où il exerçait comme ministre du commerce, des petites et moyennes entreprises, de 1984 à 1989, période où, parallèlement, je remplissais le rôle de secrétaire général auprès du Premier ministre Ange-Édouard Poungui, je me suis forgé une opinion personnelle selon laquelle Alphonse Souchlaty-Poaty avait un avenir de Président de la République du Congo.
Cette opinion était la résultante d’une longue observation du ministre qu’il était et d’une analyse impartiale de données réunies, dans le champ de mon investigation. Preuve de cela, à l’élection présidentielle d’août 1992, Alphonse Souchlaty-Poaty est candidat de son parti, l’Union républicaine pour le progrès (U.r.p). Il en sort perdant et accepte sa défaite avec bonne grâce.
Le temps s’écoulant, je me suis autorisé à considérer comme plausible cette idée de sa présidentialisation, lorsqu’en 1992, il rejoint l’U.p.a.d.s, parti fondé par le Président Pascal Lissouba. Point de vue, encore affirmé au lendemain des violences du 5 juin 1997, à Brazzaville, le Président Pascal Lissouba, en exil à l’étranger, Alphonse Souchlaty-Poaty s’aligne sur les conclusions des travaux du congrès extraordinaire de l’U.pa.d.s, des 27 et 28 décembre 2006, à Brazzaville, où il est élu membre du collège des vice-présidents de l’U.pa.d.s, au même titre que 25 autres militants de l’U.pa.d.s, dont moi. L’idée que je me suis faite de lui comme possible Président de la République du Congo était basée, à proprement parler, sur mon ressenti à son égard, de par sa qualité d’homme politique et de haut cadre de l’Etat au service de son pays.
Je m’expliquais cette conviction par le large éventail des connaissances dont il disposait, dans bien de domaines. Également, son expérience professionnelle sur les questions financières, économiques et fiscales. Comptaient, en outre, sa maturité et sa stature de ministre maîtrisant ses dossiers, concentré sur sa tâche, avec tant de choses à construire, dans le secteur d’activités qui lui était dévolu, au sein du gouvernement de la République. Ce à quoi s’ajoutaient la justesse et la profondeur de ses analyses, ainsi que sa réputation d’ardent travailleur, de toutes parts où il a servi. Son ouverture d’esprit et son rayonnement dans sa région natale du Kouilou où il passait pour un notable, étaient par ailleurs perceptibles.
Ces éléments sur sa personne, greffés au statut de membre de l’U.pa.d.s qu’il s’était offert, ne pouvaient, de mon avis, qu’amplifier ses chances de devenir Président de la République, dans un cas de figure bien précis. En effet, l’U.pa.d.s, rassemblée, balayant les divisions, malentendus et autres querelles de circonstance entre ses militants, dans l’unité, la ferveur, le solide ancrage à l’esprit et aux idéaux du Président Pascal Lissouba, ce parti décidait de propulser Alphonse Souchlaty-Poaty comme son prétendant à la tête du Congo. Il pourrait avoir des chances de l’emporter par la voie démocratique.
Peut-être que je laissais libre cours à mon imagination, en le présidentialisant. En tout cas, sans préjugés et sans complaisance, je m’étais fait une conviction. En conseil de cabinet, tout comme les autres membres du gouvernement, je suivais, avec attention, le ministre Souchlaty-Poaty. J’échangeais avec lui sur les dossiers du conseil. Il était l’unique membre du gouvernement qui me préconisait de lui faire lire la retranscription écrite, sur procès-verbal, de ses interventions en conseil de cabinet, avant de transmettre les comptes-rendus des conseils de cabinet au Président de la République, au Premier ministre, aux ministres et au secrétaire général du gouvernement. Et le Ministère du commerce, des petites et moyennes entreprises dont il avait la charge était l’un de ceux qui introduisaient le plus d’affaires en conseil de cabinet et par extension en conseil des ministres.
Alphonse Souchlaty Poaty n’était pas un homme du passé, mais un homme du présent et du futur. Désigné Premier ministre par le Président Denis Sassou-Nguesso, le 13 août 1989, il ne s’est maintenu à ce poste stratégique qu’un peu plus d’un an. Il démissionne le 3 décembre 1990. Le désaccord avec le Président Denis Sassou-Nguesso «sur le cours politique du pays à prendre, face à des impératifs généralisés de changement», justifiait sa décision. Dans un pays où les démissions aux hautes fonctions d’Etat sont rares, en raison des avantages et autres privilèges qu’appellent ces emplois, sa détermination à privilégier les causes républicaines justes, pour expliquer sa décision de quitter la Primature avait été bien saluée par les forces patriotiques du pays. Nous sommes, au Congo-Brazzaville, dans une phase de tractations qui allaient aboutir à la convocation de la Conférence nationale, le 25 février 1991.
Au moment où il trouve la mort, il s’était, de plein gré, placé hors des sphères politiques congolaises, parce que ne croyant plus à la sincérité de leurs acteurs. Depuis quelques années, il résidait dans l’Essonne, au Sud de Paris, en France, expurgé de sa qualité de vice-président de l’U.pa.d.s acquise au congrès de ce parti, du 7 au 9 juin 2013, à Brazzaville.
Ma dernière rencontre avec lui date d’octobre 2015, à son domicile de l’Essonne, en présence de sa nièce, Mme Blanche Bouiti, femme politique battante, engagée, fervente défenseuse des droits de l’homme. Je venais d’être nommé, le 19 août 2015, par l’Opposition congolaise, à Brazzaville, représentant spécial en Europe du Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et de l’alternance démocratique (Frocad). Auprès d’Alphonse Souchlaty-Poaty, j’arrivais pour lui signifier ma ferme volonté d’associer son riche apport d’ancien Premier ministre et de membre de l’U.pa.d.s, à la réussite de ma mission.
A l’occasion, je lui ai rappelé mon vœu des années 84-89, lors de nos contacts à Brazzaville, de le voir, un jour, être élu Président de la République, Chef de l’Etat du Congo, en raison de ses capacités professionnelles, assises sur une longue expérience, ses prédispositions physiques, morales, culturelles et intellectuelles, l’amour pour son pays aidant, pour occuper cette fonction suprême. Un vœu que je n’avais jamais osé mettre dans la rue, en raison de la particularité du contexte politique de l’époque. Empreint à une forte émotion, il m’a remercié.
Avec sa disparition, le Congo a perdu non seulement un citoyen qui travaillait utilement à la construction de la Nation, mais encore un grand homme politique, par ailleurs, cadre de sa haute administration. Une disparition qui est également la perte d’un patriarche, attaché aux valeurs de la famille. Celle-ci vécue, comme une communauté de vie et d’amour, un lieu d’épanouissement où sont marquants l’altruisme, le sens du partage et le respect du poids de la solidarité.
Homme de parole, Alphonse Souchlaty-Poaty en imposait par sa fierté de défendre ce qu’il pensait comme majeur pour les causes nationales. En rentrant en politique, il avait choisi un métier, brûlant plutôt de donner un sens à ce qu’il était chargé d’accomplir. Lors de nos échanges, il n’avait cessé de pourfendre le conformisme intellectuel, les idées toutes faites et la primauté de la politique sur le reste des domaines de la vie. Exigeant, il se souciait du moindre détail, ne supportant pas l’approximation. Il aimait, avec passion, son pays, le Congo, qu’il voulait grand, ouvert au monde, en constant progrès, pour le sortir du sous-développement et se moderniser. Un Congo aux dirigeants justes, loin des velléités ethnocentriques et régionalistes. Un Congo avec un Etat impartial, au-dessus des clans. Toute la panoplie des maux qui entachent la République du Congo, la déshonorent, la diminuent et la tirent le vers le bas lui étaient insoutenables.
A la différence de beaucoup d’hommes politiques, Alphonse Souchlaty-Poaty était un des gens de culture qui aimaient les livres. Lisant abondamment, il a écrit pour exprimer ses idées, auteur de quelques ouvrages, en romans et essais. Au compte de ses publications, «Le Mayombe des profondeurs», «Le testament de l’oncle Tibou», «Les clés du paradis», «L’amour de l’Ange», «L’Anti-Machiavel: essai sur une alternance politique sans violence».
Ce dernier livre en appelle à un changement politique progressif, en opposition aux révolutions brutales. Il est une ode aux Congolais, aux fins qu’ils adoptent le chemin du dialogue et de la réconciliation. En clair, une sorte d’opuscule, «Mémoires de M. Alphonse Souchlaty-Poaty», où il revient sur son propre parcours et les défis auxquels il a été confronté, comme homme d’Etat, dans un contexte de gouvernance à teinte autoritaire au Congo-Brazzaville. Enfin, l’auteur y relève des relents de dépit, face à ce qu’il considère comme des occasions manquées, pour réformer en profondeur et la société congolaise et le Congo, pour le rendre plus juste.
Alphonse Souchlaty-Poaty s’en étant allé. Il restera de lui, le souvenir d’une vie dans laquelle des Congolais pourraient s’y reconnaître d’autant qu’elle exprimerait le désir ardent d’un compatriote qui aura construit son existence par le travail et par la volonté de voir le Congo se réformer, pour aller de l’avant.
Que Mme Souchlaty-Poaty, ses enfants dont l’écrivain Prescillia Laurelle Poaty à qui le père a transmis la magique fibre de l’écriture, ses petits-enfants, autres proches, amis et connaissances qui pleurent à jamais l’ancien Premier ministre, trouvent ici l’expression de mes condoléances les plus attristées. Je partage leur peine et leur tristesse. L’illustre disparu manquera à nous tous.
A mes camarades de l’U.pa.d.s qui ont perdu un des leurs, je dis ma solidarité. Puisse la République du Congo, pays qu’Alphonse Souchlaty-Poaty aura servi avec loyauté, au nom de la Patrie reconnaissante, lui rendre l’ascenseur de l’hommage posthume. Et que là-bas, à l’Eternel infini, rejoignant les Congolais qui l’ont précédé, dont ses parents et autres proches, il repose en paix. Lui qui a choisi d’être porté en terre en France, comme l’a aussi demandé, en dernières volontés, son collègue, l’ancien Premier ministre Henri Lopès auquel le Cimetière du Montparnasse, dans le 14ème Arrondissement de Paris abrite la tombe. Adieu, Monsieur le Premier ministre Alphonse Schoulaty Poaty. Avec l’écho de nos moments communs dont le Ciel demeure témoin.
Joseph OUABARI
MARIOTTI
Ancien Ministre