Selon le principe de la hiérarchie des normes, les textes internationaux ont une valeur supérieure à la norme constitutionnelle. Ce qui signifie que l’accord de bail rural signé avec une société rwandaise doit être conforme à la Constitution congolaise. Au besoin, si ledit accord recèle des clauses contraires à l’esprit ou à une disposition constitutionnelle, il reviendrait au peuple congolais de modifier son droit interne pour le rendre compatible et conforme au texte bilatéral qui engage le Congo. Pour éviter de modifier circonstanciellement la Constitution, la Cour constitutionnelle doit préalablement être saisi, pour avis, lors des négociations (article 175 de la Constitution). Cette garantie constitutionnelle consiste à donner au peuple congolais ses lettres de noblesse par rapport à ses intérêts et à son rayonnement sur la scène internationale.
Par ailleurs, pour que l’accord congolo-rwandais sur le bail foncier, qui suscite une indignation généralisée chez les Congolais, soit applicable au Congo, il doit être transposé en droit congolais par le biais d’une loi. En effet, il appartient au parlement d’exercer le pouvoir législatif et de contrôler l’action du gouvernement (article 107 de la Constitution). Tout laisse à penser que les élus congolais finiront par se prononcer sur ledit accord encore secret à ce jour.
Il y a une suspicion légitime qui taraude plutôt l’esprit des Congolais. Le partenaire de l’Etat congolais qu’est le Rwanda fait déjà preuve de velléités expansionnistes. Les Congolais craignent, en définitive, de vivre la transposition des conflits Tutsis-Hutus et Rwanda-RD Congo sur leur territoire. Ils s’estiment très peu nombreux (entre quatre et six millions d’habitants) pour faire face à des envahisseurs plus nombreux qu’eux (plus de 13 millions d’habitants pour une superficie de 26.340 km²). Le secret qui entoure l’accord de bail foncier ne s’avère pas favorable à lever la suspicion.
A ce titre, le voile sur les intérêts cachés attribués à certaines personnalités politiques congolaises ne fait l’ombre d’aucun doute. Que restera-t-il aux Congolais, si des esprits soi-disant plus entreprenants qu’eux-mêmes venaient à proliférer sur leur territoire? Il sera trop tard pour mettre à contribution les instances onusiennes ou continentales pour y éteindre des foyers de tension. Le peuple congolais a le droit de s’autodéterminer et ce, en connaissance de cause. Pour l’heure, il lui revient de défendre les terres qui caractérisent l’existence de sa Nation.
L’incompétence du signataire congolais de l’accord de bail foncier
Du droit congolais, il est acquis que c’est le Président de la République qui «négocie, signe et ratifie les traités et les accords internationaux». «La ratification ne peut intervenir qu’après autorisation du parlement, notamment en ce qui concerne les traités de paix, les traités de défense, les traités de commerce, les traités relatifs aux ressources naturelles ou les accords relatifs aux organisations internationales, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction du territoire» (article 217 de la Constitution).
Ce qui ne semble pas être le cas de ce qu’ont rapporté les médias à propos de l’accord de bail rural signé en avril 2022 par le gouvernement congolais et une société rwandaise. Un seul membre du gouvernement n’a pas le pouvoir d’engager l’Etat dans tous les domaines de coopération.
Les relations qui peuvent concerner l’Etat rwandais et l’Etat congolais font partie de l’ordre international et ne peuvent pas être considérées comme de simples actes de gouvernance ministérielle. Le Ministère congolais chargé de la coopération devrait non seulement justifier d’une délégation de pouvoir à ce propos, mais aussi démontrer que ce qu’il a fait entre bien dans le domaine de ses compétences d’attribution.
Or, il ressort du droit foncier que la gestion du patrimoine foncier de l’Etat congolais relève des attributions de la Présidence de la République. De ce fait, le fameux accord devrait faire l’objet d’un examen en Conseil des ministres et porter la signature de chacun des ministres concernés comme le prévoit la Constitution en ces termes: «Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis de la Cour suprême et transmis à l’une ou l’autre chambre du parlement».
«Les propositions de loi sont, avant délibération et vote, communiquées pour information au Premier ministre» (article 144) et «Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 82, 87 et 93 sont contresignés par le Premier ministre et les ministres chargés de leur exécution» (article 97).
Combien même que le gouvernement serait-il tenté d’entériner ce type de relations, il doit préalablement saisir le parlement d’un projet de loi. C’est cette procédure qui donnera une légitimité aux accords. Il échoit au ministère chargé de la coopération qui a pris l’initiative de promouvoir le développement économique et stratégique entre le Congo et le Rwanda de respecter les textes sus-exposés.
En outre, faudrait-il noter que, si les médias internationaux ont relevé qu’à l’occasion de la visite d’Etat du 11 au 13 avril 2022 du Président rwandais, Paul Kagamé, au Congo, les gouvernements des deux pays avaient signé de nombreux accords de coopération pour renforcer leur partenariat économique, il n’en demeure pas moins que, dans son allocution devant le corps diplomatiques, le ministre congolais en charge de la coopération internationale évoquait plutôt des projets d’accord et non des accords. Ce qui, une fois de plus, peut permettre de régulariser la procédure et de rassurer les parlementaires en quête de vérité.
Ne pas entraver l’élan de coopération
Quoique le prétendu accord congolo-rwandais eusse suscité l’indignation des Congolais, les institutions publiques congolaises devront s’arranger à ce qu’il n’y ait pas de situation politique ou diplomatique qui puisse entraver l’élan de coopération qui semble rapprocher les deux Etats. En effet, sur la scène internationale, les accords se font et se défont. Les négociations diplomatiques peuvent reprendre à tout moment.
Quelle que soit la forme que puissent avoir ces instruments juridiques, le droit international admet que les textes solennellement signés par un Chef d’Etat engagent son pays, dès lors qu’ils ont été ratifiés et promulgués. Ceux qui sont aussi signés par les gouvernements des Etats, dans le respect des normes internes du pays, bénéficient du caractère international, dès lors qu’ils engagent leur gouvernement vis-à-vis d’autres gouvernements ou organisations internationales (voir la Convention de Vienne sur les traités internationaux signé le 23 mai 1969).
Dans le cadre des relations congolo-rwandaises, la pratique internationale d’application des textes aurait pu être appliquée, en vue d’une meilleure compréhension des droits et devoirs des uns et des autres. Les Etats auraient été non seulement portés à un regain de confiance entre les deux Nations, mais aussi et surtout à s’assurer des meilleures perspectives de développement économique.
Pour ce faire, les dirigeants congolais doivent s’activer à convaincre le peuple sur leur réelle intention à vouloir coopérer avec le Rwanda, pays pour lequel on entretient tant de suspicions. Toujours est-il qu’en l’état des choses, tout acte de coopération avec le Congo devrait faire l’objet d’une promulgation, voire d’une publication au Journal Officiel (article 217 de la Constitution sus-cité). Même si l’article 218 de la même Constitution admet que «la loi détermine les accords dispensés de la procédure de ratification». «Le Président de la République et les présidents des deux chambres du parlement sont informés de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification». Il s’avère évident que la représentation nationale aura au moins connaissance de ce qui engage le pays vis-à-vis du Rwanda. Les accords de développement économique n’ont pas vocation à être classés secret-défense.
S’agissant des actes se référant à la propriété foncière, les autorités congolaises n’auront pas la possibilité de se faire l’économie des dispositions de la Loi n°21-2018 du 13 juin 2018 fixant les règles d’occupation et d’acquisition des terres et terrain, notamment son article 40 qui édicte sans équivoque que: «Toute acquisition des terres du domaine rural par toute personne étrangère régulièrement établie au Congo est nulle et de nul effet». «La nullité est prononcée à la requête du ministre en charge des affaires foncières ou de son représentant, par le Tribunal de grande instance territorialement compétent».
Les Congolais devront veiller à ce que les cessions de terres se fassent dans le sens de l’intérêt national. Dans tous les cas, les accointances, les concussions et la suspicion qui pèse sur les Rwandais pourront donner lieu à des contestations devant les tribunaux. Encore faut-il que la probité et l’éthique des magistrats aient une raison d’être et puissent concourir au rétablissement de l’intérêt national.
Maître Rocil MATINGOU
Docteur en droit;
Avocat au Barreau de Paris;
Intermédiaire en affaires.