Le problème avec les concepts, c’est leur récupération politique! Depuis que le monde est monde, il a toujours été question de développement. Mais, depuis un certain temps, il est question du développement durable, défini comme étant «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs», selon l’ancienne première ministre de la Norvège, Mme Gro Harlem Brundtland.
Et pourtant, en 1961, François Perroux a dit: «Le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit global réel». 1969, Dudley Seers: «le développement se produit lorsqu’un pays connaît une réduction ou une élimination de la pauvreté, des inégalités et du chômage». 1987, Edgar Owens: il y a développement «lorsqu’il y a développement des personnes (développement humain) et non développement des choses».
Ainsi, lorsque le produit global augmente, durablement, c’est le développement; et il augmente pour ceux d’aujourd’hui et ceux de demain, les générations futures, parce que cette augmentation est due à l’implémentation d’une base productive solide, robuste, qui devient un invariant. Lorsqu’on change les mentalités des populations pour la production, c’est forcément pour le long terme, c’est-à-dire d’une manière durable, sinon il n’y a pas changement. Lorsqu’on élimine la pauvreté et les inégalités, on le fait de telle manière que cela devienne un invariant, même si les tensions conjoncturelles ou cycliques peuvent perturber la trajectoire des actions de politique économique. De même, le développement humain est irréversible; il est, pour les humains actuels, comme pour ceux qui vont venir, tant qu’il est réellement orienté vers un changement des mentalités.
Le développement n’est donc pas la croissance qui, elle, étant soumise aux variations cycliques, n’a pas d’invariants. Alors, accolé durable au développement est une tautologie, mais voulue, parce que politiquement marquée, pour la prospérité des grandes puissances, en empêchant les pauvres de jouir de leurs matières premières. Lorsque «la communauté internationale» lance des nouveaux slogans, les sociétés en développement ne doivent pas perdre de vue cette vérité du professeur Jacques Austruy, à savoir que «derrière le verbe poétique, religieux et politique se situe la réalité discrète, mais fondamentale, de l’intérêt». Parce que la qualité durable du développement qui est prônée par les grandes puissances ne concerne pas toute l’humanité.
Souvenons-nous que «durable» est la traduction de l’anglais «sustainable»; et que suite aux distorsions monétaires des années 1945, l’école économique américaine a développé le concept de développement durable qui, «en matière macroéconomique, a d’abord abouti à des «purges monétaires» pouvant stopper net la croissance pour quelques années (les deux premières années de Reagan notamment, 1980-1982) et à des réformes dessaisissant les autorités politiques au profit de Banques centrales indépendantes». Cela donne matière à réflexion, avant de se lancer pieds et poings liées dans l’aventure du développement durable.
Prométhée