Commentaire
Electricité: un gouvernement prudent,
mais des syndicalistes triomphalistes
Au sortir de la réunion, comme la Primature a baptisé la concertation entre le gouvernement, la direction générale et le Collège intersyndical de E2c, mercredi 26 février 2025, au Palais des congrès de Brazzaville, les syndicalistes ont affiché une attitude triomphaliste. Pour eux, ils venaient de remporter une victoire, en faisant reculer le gouvernement comme ils l’exigeaient, sur la convention d’affermage signée le 13 février dernier avec la Socelec (Société congolaise d’électricité), filiale de la Senelec (Société nationale d’électricité du Sénégal). En réalité, la concertation a abouti à la mise en place d’une commission composée des représentants des trois parties (gouvernement, direction générale de E2c et Collège intersyndical) pour relire les conventions et proposer les aménagements au gouvernement. Redoutant les remous sociaux, dans une année qui précède celle qui va accueillir l’élection présidentielle, le président de l’assemblée nationale a préféré appeler à tout suspendre, allant ainsi dans le sens des syndicalistes.
Les réformes dans le secteur national de l’électricité sont arrivées à un point critique, au sein de la société nationale E2c (Energie électrique du Congo). Depuis 2003, ces réformes ont conduit le gouvernement à libéraliser le secteur de l’électricité, autonomiser la société nationale d’électricité, passer des accords de concession sur les barrages hydroélectriques et à établir une convention d’affermage avec la Senelec.

La signature de cette convention d’affermage, le 13 février dernier, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le Collège intersyndical de E2c a mobilisé ses syndiqués pour s’opposer à cette convention, menaçant de déclencher une grève générale destinée à plonger le pays dans le noir, si jamais le gouvernement ne revenait sur sa décision.
Face à cela, le gouvernement s’est disposé à ouvrir un dialogue social avec le mouvement syndical de E2c. Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès le mercredi 26 février, le Premier ministre Anatole Collinet Makosso, accompagné de trois membres du gouvernement, le ministre d’Etat Firmin Ayessa, ministre de la fonction publique, du travail et de la sécurité sociale, Christian Yoka, ministre des finances, du budget et du portefeuille public, et Emile Ouosso, ministre de l’énergie et de l’hydraulique, a rencontré les syndicalistes. La réunion, qui a commencé dès le début de l’après-midi, a duré près de trois heures. Principale conclusion: la mise en place d’une commission tripartite, composée des représentants du gouvernement, de la Direction générale de E2c et du Collège intersyndical. Pour quelle mission?
«Il va être mis en place une équipe qui relira les conventions, qui apportera les aménagements nécessaires, lesquels aménagements pourront faire l’objet d’avenants et d’adaptations éventuels, pour permettre au gouvernement de prendre les décisions qu’il faut», a dit le Premier ministre Collinet Makosso pendant la réunion. Ce faisant, il a instruit les différentes parties sur la composition de cette commission. «Vous proposerez vos cadres, l’administration proposera ses cadres, vous travaillerez pour relire les conventions, apporter les amendements nécessaires devant aboutir à des avenants qui nous seront soumis. Et là-dedans, dans vos propositions, dans vos propositions, il y a d’autres modèles, on avisera», a-t-il déclaré. Ce qui sous-entend clairement qu’il n’y a pas, dans l’immédiat, ni remise en cause ni suspension des contrats signés.

Mais au sortir de cette réunion, un leader syndicaliste de E2c, affichant son triomphalisme, a lâché les propos suivants: «Chers collègues de E2c, nous voici arrivés au terme des négociations avec le Premier ministre et son équipe gouvernementale. Les entretiens ont été très fructueux. Après échange, librement, sans heurts, nous pouvons dire, ici, que nous sortons de là victorieux. Le projet a été retiré, le Premier ministre a pris acte de notre demande. Merci à tous ceux qui ont contribué à la pression. Il nous a été demandé de monter une équipe qui pourra constituer une cellule de réflexion du nouveau projet, du nouveau modèle que nous allons présenter au gouvernement, de commun accord et ce projet sera travaillé entre l’équipe du Ministère, celle de E2c et nous pouvons dire, ici, que les choses se sont très bien passées, nous nous sommes séparés dans une ambiance électrique. La motion de grève a été levée, nous allons continuer à travailler normalement. La société E2c reste intégrée dans tous ses compartiments. Rien n’est perdu jusqu’au moment où on trouvera un véritable modèle qu’on pourra présenter à la table du gouvernement, pour qu’il soit validé. Mais, leur modèle a été rejeté. Nous pouvons siffler déjà la première victoire que l’ensemble du personnel accompagné du Collège syndical, a remportée».
Le président de l’assemblée nationale appelle à la suspension
Du côté de l’assemblée nationale, clôturant une séance de question d’actualité au ministre de l’énergie et de l’hydraulique, jeudi 27 février, le président de cette chambre, Isidore Mvouba, a appelé à tout suspendre, et pour cause: «Je crois qu’on ne va pas se cacher derrière notre petit doigt. L’énergie est une question d’importance. Je vais peut-être paraître vieux jeu: Lénine disait que le pouvoir des soviets ne pouvait prospérer que par l’électrification de toute la Russie. Une démarche est engagée, mais dans un contexte particulier. Honorables députés, chers collègues, dans une année, nous allons affronter une élection majeure et je n’aimerais pas qu’au cours de cette année qui précède celle qui suit, qu’il y ait des remous dans le pays. Donc, le processus engagé doit se faire sans remous. Malgré tout, je constate que c’est mal parti, c’est mal barré comme on dit. Bon, la démarche a été quelque peu améliorée, puisque le Premier ministre met en place un comité technique. Nous osons croire que le petit comité technique va faire de telle sorte que la démarche se passe sans remous, pour le bien et de l’entreprise et du peuple congolais. Donc, entre temps, on suspend tout et on laisse engager la démarche. Que le comité qui est mis en place termine son travail et propose les solutions idoines. L’assemblée a vocation de contrôler l’action du gouvernement. Si nous constatons que ça ne marche pas, on va rappeler, n’est-ce pas, le gouvernement».
Reste maintenant à savoir si la suspension des accords ne menace pas la crédibilité du gouvernement qui signent des contrats impossibles à mettre en œuvre. De l’autre côté, le statu quo n’arrange pas les consommateurs qui sont depuis sous le régime des coupures d’électricité, sans qu’ils n’aperçoivent le bout du tunnel, en raison des difficultés de la société E2c, à améliorer son service. Comme quoi, les remous peuvent venir de tous les côtés.