Ainsi donc, le 28 novembre dernier, le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, est de nouveau monté au créneau, comme à de multiples reprises dans le passé, pour réveiller la conscience de ses compatriotes, sur la nécessité de jeter bas les mauvais comportements, la corruption, bref les anti-valeurs, dans la gestion publique.
C’est aussi le premier endroit de son message où il a été applaudi par les parlementaires congressistes. Voici ce qu’a dit exactement le Chef de l’Etat: «Dans cette optique, nous appelons, une fois de plus, au ressaisissement de nos cadres, pour s’abstenir de toute attitude rétrograde, de nature à décourager nos investisseurs, en subordonnant l’accomplissement d’un acte ou d’un service administratif au paiement d’une commission. [Applaudissements] Et donc, nous nous comprenons». (Voir l’intégralité du message présidentiel sur le Site Internet de L’Horizon Africain).
C’est aussi le seul endroit de son long message où le Chef de l’Etat a introduit une phrase qui n’était pas écrite dans le texte qu’il lisait. En effet, après les applaudissements de la salle, il a lâché: «Et donc, nous nous comprenons».
Dans tout le message qui a duré une heure et dix minutes, c’est le moment le plus intense, le plus communicatif, le plus intime qu’il y a eu entre lui et le peuple qui le suivait. Juste quelques secondes. Et c’est là que, pour les observateurs que nous sommes, il faut mettre le bistouri, pour voir ce qui s’y trouve.
Quand on regarde en effet, on trouve que, pourtant, Denis Sassou-Nguesso n’a rien dit de nouveau. Devant une salle glaciale qui le suivait depuis le début, tout d’un coup des applaudissements explosent. Et lui y a répondu en disant: «Et donc nous nous comprenons». Mais, nous nous comprenons sur quoi? Sur le fait qu’il faut jeter bas les mauvais comportements, la corruption dans la gestion publique; sur le fait que nous constatons, tous, que ces anti-valeurs persistent.
Rebobinons les vidéos des messages du Chef de l’Etat. Arrêtons-nous à celui du 14 août 2009. C’est le discours d’investiture relatif au second septennat. Le Président Sassou-Nguesso disait alors: «Je ne surprends personne en affirmant qu’en dépit de nos efforts multiformes, notre pays n’est pas encore, hélas, exempt de corruption, de concussion, de fraude, de détournement de deniers publics et d’autres actes tout autant répréhensibles que néfastes à l’accomplissement du bonheur collectif».
Cette partie de son discours avait été longuement applaudie, debout. A cette occasion, le Chef de l’Etat avait fait une promesse: «Je veillerai donc avec davantage de rigueur à ce que les personnes que je nomme aux différentes fonctions d’État soient exemplaires et de bonne éthique, capables de faire respecter, au nom de l’autorité impartiale de l’État qu’elles incarnent, les lois et les règlements de notre pays. Tout manquement, toute faiblesse m’amènera à en tirer les conséquences».
13 ans après, chacun est libre de faire un bilan. En 2022, le Président de la République s’est senti obligé de reprendre son appel, suscitant les mêmes réactions de ceux qui soutiennent et ceux qui critiquent. On a l’impression qu’on fait du sur place.
La lutte contre les anti-valeurs est d’abord une question morale, éthique, comme le Chef de l’Etat l’avait lui-même indiqué. Nombre de Congolais doutent de la parole présidentielle, parce qu’ils continuent de constater que des cadres sur qui pèsent de lourds soupçons d’enrichissement illicite, jamais démentis par des organes compétents, continuent de bénéficier de la confiance du Chef de l’Etat et d’être responsabilisés dans les sommités des structures publiques. Dans ces conditions, comment lutter contre les anti-valeurs? C’est impossible, au plan judiciaire. La justice n’est que le fruit d’un rapport de forces. Pour rendre justice, il faut que l’Etat soit fort. Lorsque des individus sont plus forts que l’Etat, impossible de leur rendre justice.
Au plan moral, c’est une histoire de société. Dans la société congolaise, les histoires de détournements de fonds, de mauvaise gestion, de concussion, de corruption, de faux et usage de faux, de débauche sexuel, d’abus de pouvoir, de passe-droit, de mensonge, etc, émaillent toutes les structures sociales, des associations aux entreprises publiques et privées, des administrations aux églises jusque dans les familles. C’est l’échec des églises, des familles, du système éducatif, des corporations professionnelles, toutes ces institutions qui gouvernent à la conscience des humains, etc. Les anti-valeurs sont devenues un moyen de survie. C’est l’érosion spectaculaire des valeurs morales dans la société congolaise! Conséquence, la politique, avec son jeu d’intérêts, est devenue le terrain de prédilection des anti-valeurs.
Il faut se donner une décennie pour recréer l’honnête citoyen congolais, si l’on veut un jour gagner le combat contre les anti-valeurs. Il faut interroger l’éthique du Congolais et prêcher par l’exemplarité et non uniquement par les discours. Lorsqu’un Chef d’Etat revient sur les mêmes choses, ceux qui l’accompagnent fidèlement devraient s’interroger. Et donc, nous nous sommes compris que nous devons changer.
L’HORIZON AFRICAIN