Commentaire

Finances publiques: l’Etat, ses revenus
et les circuits privés

On entend souvent dire que les caisses de l’Etat sont vides. Au Congo, cette assertion n’est que partiellement vraie. La réalité étant que l’Etat congolais engrange, chaque année, d’importantes ressources financières et que ses caisses ne peuvent pas être vides. Si le Trésor public est la banque qui reçoit l’ensemble des moyens financiers que récolte l’Etat, chaque année, et à partir de laquelle les dépenses publiques sont ordonnancées, au Congo, le Trésor public n’est plus qu’une banque de transit pour les dépenses publiques immédiates. L’essentiel des moyens financiers de l’Etat est ailleurs. Dans ces conditions, l’assertion est vraie, puisqu’il arrive que les caisses de l’Etat au Trésor public soient effectivement vides. Mais, comment en est-on arrivé là?
Trésor public
Le Trésor public est la banque nationale chargée non seulement de recueillir les moyens financiers de l’Etat, mais également d’en assurer l’administration, en tant que service public, sous la tutelle du Ministère des finances. Comme on le sait, les fonds publics, dans tout Etat, ont à peu-près quatre catégories de provenance: les prélèvements obligatoires (impôts, taxes et redevances définis par le régime fiscal mis en place); la vente directe des actifs publics; les revenus du domaine et les recettes de service; les dons et legs. Chaque année, le budget de l’Etat, qui est une loi, en définit les règles et en fixe les montants. Le budget de l’Etat n’est qu’une prévision. Il est complété par la loi de règlement qui donne la réalité des fonds publics de l’année écoulée, tels qu’encaissés, dépensés et épargnés (dépôts).
Dans sa circulaire n°088 du 30 décembre 2010, Gilbert Ondongo, alors ministre des finances, du budget et du portefeuille public, rappelle utilement que «les recettes de l’Etat sont toutes centralisées et gérées par le Trésor public. Le recouvrement des recettes de l’Etat relève exclusivement du Trésor public». Celui-ci a l’obligation de tenir le Tofe (Tableau des opérations financières de l’Etat) qui permet au Ministère des finances de suivre le mouvement des fonds publics (recettes, dépenses, dépôts, créances, dettes, imprévus, etc). Cette vieille circulaire du ministre d’Etat Ondongo a l’avantage de rappeler que la gestion financière publique doit rester publique. Le Congo s’est même doté en 2017, d’une loi sur la transparence des finances publiques. Malheureusement, la réalité de la gestion financière n’est pas la traduction de la volonté exprimée dans les textes réglementaires, législatifs et dans les réformes.
Voyons cet exemple. En mars 2012, le ministre Gilbert Ondongo met en œuvre une idée originale qui permet de sauver le Service des chèques postaux. Ainsi, à la suite d’un accord, en 2010, avec le Ministère en charge de la poste, il crée la B.p.c (Banque postale du Congo), sous la forme d’une S.a (Société anonyme) avec Conseil d’administration, au capital initial de 10 milliards de francs Cfa, dont 80% détenus par l’Etat et 20% par la Sopéco (Société des postes et de l’épargne du Congo). La B.p.c est donc une banque commerciale qui s’insère dans le paysage bancaire national. Sur ce plan, c’est une réussite. Sauf que son successeur à la tête du Ministère des finances va se saisir de cette opportunité pour marginaliser le Trésor public dans la collecte des recettes fiscales, en utilisant cette banque cent-pour-cent congolaise.
Sous le beau prétexte de la sécurisation des recettes fiscales et de service, mission est, désormais, confiée à la B.p.c, de collecter certaines recettes. C’est ainsi qu’en janvier 2019, une agence de la B.p.c est installée au C.h.u (Centre hospitalier et universitaire), pour directement encaisser les recettes de service générées par cet établissement hospitalier dont le fonctionnement (salaires compris) est financé par le budget de transfert de l’Etat. De même, des agences de la B.p.c sont installées, à la même période dans les Gud (Guichets uniques de dédouanement des marchandises), à Impfondo, Mokabi et Bétou, dans le Département de la Likouala. Le système a continué avec l’installation des agences de la B.p.c auprès des Gup (Guichets uniques de paiement) dans les régies financières. «Les réformes qui sont en cours visent à favoriser et à faciliter les procédures fiscales dans le but d’élargir l’assiette. Désormais, chaque contribuable peut payer au guichet, avec l’assurance que son argent ira au Trésor public»avait rassuré le ministre Ludovic Ngatsé.
L’idée de sécuriser les recettes fiscales et de service, de cette manière, n’est pas mal. Mais, il y a anguille sous roche. Les fonds collectés sont-ils systématiquement versés au Trésor public? Il s’avère que depuis la Banque postale, des dépenses sont ordonnancées. De telle sorte que souvent, ce n’est pas la totalité des recettes collectées qui arrivent au trésor. Et donc, sous prétexte de sécuriser les recettes, le système est devenu un moyen de contourner le Trésor public. Voilà comment les caisses de l’Etat se retrouvent parfois vides, littéralement parlant. L’argent public est dans des canaux privés, dans les comptes des entreprises publiques dans les banques commerciales. C’est devenu une pratique très répandue, créée par les rivalités de clans autour du Président de la République.
La démocratie a entraîné la libéralisation des économies nationales. Mais, pour mettre de l’ordre et lutter contre la fuite des capitaux, le blanchiment d’argent et autres délits financiers, la règlementation des changes dans les Etats de la Cemac (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale) est sévère. Elle indique, par exemple, que «les recettes d’exportation en provenance de l’étranger doivent être recouvrées et rapatriées dans les 30 jours suivant l’échéance stipulée dans le contrat, à travers la banque domiciliataire par l’entremise de la Banque centrale. Les recettes d’exportation recouvrées en devises doivent être rétrocédées à la Banque centrale dans les 30 jours qui suivent leur recouvrement». Ceci pour garantir le volume des réserves de change et la couverture extérieure de la monnaie.
En logeant les recettes d’exportation dans des banques privées à l’extérieur du pays et les recettes internes dans des banques privées locales, le gouvernement lui-même affaiblit l’Etat qui perd la maîtrise de ses revenus. Ceux-ci sont placés dans des circuits bancaires privés, au lieu d’être logés au Trésor public dont la mission est justement de recueillir les moyens financiers de l’Etat et d’en assurer l’administration. D’où d’ailleurs toutes ces rumeurs et peut-être même ces informations sur les comptes bancaires congolais dans des paradis fiscaux. On ne transfère plus qu’au Trésor public, ce qui sert aux dépenses immédiates.
La question est éminemment politique: où on respecte les procédures traditionnelles de gestion des finances publiques, ou on met en place des circuits privés qui échappent à l’Etat pour gérer ses revenus. Ainsi, avec l’usage des canaux privés, l’Etat a perdu la maîtrise des recettes d’exportation, au profit des acteurs qui deviennent puissants dans le système au pouvoir, car seuls eux savent là où se trouve les revenus de l’Etat. Raison pour laquelle on ne sait pas parfois d’où vient l’argent qui sert à payer les fonctionnaires, puisque le Trésor public est parfois vide jusqu’à la veille de la paye. L’Etat congolais n’est pas en réalité en cessation de paiement comme le disent certains acteurs politiques. Il souffre de la privatisation de la gestion de ses revenus, suivant la volonté de celui qui a en main les rênes du pays. Il a sans doute ses raisons de faire comme ça. Mais, l’effet qui s’en dégage est que les caisses de l’Etat sont parfois vides.
Jean-Clotaire DIATOU

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