Ils étaient partis pour étudier. Ils ignoraient qu’ils allaient aussi pour créer une seconde famille! Un bénéfice incident qu’ils étaient loin d’imaginer, en quittant leur terre natale: le Congo-Brazzaville. Cette histoire est celle des anciens étudiants congolais de Roumanie de France. Ces «transfuges» des anciens pays de l’Est, écrivant, sous nos yeux, probablement, l’une des plus belles pages de leur vie.
Il arrive, parfois, que d’un mal puisse jaillir un bien. Il en est ainsi de la tragique disparition, en France, au milieu des années 2000, d’une ancienne étudiante congolaise de Roumanie, qui engendra, indirectement, cette entité. En effet, ce sont les difficultés logistiques et financières survenues lors de ces obsèques qui avaient déblayé le terrain.
Longtemps hésitante, cette communauté d’amis avait fini par sauter le pas d’une solidarité organisée, au travers d’un organe dédié. En février 2008, à l’issue d’une assemblée générale, tenue dans un hôtel parisien, l’Association des anciens étudiants Congolais de Roumanie de France, en sigle Assocreef, vit le jour. L’idée était de reproduire, en France, mutatis mutandis, le modèle de vie qui leur avait permis de survivre en milieu «hostile», dans les économies dites administrées.
Dans ces pays-là, en effet, le quotidien des étudiants était loin d’être rose: froid glacial; racisme; économies de pénurie; barrière de la langue; promiscuité de la vie en «camin». Autant d’obstacles qui avaient jeté, avant l’heure, certains de ces étudiants sur les routes aventureuses de l’Occident. Les «camins», en roumain, désignent ces campus étudiants répartis sur l’ensemble des villes, selon les spécialités: agronomie; grazavesti; régie; lacul tei, etc. Et lorsque la bourse, qui était leur principale ressource, venait à manquer, l’instinct de survie les sortait du bois: «Toc- toc, ai si tu ceva de mincat? Piîne sau cozonac? Te rogà frumos…». Traduit en Français: «Toc-toc, aurais-tu quelque chose à manger? Du pain ou de la brioche? Je t’en plie». Voilà l’une des nombreuses déclinaisons de «l’aide des pays amis», qui ponctuaient le quotidien de ces étudiants. Cette expérience, aussi dure fusse-t-elle à vivre, forgea visiblement en eux, la matrice de l’esprit associatif.
C’est la raison pour laquelle, arrivés en France, dans une société où prédomine l’individualisme, le chacun pour soi, ces anciens étudiants restèrent de marbre. Ils montèrent cette association de solidarité et d’entraide, où le sort de l’élément concerne l’ensemble et vice-versa. Le succès est au rendez-vous. En un clin d’œil, l’Assocreef, dirigée depuis 2019, par Gaspard Nzaou, devint le point de mire du microcosme associatif de France. Les représentants de l’association au Congo sont le ministre Juste Désiré Mondélé et le député Louis Gabriel Missatou.
Soigneusement élevé pendant quinze ans, aujourd’hui le petit poisson est devenu grand. Avec une trésorerie robuste, assise sur la contribution de ses membres, l’association peut, désormais, nourrir de grandes ambitions. En activant, par exemple son pôle humanitaire, inscrit dans ses statuts, mais longtemps laissé en friche, faute de moyens.
Créer des passerelles entre les générations est l’autre pilier des ambitions de l’association. Un réseautage assumé, basé sur la force d’une histoire partagée, dont on espère qu’elle parviendrait à forger cet esprit de corps, qui fait la force des frères d’arme. Comble de bonheur, le bataillon des cadres congolais formés en Roumanie est dense. Comble de malheur, l’ascenseur est en panne! On a l’impression que ceux qui franchissent le mur font tomber l’échelle après eux, pour se constituer une rente de situation.
Un état d’esprit manifestement contraire au slogan statutaire de l’association, ayant érigé en crédo l’entraide: «Main dans la main, ensemble plus forts». Cette faiblesse structurelle a fini par jeter une ombre au tableau du supposé soutien entre amis. A moins qu’il ne s’agisse de l’aimable soutien de la corde au pendu! Il faut espérer que la célébration en grande pompe du 15ème anniversaire ouvre une ère nouvelle, avec de nouvelles perspectives, couplées à de nouvelles valeurs. Avec ses lambris, que la luxueuse salle du Palais 91, dans le Département de l’Essonne, ait l’honneur de l’abriter, en ce 8 avril 2023, à partir de 20h00, honore les règles de l’art.
Guy Francis TSIEHELA
Ancien étudiant congolais en Roumanie;
Ancien Président de l’ASSOCREEF (2014-2019);
Chroniqueur culturel.