Le 17 janvier 2024, André Grenard Matsoua aurait eu 125 ans! Qui est André Grenard Matsoua? Qui était-il: prophète comme l’affirment certains ou homme politique comme d’autres l’affirment? Contrairement à Francisco Kassola, à maama Apollonia Mafuta, à Kimpa Vita alias Dona Béatrice, (de son vrai nom Béatrice Margherita Nsimba), prophète et prophétesses au Royaume du Kongo, à Simon Kimbangu, prophète en RD Congo ou encore à Zéphyrin Lassy, prophète au Congo-Brazzaville, André Matsoua Grenard ne l’a point été. Il a été plutôt un résistant et un leader politique que certains de ses adeptes, en l’occurrence les «Corbeaux et les Kakistes», ont divinisé. Il aura été, en effet, après Mabiala-Ma-Nganga et Bouéta Mbongo, l’un de grands résistants politiques à la colonisation française dans notre pays, alors Moyen-Congo, avant le 28 novembre 1958, date de la proclamation de la République du Congo.

Descendant du clan Vimba, André Matsoua Grenard est né le 17 janvier 1899, dans la région du Pool, au village Lukuandzoko-dia-Mbemba où ses parents, originaires de Vulu-Kia-Kayi, à côté du village Mayita, entre Voka et Kimpila, dans le District de Boko, se fixèrent définitivement. En janvier 2024, il aurait eu 125 ans.
Ancien catéchiste catholique à la mission de Mbamou, dans le District de Kinkala, il s’engagea, en 1919, comme préposé des Douanes de Brazzaville. En 1921, il s’embarqua au Port de Matadi (RD Congo, l’ancien Congo-Belge) pour la France. À Marseille, il s’engagea dans l’armée française avec laquelle il participa, au Maroc, à la campagne du Rif contre Abdel Karim. Cette guerre coloniale injuste éveillera sa conscience d’Africain et d’homme noir. Il quittera alors l’armée en 1925, avec le grade de sergent.
Arrivé à Paris où il obtint un emploi de comptable dans un service de l’Assistance publique de la Seine, il devint franc-maçon. Ce qui fit de lui «un adversaire du mensonge, de l’injustice et de l’exploitation de l’homme par l’homme». Ce qui le convainquit aussi à s’engager dans le combat contre le colonialisme et l’indigénat. Ainsi, il regroupa autour de lui quelques compatriotes congolais avec qui il fonda une association de secours mutuel, d’entraide et de prévoyance, «l’Association Amicale des originaires de l’Afrique équatoriale française (A.e.f)», dont les statuts furent approuvés le 26 avril 1926 et enregistrés sous le n°164649, le 29 juillet 1926, à la Préfecture de police de Paris. L’on y notait comme représentants légaux désignés par l’assemblée générale:
1- pour la France:André Grenard Matsoua, Constant Balou, Lucien Tchicaya, André Bikouta, Pierre Nganga, Pierre Kinzonzi, Ngoma et Loembé;
2- pour l’A.e.f: Jacques Mayassi, Louis Tenard Kyellé, Léonard Nkodia, Pierre Moutsila, Joseph Lembé, Henri Mapakou et M’bemba Bikedi;
3- pour Léopoldville (Kinshasa): Prosper Mahoukou alias Moungoula, Pascal Makéza, Martin Wamba, Jules Kounkou, Jules Matsiona, Prosper Matoumpa et Matiabou.
À travers son association qui était laïque, André Matsoua Grenard revendiquait, pour ses compatriotes congolais et pour tous les originaires de l’A.e.f, la voix au chapitre dans la gestion de l’empire. Il s’élevait notamment contre le code de l’indigénat qui réquisitionnait les Africains pour les travaux d’utilité publique dénoncés comme des travaux forcés déguisés, par les anticolonialistes.
C’est dans ce contexte que le 26 janvier 1928, il envoya au Président du Conseil, M. Raymond Poincaré, en faveur du gouverneur général Antonetti contre qui une campagne sévère venait d’être lancée par les concessionnaires dont les privilèges semblaient être remis en cause par cet administrateur, une lettre dans laquelle il dénonça également l’asservissement et l’exploitation dont étaient victimes ses frères congolais des régions du Nord du Moyen-Congo, par les compagnies concessionnaires des frères Tréchot qu’il qualifia par ailleurs de «vautours et oiseaux de proie». Voici ce qu’il y écrivit en substance: «…Monsieur Antonetti a eu, il y a peu de temps, l’occasion de constater la façon dont les frères Tréchot, administrateurs d’une compagnie française du Haut et du Bas-Congo (C.f.h.b.c) au capital de cent millions de francs, eux-mêmes plusieurs fois millionnaires, entendaient augmenter leur capital au détriment des Noirs de mon pays.
Monsieur le Président, pour une poignée de sel, les frères Tréchot se faisaient facilement remettre cent kilos de caoutchouc ou autres produits du Congo français; d’autres agissements encore ont forcément amené Monsieur Antonetti, lorsqu’ils les ont commis, à les réprouver et les faire cesser, d’où la campagne, par les frères Tréchot et consorts, gens assoiffés de capitaux, contre Monsieur Antonetti… Il est de toute justice que chacun profite au prorata de son activité et de ses peines, de ses immenses richesses et qu’elles ne soient plus la propriété exclusive des gens qui n’ont reculé devant rien pour se les approprier…».
En 1929, la création de l’Amicale valut à André Matsoua Grenard une première arrestation arbitraire, sous le fallacieux prétexte de trafic d’argent. Il fut, par exemple, déporté au Tchad, le 15 septembre 1930. Ce qui provoqua des soulèvements, des manifestations et des grèves à Brazzaville, notamment dans les milieux des originaires du Pool.
De son combat politique, André Grenard Matsoua affirma dans une lettre qu’il envoya à l’administration coloniale, le 8 février 1941 et rapportée par le professeur Côme Mankassa: «Il m’est reproché d’avoir fait de la politique, d’avoir fait de l’agitation anti-française, d’avoir professé des opinions communistes, sinon même d’avoir appartenu à des organisations communistes qui exercent une activité anti-française et anticoloniale. Il m’est aussi reproché d’être considéré comme un sorcier et griot. Ce que je conteste vivement.
Je combats la domination. Je lutte pour l’égalité, pour note émancipation en tant qu’individus et en tant que peuple. L’aspiration que nous représentons est partagée par l’ensemble de notre peuple. La répression que vous avez cru avoir développée contre l’Amicale n’a pas réussi à décourager le peuple considéré. Bien au contraire! Elle a provoqué un radicalisme de notre mouvement. Nos villages connaissent des saccages incessants. Et cependant, on ne note aucun signe de défection au sein de notre peuple. Certains de mes compagnons de lutte ont été exécutés sommairement. Je veux parler de Mbiémo, Milongo, Mbemba et tant d’autres. Mais, notre combativité, l’adhésion populaire à votre opposition se sont accentuées. Tout cela devrait vous faire réfléchir».
Les buts de l’Amicale étaient entre autres:
A- de porter assistance aux Noirs en France;
B- de revendiquer pour les Congolais et pour tous les originaires de l’A.e.f, la voix au chapitre dans la gestion de l’empire;
C- de s’élever contre le code de l’indigénat qui réquisitionnait les Africains pour les travaux d’utilité publique dénoncés comme des travaux forcés par les anticolonialistes et enfin demander l’indépendance des colonies de l’A.e.f (Gabon, Moyen-Congo, Oubangui-Chari et Tchad).
Ce qui amena l’administrateur français, De Buttafoco, chef de la région du Pool, à déclarer: «Vous, les Matsouanistes, vous exagérez; au lieu de limiter vos revendications d’autonomie au seul territoire du Moyen-Congo, vous avez voulu les étendre sur toute l’A.e.f, ne nous laissant aucun lopin de terre dans cette région. Voilà votre bêtise, voilà ce qui rend difficile votre tâche».
André Grenard Matsoua mourut le 13 janvier 1942 à 5h du matin, à Mayama, où il fut inhumé clandestinement, pour ne pas dire à la sauvette. À la suite de sa mort, son mouvement, l’Amicale, bien implanté dans la région du Pool, y donna naissance, en 1945, au matsouanisme, mouvement messianique et religieux attentiste (les Corbeaux et les Kakistes sous la direction respective de Fidèle Nzoungou et Tsiakakaka). Quant à l’Amicale, elle fut purement et simplement interdite. Ce qui n’empêcha pas ses adeptes, les amicalistes, de continuer leur lutte anticolonialiste. C’est ainsi qu’en 1946, des chefs de canton du Pool, très engagés dans la lutte anticolonialiste, en l’occurrence les chefs Ngoma Tsé-Tsé, Mundongo, Massamba-ma-Kimbouila, Samba Ndongo et Biza furent arrêtés et déportés qui au Tchad, qui en Oubangui-Chari, l’actuelle République Centrafricaine.
D’autre part, dans le cadre de leur lutte anticolonialiste, les Matsouanistes de tous bords (amicalistes, corbeaux et kakistes), refusèrent tout don du gouvernement français et de payer toute cotisation ou tout impôt à la Société indigène de prévoyance (S.i.p). C’est l’époque dite des «Trois Francs» (Fualanka Tatu). En effet, suite d’une part aux difficultés engendrées par la Seconde guerre mondiale et, d’autre part, aux besoins énormes en caoutchouc, le pouvoir colonial obligea tout le monde à se mettre au travail. Les Pulviens (les habitants de la région du Pool) refusèrent d’obtempérer à cette pressante injonction. Les miliciens furent alors envoyés dans tous les villages et hameaux du Pool où ils s’adonnèrent aux exactions de toutes sortes et imaginables: viols, pillages, mises à sac et destruction des maisons, destructions des biens, massacres, etc.
La lutte anticolonialiste d’André Grenard Matsoua a été l’objet de plusieurs témoignages dont ceux du Président Alphonse Massamba-Débat et du Premier ministre Bernard Kolélas. À ce propos, le Président Alphonse Massamba-Débat avait affirmé: «Indépendance du pays, liberté et dignité du peuple, voilà les choses sacrées pour lesquelles tant de Matsouanistes ont péri ou ont accepté les pires privations, enduré les plus inimaginables horreurs et tortures. C’est la foi qu’ils ont incrustée dans leur cœur, la conviction qu’ils ont fait enraciner dans leur conscience, et la flamme de l’amour de leur pays qu’ils ont allumée en eux que ces hommes ont préféré souffrir que trahir, mourir qu’abdiquer. Devant leurs bourreaux blancs ou noirs, ils sont restés stoïques, insensibles aux menaces et aux outrages, parce que la longue lutte contre la domination étrangère, contre les horreurs et les injustices de l’indigénat, contre l’exploitation de l’homme noir par l’homme blanc, les a rendus plus sensibles au devoir qu’au droit, plus attentifs au sacrifice qu’à la faveur. Les Matsouanistes ne seront jamais d’accord avec les traîtres et les Africains indignes qui n’ont pas su défendre la cause sacrée pour laquelle tant d’hommes ont souffert, pour laquelle Matsoua est «parti»: l’indépendance et la liberté, la reconquête réelle du pays de l’emprise des descendants des blancs et des Africains indignes». (In «Pensées et actions» d’Alphonse Massamba-Débat, Editions Paari, 2009).
De son côté, le Premier ministre Bernard Kolélas avait déclaré: «Le mouvement matsouaniste a soutenu la lutte de libération nationale sans jamais fléchir, sans jamais trahir ses principes d’intégrité, d’incorruptibilité et de fidélité à la personne de Matsoua, à son idéal social, politique et moral. Bien plus, malgré les persécutions dont ils étaient l’objet, les Matsouanistes sont restés fidèles à leurs idéaux de paix, de liberté, de fraternité et d’amour à l’endroit des peuples du monde. Ils ont continué la résistance, le combat anticolonial sans changer un seul iota à leur profession de foi matsouaniste, à leurs revendications politiques. Sur la personnalité d’André Grenard Matsoua, nous soulignons qu’il a profondément déteint sur l’âme de son peuple, par son équation personnelle tout d’abord, par ses idéaux et son action politique ensuite. Il fut un grand patriote, un homme plein d’abnégation et de dévouement pour le bien de son peuple et du monde des opprimés. Un humaniste qui aspirait à l’harmonie, à l’égalité et à l’entente entre les races et les peuples du monde, sans discrimination d’aucune sorte. Il fit des droits de l’homme son cheval de bataille. Il fut un leader déterminé et farouchement engagé dans le combat pour la justice, la liberté, le respect et la dignité de l’homme africain, de l’homme tout court. L’homme irradiait l’amour fraternel, la force charismatique, la conviction et l’assurance qui forçaient le respect et l’admiration. Mais sa vie fut un tissu de privations, de souffrances et de sacrifices. Bref, un personnage historique hors du commun, très avancé sur son temps et sur son peuple, que l’épreuve du temps n’a jamais entamé ». (In «La philosophie matswaniste et le pouvoir politique», Éditions La Pensée Universelle).
En conclusion, André Grenard Matsoua dont le mythe aura disparu, parce que non transmis aux générations futures, aura été non pas prophète, mais homme politique. Il aura été, comme a dit Confucius, un «grand homme, un homme supérieur», c’est-à-dire un homme qui a mis tout d’abord ses paroles en pratique et, ensuite, a agi conformément à ses convictions. Il eut une bienveillance égale pour tous et fut un homme altruiste, non égoïste ni égocentrique ni tribaliste ni encore régionaliste. Il fut un grand visionnaire et panafricaniste qui donna, enfin, la priorité d’une part au Congo et à ses compatriotes, puis d’autre part à l’A.e.f et aux Africains. Il fut une personnalité exceptionnelle.
Enfin, l’on peut considérer son association, L’Amicale, comme le premier mouvement politique congolais, organisé et structuré autour des revendications pro-nationalistes. André Grenard Matsoua dont la devise est, «Mieux valaient la dignité et la mort que la dépendance, l’asservissement et l’esclavage», restera toujours le symbole du rejet de l’ordre colonial et de ses abus, qui plus est, il reste et restera un grand héros national voire un grand patriote.

Dieudonné
ANTOINE-GANGA

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