Dans une longue interview au Magazine Jeune Afrique, publiée dans l’édition spéciale n°3140 de septembre 2024 et recueillis par notre confrère français, Olivier Caslin, vieux routier des questions africaines, le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, a été interrogé sur plusieurs sujets de l’actualité nationale. Nous avons retenu cinq questions relatives aux préoccupations quotidiennes des Congolais (Crise financière, vente de terres, coupures d’électricité, année de la jeunesse et bébés noirs), qui font actuellement débat, afin de cerner sa pensée. Extraits!

Crise financière

A propos de la crise financière qui se manifeste par les retards de salaires, des pensions, des bourses, le Chef de l’Etat rassure ses compatriotes que «ma responsabilité est de trouver des solutions. Je ne suis pas du genre à dormir et à laisser pourrir (les situations). Mais, que l’on se rassure: ces problèmes de trésorerie sont en voie de résolution». Comment le Président Denis Sassou-Nguesso explique-t-il cette crise financière?
Question: «Pour l’instant, nombre de vos compatriotes ont des préoccupations plus immédiates: ils se plaignent des retards dans le paiement de leurs salaires. Entendez-vous leurs doléances?».
Réponse: «J’ai toujours été à l’écoute des Congolais, et les frustrations que vous évoquez, je les comprends. Mais, il faut aussi comprendre que ces difficultés sont liées à une conjoncture précise. Nous avons connu trois chocs successifs en l’espace de dix ans: la chute brutale des prix du pétrole; la pandémie de covid-19 et la baisse de la production des hydrocarbures. Il nous a fallu faire beaucoup d’efforts, engager des réformes hardies, qui se poursuivent au niveau national et travailler à la modernisation de nos services financiers, pour que la situation commence à se redresser. Aujourd’hui, les prix du pétrole sont de nouveau corrects, la production est en hausse, et la cinquième revue du F.m.i, qui vient de se clore de manière satisfaisante, nous offre la possibilité de négocier en bien meilleure posture avec nos partenaires. Autant d’éléments qui favorisent une relance de notre Plan national de développement 2022-2026 et de ses six piliers prioritaires».

Aucun kilomètre-carré n’a été vendu au Rwanda

Le Chef de l’Etat aborde aussi la fameuse affaire de la présumée vente des terres congolaises au Rwanda et il est catégorique dans sa réponse.
Question: «Les Congolais s’interrogent également à propos des terres agricoles accordées à des sociétés rwandaises. Comprenez-vous, là aussi, leur inquiétude?».
Réponse: «Il y a, dans cette affaire, une bonne dose de manipulation politicienne. Depuis plus de quinze ans, des Sud-Africains, Noirs et Blancs, bénéficient de terres dans le Département de la Bouenza sur lesquelles ils cultivent du maïs. Que je sache, ils n’ont pas emporté les terres congolaises en Afrique du Sud. Récemment, des sociétés ivoiriennes et sénégalaises ont soumissionné pour des projets d’exploitation à une centaine de kilomètres de Brazzaville. Des Émiratis, des Saoudiens, des Qataris sont eux aussi demandeurs. À chaque fois, il s’agit -ou il s’agira- de terres louées pour une période déterminée et pour une mission précise, à l’instar des permis d’exploitation forestière que nous accordons. La main-d’œuvre est locale, ce qui est une source de revenus pour les populations. C’est exactement ce schéma qui prévaut avec le Rwanda: ce sont des sociétés d’intérêt rwandais, mais de droit congolais. Jamais il n’a été question de leur vendre des terres et jamais un mètre-carré de terre congolaise ne sera cédé. Je m’en porte garant. Toute cette agitation relève, en outre, d’une rwandophobie qui n’a pas lieu d’être».

Coupures d’électricité: les réseaux de distribution mis en cause

Depuis le début de l’année, Brazzaville, la capitale, souffre de coupures intempestives et de black-out d’électricité. A cette question, Denis Sassou-Nguesso pense que le problème réside davantage dans les réseaux de distribution que dans la production. Mais, il reconnaît aussi la responsabilité de la gouvernance dans cette situation.

Question: «Autre casse-tête persistant: les coupures d’électricité, qui perturbent le quotidien des Congolais. Pourquoi ce secteur, pourtant crucial, semble-t-il aussi mal-en-point?».
Réponse: «Ce n’est pas un phénomène propre au Congo. Comme vous le savez, plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. À l’indépendance, nous n’avions qu’un seul barrage hydroélectrique à faible puissance, celui du Djoué, ainsi que deux centrales thermiques, l’une à Brazzaville, l’autre à Pointe-Noire. Aujourd’hui, nous disposons d’infrastructures plus performantes: les barrages de Moukoukoulou, d’Imboulou et de Liouesso, une centrale à gaz à Pointe-Noire et d’ambitieux projets de construction d’ouvrages à Sounda et à Chollet. Le problème réside donc davantage dans la distribution que dans la production. La ligne à très haute tension Pointe-Noire – Brazzaville devra être quasi intégralement réhabilitée. Il faut également prendre en compte les incidents récurrents sur les postes ainsi que l’interconnexion parfois difficile entre Brazzaville et Kinshasa. Il est clair que le développement des infrastructures de transport et de distribution d’électricité n’a pas suivi la hausse de la demande, en particulier dans les quartiers périphériques des grandes agglomérations. Nous nous y attelons».

Question: «Ne pas avoir su anticiper le vieillissement du réseau ne relève-t-il pas d’un déficit de gouvernance?».
Réponse: «Sans doute. Et c’est la raison pour laquelle nous avons fait évoluer le statut de la Société nationale d’électricité qui, pour plus d’efficacité, est devenue une société anonyme. Nous nous sommes également engagés dans un processus de privatisation de certains segments de ce secteur, par le biais de partenariats public-privé. Ma volonté de voir l’ensemble de ce chantier aboutir au terme de mon quinquennat, en 2026, n’a pas varié».

Enfin, l’année de la jeunesse : on ne peut pas résoudre tous les problèmes en une année

Denis Sassou-Nguesso a reconnu que, même s’il a été décrété 2024 comme l’année de la jeunesse, tous les problèmes de la jeunesse ne peuvent pas être résolus en une année. Il parle aussi du phénomène des «bébés noirs» que le gouvernement s’emploie à éradiquer.

Question: «Vous avez décrété que 2024 serait l’année de la jeunesse. Les résultats sont-ils déjà au rendez-vous?».
Réponse: «Je le crois. À condition de garder à l’esprit que tous les problèmes de la jeunesse congolaise ne seront pas résolus en un an. Emploi, éducation, encadrement… Des programmes ambitieux, élaborés à cet effet par le gouvernement, sont en cours d’exécution. Plus de la moitié des Congolais ont moins de 20 ans. Il était temps que cela soit perçu comme un enjeu crucial pour notre Nation».

Et les bébés noirs?

Le Chef de l’Etat a indiqué que ce phénomène de banditisme n’est pas l’exclusivité du Congo, mais il est pris au sérieux

Question: «D’autant qu’une fraction de cette jeunesse sombre parfois dans la délinquance. Et que les agissements violents des bandes de «bébés noirs» inquiètent les habitants de Brazzaville et de Pointe-Noire…».
Réponse: «À juste titre, même si, là encore, le Congo n’a pas l’exclusivité de la délinquance juvénile. Certes, ces jeunes ne sont pas tous Congolais. Les crises régionales, en RD Congo, en Centrafrique ou ailleurs, amènent chez nous leur lot de déracinés tentés par une délinquance de survie. Mais, beaucoup d’entre eux sont nos jeunes, nos enfants. Ainsi avons-nous conçu une stratégie de prévention et de traitement de la délinquance juvénile et engagé tout un programme d’éducation et d’encadrement. Des sites de rééducation et de réinsertion des jeunes en conflit avec la loi ont été aménagés à Aubeville, dans la Bouenza, et à Bokagna, dans la Cuvette. La périphérie de Brazzaville, où sévissent certaines de ces bandes, a été assainie par les forces de l’ordre. Nous prenons ce phénomène très au sérieux».

Propos sélectionnés
par Jean-Clotaire DIATOU

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