Réformes au Ministère de l’économie et des finances
Les raisons de l’abandon du Gup domicilié
à la Banque postale du Congo, selon
Jean-Baptiste Ondaye
La décision du ministre de l’économie et des finances, Jean-Baptiste Ondaye, de résilier le contrat Gup (Guichet unique de paiement) entre la Banque postale du Congo et la Direction générale du Trésor a suscité une controverse sur fond d’interprétations diverses concernant les raisons qui ont conduit à cette décision. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le ministre Ondaye a accepté d’éclairer la lanterne de l’opinion publique sur les fondements de cette décision, dans un élan pédagogique, afin de permettre à chacun de s’en faire une opinion claire et exacte. Interview!
* Monsieur le ministre, votre décision de résilier le contrat Gup (Guichet unique de paiement) entre la Banque postale du Congo et le Trésor public a suscité une controverse tendant à démontrer que le gouvernement est divisé. Quels éclairages pouvez-vous apporter à ce sujet?
** Tout d’abord, merci beaucoup d’être venu vers nous pour rechercher les éclaircissements nécessaires permettant de comprendre ces questions complexes concernant la gestion financière du pays. Ensuite, je vous sais gré de nous donner l’occasion d’éclairer la lanterne des Congolais sur l’importance de cette question, afin d’éviter les polémiques stériles.
Pour répondre à votre question, je dirais que voici des années, le Ministère de l’économie et des finances s’est engagé dans un processus de réformes hardies, en vue, d’une part, d’asseoir les bases d’une économie diversifiée et résiliente, porteuse d’une croissance durable et inclusive et, d’autre part, de rationnaliser la gouvernance des finances publiques.
Les réformes dont il s’agit ont été rendues nécessaires à la suite du diagnostic stratégique et de l’enquête de terrain réalisés, à la fois, par les services du Fonds monétaire international et ceux de l’Inspection générale des finances de notre pays. Les réformes ainsi engagées sont l’émanation d’un large consensus obtenu grâce aux vertus d’une approche participative et inclusive ayant intégré les convergences issues de nombreuses rencontres, sous forme d’ateliers et de réunions de travail, auxquelles avaient pris part, courant 2023, les cadres venus de tous les démembrements du Ministère de l’économie et des finances ainsi que bien d’autres structures partenaires tant publiques que privées.
Les réformes actuellement implémentées, en raison de leur pertinence et de leur nécessité urgente, ont donné lieu à la prise d’actes réglementaires au plus haut niveau de l’exécutif, à travers les treize décrets présidentiels du 6 mars 2024 portant réorganisation des services du Ministère de l’économie et des finances, suivis de la publication des arrêtés subséquents.
Mais, force est de constater qu’en dépit de ce qui précède, le processus de réformes en marche au Ministère de l’économie et des finances devient, dans certains cas, source de vives controverses. L’exemple le plus emblématique est la réforme relative au transfèrement des opérations d’encaissement de ressources publiques du Guichet unique de paiement (Gup) de la Banque postale du Congo, directement vers le compte courant du Trésor public à la B.e.a.c, au lieu de continuer à utiliser des comptes de passage ouverts dans ladite banque commerciale.
* Monsieur le ministre, sur quoi est fondée finalement cette décision de résiliation du contrat entre la Banque postale du Congo et le Trésor public relatif au Guichet unique de paiement?
** Cette décision repose sur un triple socle à savoir:
– au plan politique, l’instruction de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, lors de son message sur l’état de la Nation devant le parlement réuni en congrès, le 28 novembre 2024. Vous me permettrez de vous restituer textuellement l’instruction présidentielle qui dit: «À compter du 1er janvier 2025, les paiements au profit de l’Etat et des entités publiques devront se faire par des moyens sécurisés, garantissant leur traçabilité et leur centralisation au niveau du Trésor».
Cette instruction du Chef de l’Etat vise à éliminer les frais exorbitants qui assèchent mensuellement la trésorerie déjà maigre de l’État et l’endettement du Trésor public vis-à-vis de la Banque postale du Congo. Cette instruction vise, également, à résoudre, tant soit peu, le tarissement des ressources des collectivités locales, des budgets de transfert et le financement des projets ou politiques publiques.
Car, le biais introduit par l’utilisation des comptes dits de passage dans cette banque privée de l’Etat se traduit par l’absence de la tenue de la comptabilité au Trésor public. Cette situation de fait participe, dans une certaine mesure, à la dégradation du fonctionnement des entités publiques bénéficiaires de ces ressources et du climat social, comme nous le constatons, tous, ces derniers mois. A un an de l’élection présidentielle, face à la détresse de ces entités et d’un nombre important de nos compatriotes qui y sont employés, l’inertie ne peut apporter de solution. Seules, les réformes constituent l’unique voie pour résorber les problèmes qui s’imposent;
– au plan technique, cette décision prend sa source dans les recommandations essentielles issues du rapport d’enquête du F.m.i de 2020 et du diagnostic stratégique du Ministère de l’économie et des finances de 2023, relatives aux réformes institutionnelles dont celle concernant l’opérationnalisation de la fonction financière du Trésor et du Compte unique du trésor à la Banque centrale inscrites dans le programme d’actions prioritaires du Ministère de l’économie et des finances, pour les années 2023-2026. Elles ont pour objectifs l’optimisation et la sécurisation de trésorerie de l’État au travers d’une gestion unifiée de cette dernière, la production et la mise à disposition des services bancaires à coûts quasiment nuls au profit des entités publiques et l’inclusion financière.
Enfin, au plan juridique, elle prend appui sur la directive Cemac n°01/11-UEAC-190CM-22 relative aux lois de finances du 19 décembre 2011. Cette directive édicte les bonnes pratiques dans la gestion des Trésors publics nationaux de la zone Cemac, s’inscrivant ainsi dans la tendance mondiale actuelle de gestion desdits Trésors publics.
Au niveau de la législation nationale, nous avons notre loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances, précisément en son article 80, que je peux vous lire, qui stipule ce qui suit: «Les ressources publiques sont toutes, quels que soient la nature et l’attributaire, encaissées et gérées par des comptables publics nommés par le ministre chargé des finances et placés sous son autorité».
Le même article poursuit que «les ressources publiques sont versées et conservées dans un compte unique ouvert au nom du Trésor public à la Banque des Etats de l’Afrique centrale. Aucun compte ne peut être ouvert par une administration publique dans une banque commerciale, sauf dans les cas et dans les conditions déterminées par décret du Premier ministre, chef du gouvernement, sur rapport du ministre chargé des finances».
Je mentionne, également, le décret n°2022-66 du 2 février 2022 qui autorise l’ouverture du compte Guichet unique de paiement à la Banque postale du Congo, soumis à la signature exclusive du directeur général du trésor, qui est le comptable principal de l’État.
Comme chacun le sait, toute cette architecture juridique a été soigneusement ignorée par des pratiques blâmables et une série d’actes administratifs contraires et controversés dont il n’est point besoin de rappeler ici la teneur; lesquels actes sont, hélas, à l’origine du malaise que nous déplorons tous.
* Pourquoi l’encaissement des recettes de l’Etat par le truchement d’une banque commerciale serait-il en contradiction avec les règles de l’orthodoxie en matière des finances publiques?
** A ce sujet, je dirais que cette façon de faire est une anomalie au regard des bonnes pratiques internationalement reconnues en matière de gestion des finances publiques. Cette anomalie est décriée par les institutions financières internationales et les corps de contrôle de notre Etat ainsi que ceux de la sous-région.
Cette mauvaise pratique est une entrave à l’article 80 alinéa 3 de la loi organique relatives aux lois de finances, étant donné que, dans le cas d’espèce, les fonds dont il s’agit appartiennent à l’Etat et non à une administration qu’est le Trésor public, bien qu’il en soit le gestionnaire. Elle a eu, pour conséquences, entre autres, l’impossibilité pour le Trésor public d’accomplir les tâches comptables et financières qui lui sont traditionnellement dévolues, notamment:
– la maîtrise de l’unicité de la trésorerie de l’Etat;
– la nécessité de retracer les recettes par nature: T.v.a; taxe sur les transferts de fonds; taxes et contributions communautaires, etc;
– la rétrocession des ressources légalement dues aux collectivités locales, aux organismes à budget de transfert, aux comptes spéciaux du trésor, etc, ainsi que la nécessité de tenir, avec toute la rigueur voulue, les comptes de gestion, le Tableau des opérations financières de l’Etat (le Tofe) et le compte général de l’Etat.
* Monsieur le ministre, que pouvez-vous dire à l’endroit de ceux qui émettent des réserves sur la capacité du Trésor public d’accomplir, avec efficacité, sa fonction primaire de collecte et de gestion des recettes de l’Etat?
** Le fait de récuser les capacités du Trésor dans la traçabilité, la transparence, la responsabilité et la redevabilité en matière de gestion des recettes de l’Etat, est très regrettable et porte le discrédit sur la signature du trésor, qui rassure pourtant les investisseurs internationaux. Car, plusieurs éléments montrent le contraire.
En effet, avant la mise en place, à la Banque postale du Congo, du Guichet unique de paiement, héritier, en 2021, du Guichet unique de dédouanement (Gud) créé en 2013, le Trésor public assumait avec efficacité et assurance les services ci-après:
– l’encaissement des recettes fiscales et douanières en chèques et en espèces, par les receveurs des impôts et des douanes. Il se faisait au travers des modules «Caisse» dédiés aux applications métiers Sydonia, pour les droits de douane, et Systaf, pour les impôts;
– la tenue du livre journal via l’application E-Recettes, qui a connu plusieurs évolutions et adaptations depuis 2018, permettant au Trésor d’enregistrer tous les encaissements par imputation comptable, quel que soit le mode de paiement, et d’élaborer ses comptes de gestion et sa balance;
– la centralisation, dans le compte courant du Trésor, des recettes publiques dont les recettes fiscales et douanières, au travers de l’application Systac de la B.e.a.c pour les encaissements par chèque de banque;
– la rétrocession régulière des ressources des collectivités locales, des budgets de transferts et les comptes spéciaux du Trésor, en garantissant ainsi le financement des politiques publiques.
En vérité, avant la période de création du Gup, le Trésor public a enregistré des performances appréciables dans la régularité, la constance et l’efficacité du processus de réalisation de ces activités.
Par ailleurs, l’argument qui consiste à dire que le transfert des recettes fiscales et douanières du Gup se ferait vers le système manuel du Trésor est contraire à la réalité. A ce jour, les applications Systac (B.e.a.c), E-Recettes, E-Tax, Systaf et Sydonia sont, désormais, opérationnelles dans les agences comptables du Trésor en douane et aux impôts. En plus, tous les équipements informatiques, de caisse et de bureau, sur les sites du Gup appartiennent au Trésor. Ces équipements offrent ainsi un cadre conforme et favorable au transfert des opérations d’encaissement par le simple remplacement des guichetiers de la Banque postale du Congo par des agents du Trésor, donc par les comptables publics.
* Monsieur le ministre, qu’avez-vous constaté depuis le transfèrement, sans heurts, à partir de 2021, de l’encaissement des recettes fiscales et douanières par le Gup de la Banque postale du Congo?
** Nous avons constaté plusieurs choses:
– le niveau des restes à recouvrer des recettes fiscales et douanières a flambé au détriment des recouvrements desdites recettes;
– la gestion de la trésorerie, sur une base corrélativement étroite, entre l’instant et la disponibilité des encaisses, s’est gravement dégradée, au regard du décalage des reversements des recettes encaissées par la banque, dans le compte courant du Trésor à la B.e.a.c et, aussi, des écarts constatés entre ces reversements et les émissions prises en caisse par elle, qui empêchent la ventilation par nature des recettes encaissées. A ces écarts constatés et non-justifiés, de l’ordre de 100 à 123 milliards de francs Cfa sur la période 2021-2023, il sied d’ajouter le coût important des prestations du Guichet unique de paiement de la Banque postale du Congo, supporté par le Trésor public. Ce coût se situe entre 500 et 800 millions de francs Cfa par mois, agios compris;
– la perte totale de la traçabilité des recettes fiscales et douanières par nature, l’incapacité du Trésor à tenir sa comptabilité, notamment ses comptes de gestion et sa balance et à procéder aux rétrocessions des ressources affectées;
– la dégradation du climat social dans la totalité des collectivités locales, des entités publiques bénéficiaires des budgets de transfert et des projets publics financés par les comptes spéciaux du Trésor.
Enfin, nous avons constaté la mise en chômage d’un nombre important de comptables publics du Trésor, résolus, désormais, à des missions oisives au sein de la Direction générale.
* Certains pensent que la déconnexion du Gup serait prématurée, parce qu’intervenant avant l’opérationnalisation effective de la Banque du Trésor?
** Sur cette question, trois observations s’imposent:
– la première, c’est de noter que la Banque du Trésor n’a pas pour vocation de remplacer le Trésor public dans l’encaissement des recettes et l’exécution des dépenses publiques. Elle aura plutôt pour mission de gérer et de mutualiser les dépôts des entités publiques dans les comptes ouverts dans les livres du Trésor et, ainsi, centraliser toute la trésorerie de l’État, en créant les conditions de clôture des comptes desdites entités dans les banques commerciales;
– la deuxième observation, c’est de rappeler que la réforme institutionnelle du Trésor a été déjà entreprise à travers la publication, en date du 6 mars 2024, du décret présidentiel portant attributions et organisation de la Direction générale du Trésor. Ce texte intègre d’importantes innovations, notamment le fait qu’il prévoit des dispositifs de trois ordres: un dispositif de contrôle interne (audit et contrôle de gestion); un dispositif de gestion de la fonction bancaire et un dispositif de l’ingénierie et de l’inclusion financières;
– enfin, la troisième observation réside dans le fait que le processus de transfèrement des opérations d’encaissement au Gup de la Banque postale du Congo a été planifié et organisé depuis septembre 2024, comme l’atteste la note de service n°1242/MEFCAB relative à la mise en place des organes de gestion de ce processus. Ce dernier a été accéléré dans le souci d’appliquer l’instruction de Son Excellence Monsieur le Président de la République citée plus haut.
En outre, il convient d’éviter d’entretenir les deux confusions ci-après:
– la première est la confusion entre l’encaissement des recettes publiques dévolu au comptable public et la fonction bancaire du Trésor. Cette dernière a plutôt vocation à gérer les comptes de dépôts, les comptes des budgets de transfert et annexes, les comptes spéciaux du Trésor des entités publiques, etc;
– la seconde confusion est celle qui est souvent faite entre le Compte unique du Trésor (Cut) et le Compte courant du Trésor; tous les deux domiciliés à la Banque centrale. Le premier compte est une vue des soldes consolidés des comptes des entités publiques dans les banques commerciales par le Trésor public, d’une part, et le second est le compte d’encaissement et de centralisation des recettes et de paiement des dépenses par le Trésor, d’autre part.
Pour rappel, le Compte unique du Trésor n’est pas un projet du Trésor public congolais, mais celui de la B.e.a.c impliquant les six pays de la zone Cemac. Le Cut sera adossé à une convention harmonisée en cours de signatures au siège de la Banque centrale. Sa vocation est le rattachement des comptes du Trésor à la B.e.a.c et ceux des autres entités publiques dans les banques commerciales, tel que préconisé dans le Programme de réformes économiques et financières de la Cemac (Pref-Cemac), en vue de donner une vue panoramique unique de l’ensemble de la trésorerie de l’État ainsi oisivement disséminée.
* Un mot de fin pour conclure notre entretien?
** Je vous remercie, une fois de plus, d’être venu vers nous, pour nous permettre de faire cet exercice de pédagogie qui nous paraît nécessaire. Car il s’agit, ici, d’un sujet particulièrement sensible et de haute portée stratégique, pour la vie de l’Etat et de la Nation. J’ose espérer avoir pu apporter de la lumière là où il y avait de l’obscurité. J’ose également espérer que chacun a fini par se rendre à l’évidence que si, à l’origine et en toute bonne foi, le Gup, le Guichet unique de paiement, domicilié dans une banque commerciale, en l’occurrence la Banque commerciale du Congo, avait été conçu et déployé, dans le but de maximiser la collecte des recettes publiques, aujourd’hui, on doit à la vérité de reconnaître que ce dispositif a montré ses limites. Par conséquent, il est de la seule responsabilité du Trésor public d’assumer, à nouveau, cette charge qui fait d’ailleurs partie de ses missions traditionnelles.
J’ajouterais qu’au regard de l’incompatibilité qui existe entre la fonction d’ordonnateur et celle de comptable, et suite à l’instruction du directeur général du Trésor, comptable principal de l’Etat, du 2 janvier 2025, rien ne saurait justifier la rétractation des directeurs généraux des administrations fiscales et douanières, ordonnateurs délégués de paiement des recettes publiques, ainsi qu’en témoignent leurs notes respectives des 3 et 7 janvier 2025.
Propos recueillis par Hervé EKIRONO