Jean-Félix Demba-Ntélo, président de la Fédération de l’opposition congolaise, a publié à mardi 16 juillet 2024, à Brazzaville, une déclaration intitulée: «Accords Congo-Rwanda: du mensonge d’Etat à l’insulte au peuple congolais». Cette déclaration situe les responsabilités des deux pays et n’épargne aucun acteur. «Même le P.c.t, parti géniteur du pouvoir actuel, souvent très prompt à voler au secours des décisions gouvernementales, a dû prendre des distances face à ces accords très controversés», écrit-il. Voici un large extrait de cette déclaration.
«Malgré le tollé et la réprobation générale suscitée dans l’opinion nationale, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur au sein de la diaspora congolaise, le gouvernement Anatole Collinet Makosso persiste, droit dans ses bottes, à défendre l’indéfendable, c’est-à-dire l’acte de bradage de la souveraineté nationale de notre pays, aux intérêts de l’expansionnisme rwandais.
Le recadrage net et sec, par le président du sénat, en séance plénière de la haute chambre, du Premier ministre Anatole Collinet Makosso, confirme cette assertion. Pour la Fédération de l’opposition congolaise, la persistance dans l’erreur du gouvernement à travers sa posture sur ces accords, est la confirmation d’une politique délibérément choisie et mise en œuvre par le pouvoir actuel, en parfaite adéquation avec la pratique avérée déjà, depuis plusieurs décennies, du bradage sans limites ni restrictions aux intérêts étrangers, des pans entiers de l’économie congolaise, notamment avec: l’exploitation pétrolière et du gaz aux sociétés françaises et italiennes; le commerce général et l’alimentation, sans contrôle ni garantie de qualité, aux importateurs et détaillants ouest-africains, libanais, indo-pakistanais, etc; les mines solides, le bois et la pêche aux chinois, malaisiens et autres sociétés ou sujets étrangers; les transports aériens et les infrastructures de base, portuaires et aéroportuaires, toujours aux sociétés étrangères. Autrement dit, aucun secteur économique, y compris les plus sensibles et stratégiques de notre souveraineté nationale, n’échappe à l’emprise des intérêts étrangers.
Les accords congolo-rwandais, (la goutte qui fait déborder le vase), ne constituent donc que la confirmation et la continuité d’une politique de renoncement à la souveraineté nationale, mise en œuvre délibérément par différents gouvernements, sous l’autorité du Président Denis Sassou Nguesso, en plus d’une quarantaine d’années de règne sans partage. Cette main-mise étrangère sur les secteurs vitaux de l’économie nationale, a pour corollaire l’installation et la consolidation des circuits mafieux, couronnées par une corruption endémique des agents des administrations publiques, civiles et militaires.
Acculés et à bout d’arguments face à une large opinion nationale hostile auxdits accords, le Premier ministre et les ministres concernés par ces accords se sont empêtrés et confondus dans des explications et interprétations contradictoires de ces accords, entre la «cessation expresse pour un bail de 2 à 20 ans, renouvelables, consenti à des sociétés agricoles de droit congolais», selon Anatole Collinet Makosso, et «des cessions en bail emphytéotique pour des cultures de ricins à la demande de la société pétrolière Eni», selon Denis Christel Sassou Nguesso. Une véritable cacophonie et confusion dans les explications des membres du gouvernement, qui cachent très mal l’esprit de mensonge qui entourent ces accords signés avec le Rwanda, en violation de la Constitution du 25 octobre 2015.
Face à cet imbroglio gouvernemental au Congo, le Président rwandais, Paul Kagamé, dont le pays est l’unique et seul bénéficiaire de ces accords, s’est empressé d’envoyer auprès de son homologue congolais, son ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale, afin de corroborer les mensonges des membres du gouvernement congolais, dépassés par le débat ouvert au sein des forces vives de notre pays.
Reçu par le Président de la République du Congo, le mercredi 10 juillet 2024, le ministre rwandais, au secours du gouvernement congolais, a déclaré à sa sortie de l’audience, que «le Congo n’a ni cédé, ni vendu des terres au Rwanda; que les accords signés entre les deux gouvernements garantissent les intérêts réciproques des parties, sur la base du principe gagnant-gagnant, c’est-à-dire que les Congolais, au même titre que les Rwandais viendront au Congo, pourront venir aux Rwanda, développer leurs activités économiques, que la polémique suscitée par ces accords sur «la prétendue vente des terres congolaises» serait le fait des «groupes politiques», autrement dit des forces de l’opposition congolaise, qui refuseraient, selon lui, de reconnaître les réalisations du Président de la République du Congo, sans les citer.
Voilà en résumé ce qu’a déclaré le ministre rwandais des affaires étrangères et de la coopération internationale, venu au secours de ses partenaires congolais, signataires des accords controversés sur la cession des terres dans les départements Sud du Congo.
Dans les affirmations du ministre rwandais, de deux choses l’une: «soit que cet envoyé du Président Paul Kagamé s’est exprimé dans l’ignorance totale sur les vraies origines de cette polémique, ce qui résulterait d’une véritable irresponsabilité d’un chef de la diplomatie de son pays; soit alors qu’il est venu en mission au Congo avec l’intention délibérée de faire injure au peuple congolais, considéré comme inculte, donc incapable de comprendre les enjeux de cette duperie congolo-rwandaise».
Le ministre est-il donc venu, animé par l’esprit de provocation et de mépris à l’égard du peuple congolais? En tenant ces propos insultants au sortir d’une audience avec le Président de la République du Congo, le ministre rwandais ignorait-il que le 27 juillet 2021, l’ambassadeur rwandais au Congo, dont il est l’autorité de tutelle, avait rendu visite au ministre en charge des questions foncières, Pierre Mabiala, pour solliciter les titres fonciers des terres vendues à son pays? Ignorait-il que les titres fonciers décernent de plein droit le statut de propriétaire du terrain vendu ou acquis? Ignorait-il qu’au cours d’une édition du journal de la télévision publique rwandaise, du 30 mars 2024, l’annonce a été faite sur l’acquisition, par le Rwanda, de 980 km2 de terre au Congo, et qu’une mission de reconnaissance des sites par des experts rwandais y a séjourné du 4 au 7 mars 2024, pour en apprécier les atouts? Et qu’à la suite de cette mission rwandaise sur le terrain, plusieurs sujets ou sociétés rwandais avaient exprimé leur joie et engagement d’aller cultiver au Congo du piment, du maïs, du soja et autres cultures à exporter par le port congolais de Pointe-Noire?».
«La persistance dans l’erreur ne vous honore pas, Monsieur le Président de la République. Seule votre décision sur l’annulation de ces accords, périlleux pour notre pays, peut vous sortir grandi de cet imbroglio gouvernemental», conclut Jean-Félix Demba-Ntélo.