Certes, les réseaux sociaux ont leurs défauts. Mais, ils ont aussi des avantages surtout pour les citoyens. Entre autres avantages, ils sont devenus une bouée de sauvetage pour les sans voix, pour les citoyens des basses classes ne pouvant pas atteindre les dirigeants dans les hautes sphères de l’Etat. C’est le cas de Roberto Lissassi, un jeune congolais de 27 ans, diplômé sans emploi, victime de torture policière en 2023 et dont l’affaire, aujourd’hui en justice, a provoqué un buzz sur les réseaux sociaux congolais, depuis la semaine dernière, lui assurant une grande visibilité au sein de l’opinion congolaise. Mais, cette affaire a pris une tournure étonnante, par la suite, puisque Roberto Lissassi a été arrêté, contre toute attente, pour consommation de chanvre indien. Ses proches dénoncent un coup monté contre lui et exigent sa remise en liberté.
Avec le soutien des organisations de défense des droits de l’homme, Roberto Lissasi avait porté plainte au Tribunal de grande instance de Brazzaville, contre son présumé bourreau, le commandant de la Bsir (Brigade spéciale d’intervention rapide de la police nationale), le capitaine Gayi Obora Mouesse. Depuis, l’affaire traîne en justice. Le procès n’a toujours pas lieu. Son avocat, Maître Yvon Ibouanga, avait saisi la présidente de la chambre correctionnelle du tribunal, Mme Stella Yoka, par voie de citation directe. Mais, depuis, l’affaire n’avance pas. Toujours pas de procès. Lundi 9 décembre dernier, il y avait une audience. Mais, l’affaire n’a pas été appelée.
Selon Roberto Lissassi, son affaire donne lieu à un bras de fer entre magistrats et il dit avec détails, dans les réseaux sociaux, ce qui s’est passé au niveau du tribunal. Il accuse le procureur de la République de bloquer le dossier, pour que les concernés ne soient pas jugés.
Le procureur de la République a réagi, mercredi 11 décembre, par une mise au point où il rappelle que «le code de procédure pénale, en son article 608, précise que, lorsqu’un officier de police judiciaire est susceptible d’être incriminé ou d’être inculpé d’un crime ou délit commis hors ou dans l’exercice de ses fonctions, le procureur de la République saisi de l’affaire présente, sans délai, requête à la chambre judiciaire de la Cour suprême qui procède et statue comme en matière de règlement des juges et désigne la juridiction chargée de l’instruction ou du jugement de l’affaire. Or, ces dispositions s’appliquent précisément à l’affaire Ministère public et Lissassi Roberto Dieuleveut contre Obora Mouesse Armand Judicaël, Atsouaya Yann et autres et ce, en raison de leur statut d’officier de police judiciaire et conformément à l’article 16 nouveau du code de procédure pénale.
Par ailleurs, il sied de noter que Monsieur Lissassi Roberto avait saisi auparavant la doyenne des juges d’instruction, en date du 13 novembre 2023, pour des faits de coups et blessures ayant entraîné une perte d’un œil et vol contre les sus-nommés. Vu la qualité d’officier de police judiciaire de ces personnes et fort de ce constat, le parquet de la République avait saisi la chambre pénale de la Cour suprême, aux fins de désigner la juridiction chargée de l’instruction et éventuellement du jugement de cette affaire, conformément aux dispositions de l’article précité et actuellement, la procédure est pendante devant cette juridiction.
Curieusement, Monsieur Lissassi Roberto a saisi la première chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Brazzaville, par voie de citation directe par exploit d’huissier en date du 2 novembre 2024 des mêmes faits à l’encontre des mêmes personnes. Au cours de l’instruction de l’affaire devant cette juridiction, le parquet de la République avait requis le sursis à statuer, au motif que les prévenus avaient la qualité d’officier de police judiciaire et, par conséquent, ce dossier devrait être transmis à la Cour suprême, chambre pénale, pour la désignation de la juridiction chargée de l’instruction et éventuellement du jugement de cette affaire. C’est cela, la règle de procédure. Contre toute attente, le tribunal a jugé mal fondée cette exception et a maintenu la poursuite du débat.
Veillant à l’application stricte de la loi, le parquet de la République a immédiatement relevé appel et l’a notifié au juge. Mais encore une fois, les juges, en violation flagrante des règles élémentaires qui garantissent la bonne administration de la justice, se sont obstinés à renvoyer l’affaire à l’audience fixée au 9 décembre 2024. La mission du parquet de la République étant de veiller à la bonne application de la loi, le dossier de la procédure est en cours de transmission à la Cour d’appel, laquelle statuera sur les mérites du jugement avant dire droit, rendu par le tribunal.
En définitive, l’affaire Ministère public et Lissassi Roberto contre Obora Mouessé Armand Judicaël, Otsouaya Yann et autres suit son cours, conformément aux règles de procédure, contrairement aux propos diffusés sur les réseaux sociaux. La justice sera rendue dans cette affaire».
Coup de théâtre, quand le plaignant est arrêté
Le lendemain de la mise au point du procureur de la République, l’affaire Ministère public et Lissassi Roberto Dieuleveut contre Obora Mouesse Armand Judicaël, Atsouaya Yann a pris un tournant rocambolesque. Le plaignant Roberto Lissassi a été arrêté par la police et présenté devant le procureur de la République, avant d’être placé en garde-à-vue au commissariat central de police.
Dans une déclaration faite le jeudi 12 décembre, le procureur de la République explique que l’arrestation de Roberto Lissassi s’est faite dans le cadre de l’opération «Coup de poing», lancée par la force publique depuis le mois de mai dernier. Roberto Lissassi a été arrêté au cours d’une patrouille de routine, aux environs de 16h, au niveau de l’arrondissement 4 Moungali. Deux autres jeunes ont été arrêtés avec lui, en flagrant délit de consommation de chanvre indien dans un fumoir ainsi que de la cocaïne. Ils ont été placés en garde-à-vue, pour les faits d’association de malfaiteurs et de consommation de stupéfiants. «Au regard de l’extrême gravité des faits, tous les suspects retrouvés sur les lieux du crime seront déférés à mon parquet, le lundi 16 décembre», a dit André Oko Ngakala.
Indignation et tollé chez les défenseurs des droits de l’homme qui accompagnent Roberto Lissassi dans sa quête de justice, pour obtenir réparation des préjudices subis, notamment la perte d’un œil, à la suite des tortures infligées par la police. Sa mère en larme s’est fendue d’une déclaration poignante au couple présidentiel, pour obtenir la remise en liberté de son fils qui, mal voyant, ne fume pas en raison de problème de santé. Elle témoigne que son fils a été victime d’un guet-apens, pour l’arrêter. Ce que confirment les défenseurs des droits de l’homme qui sont convaincus que l’arrestation de Roberto Lissassi est une histoire cousue de fil blanc, qui n’a servi qu’à la police et au procureur de la République, de prendre leur revanche contre l’infortuné, en raison de ses déclarations dans les réseaux sociaux.
Il est étonnant, en effet, de constater que les personnes arrêtées dans le cadre de l’opération «Coup de poing» soient immédiatement présentées devant le procureur de la République, alors que cela ne se passe pas de la sorte dans cette opération. En plus, rien n’a été montré des instruments de prise de cocaïne: seringue, tube, flocon, etc. Est-ce pour faire taire Roberto Lissassi qu’il a été arrêté? La question se pose. Dans ces conditions, quel procès passera en premier: l’affaire sur la torture ou l’affaire sur la consommation de chanvre indien et de cocaïne? A la justice de dire le droit et surtout, de regarder cette arrestation qui paraît comme une tentative de déni de justice contre un pauvre citoyen qui, depuis trois ans, cherche que justice soit faite sur ce qu’il a subi.
Jean-Clotaire DIATOU