La crise se définit comme étant, entre autres, en proie à des moments difficiles et généralement décisifs dans l’évolution d’une société ou d’une institution. L’intérêt du gouvernement, c’est de faire que l’Etat retrouve sa puissance, toute sa puissance d’exercer son autorité absolue sur l’ensemble des individus et des entreprises, pour une plus grande influence. Tout passe. Et comme toujours dans la vie, un homme se lève chaque jour, un autre disparaît. Mais, la Nation demeure. Certes, les Congolais ne s’intéressent plus au marxisme. Comme disait Gandhi, «je ne m’interroge pas à ce sujet-là. Je n’ai rien contre la philosophie du socialisme. Mais son programme, tel qu’il est formulé, ne peut se réaliser sans violence».
Selon Gandhi, les moyens viciaient les fins, et qu’user de la violence ne pouvait servir une cause non-violente. Les Congolais veulent que l’histoire ait un sens. C’est-à-dire inviter l’homme à maîtriser sa nature et à rendre conforme à la raison, l’ordre de la vie en commun. Le Congo ne peut suivre la voie qui entraîne vers la décadence. Nous devons nous efforcer de situer le moment présent dans un devenir.
En d’autres termes, c’est notre conscience historique qui nous l’impose. Nous devons, pour ainsi dire, remonter vers le passé, pour établir jusqu’à quel point tel évènement dérive ou non. Et puis, l’homme conscient descend vers l’avenir, afin de changer quelque chose, même si on ne peut pas tout changer, malgré sa grandeur.
Que peut-on changer?
Que nous soyons disciples de Marx ou de Jaurès, le changement n’est plus une option, c’est un devoir. D’abord, le Congo doit se réconcilier avec lui-même. Un système politique ne peut pas perdurer et en même temps n’être rien, sans la manière d’agir déterminée qui en découle, sans aucune qualité. Les plus grandes Nations développées font toutes de la décentralisation, leur cheval de bataille. N’est-ce pas le temps de redonner à l’Etat de quoi il est fait? On retrouve un même projet, quand Goethe proclame: «Le meilleur gouvernement est celui qui nous apprend à nous gouverner nous-mêmes».
Ne nous comportons pas comme si l’aventure de l’homme noir est terminée. Resté depuis quatre siècles dans un berceau, il a reçu l’homme blanc parti des rives d’Europe. Cet homme blanc était porteur d’une civilisation technique qui entraîne encore son indiscutable suprématie. Ce qui est un enjeu, à l’occasion de cette rencontre, c’est d’abord la nécessité de mettre en harmonie la responsabilité politique de l’acteur politique avec la justice de la cité. On trouvera le développement de cette théorie dans le manuel de la science politique.
Grâce à Saint-Augustin, la philosophie est, enfin, parvenue à se faire une idée nette et exacte de notre cité: «C’est fierté et honneur de donner ma parole contre l’inégalité des richesses, contre l’injustice et pour le triomphe de la raison…».
Toute civilisation se présente comme un organisme vivant: elle se transforme et s’adapte sans cesse; comment travailler à minimiser les crises et à la réalisation d’une paix viable et durable, sinon en s’efforçant d’apporter aux maux leur développement intellectuel. Dans la vie, le développement n’est pas seulement la base, mais le bâtiment tout entier. En explorant l’intérieur du bâtiment, on s’inscrit pour le bonheur de l’homme qui y vit pleinement. Tout cela a un sens: faire la politique, une voie qui conduit vers soi et vers les autres.
En dépit de tout, la crise n’est, d’une certaine manière, qu’une péripétie de parcours. Jusqu’aux dernières élections, les Congolais n’ont pas vraiment le moyen de se faire entendre sur le type de société qu’ils ne veulent ni même d’en débattre. Les élections n’ont jamais eu d’enjeu pour réagir fort et vite.
Comment réagir?
Dans cette Afrique emportée par l’ouverture prochaine du marché africain, le Congo prend du retard. Il n’y a de solution à ce problème que par le renforcement des moyens et de l’autorité de l’organisation de l’Etat. Une réflexion commune demeure cependant possible entre eux, les Congolais: dialoguer, promouvoir une société plus juste. Pour cela, il faut se consacrer sur des choix économiques qui peuvent nous mobiliser. C’est là que peut germer l’idée de repartir à la conquête des marchés naturels que sont la RD Congo, l’Angola, la Centrafrique et le Tchad. Le petit Congo d’à peine six millions d’habitants a tout intérêt à explorer ces parts de marchés.
Il y a aussi ce qu’on appelle le moteur de l’enthousiasme; il est souvent lié à des rencontres. Le marché africain, c’est la rencontre de ceux qui considèrent que les alternances sont des opportunités d’idées, que les politiques doivent poser des questions essentielles aux experts et que des débats doivent nourrir bien des réflexions sur les institutions financières de notre temps.
Participer pleinement à la croissance nationale, en devenant un pôle économique où la grande inclinaison économique peut s’opérer, cela est possible. Dans les années 90, le vieux Mbemba Saolona, le tout-puissant président de la Chambre de commerce de Kinshasa, a partagé cette vision avec le ministre du commerce, des petites et moyennes entreprises et de l’artisanat, Marius Mouambega. En 1997, il y a eu, à Brazzaville, la signature d’un protocole d’accord en vue de la création d’un port franc, pour développer et réguler les activités économiques entre Brazzaville et Kinshasa. Il n’a manqué que la pose de la première pierre.
En 1990, la Suco (Sucrerie du Congo) et la Sucrerie de Kwilu-Ngo du Zaïre avaient signé un contrat de fourniture de 15.000 tonnes de sucre en vrac. Cette part de marché a permis à la Suc d’améliorer ses ventes sur le marché de la sous-région. Pour la Suco, l’impact de ce contrat était énorme, quand on sait qu’à l’époque, la consommation de sucre était de l’ordre de 15.000 tonnes. Avec un tel élan, la Suco pouvait doubler sa production. Ajouter à cette part de marché, les stocks écoulés sur le marché de la Centrafrique, soit 1.500 tonnes de sucre en morceaux.
Malheureusement, chez nous, tout est éphémère, prosaïque. Ces projets se sont éteints depuis 1997. Le Congo de l’après 15 août 2025 ne peut plus prendre le risque de succomber. Nombreux sont les Congolais qui partagent ce refus: pour revenir à ces années 1958 et 1960, les évènements de 1997 et 1998 pèsent encore trop lourds. Il faut le rappeler, car il faut être attentif aussi aux mauvaises clameurs de la cité, qui ne cessent de monter.
Combattre le fléau du tribalisme
L’imaginaire politique d’aujourd’hui, c’est la solidarité nécessaire entre les Congolais du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Beaucoup de compatriotes pensent comme moi. On peut survivre à une épidémie, à la maladie ou à toutes sortes de souffrances, mais la tragédie la plus poignante est celle de l’injustice et de l’insécurité: c’est le gros nuage noir issu du tribalisme. On ne le dira jamais assez, ce fléau fait pâlir la lumière du bonheur congolais. De 1958 à 1965, on appréciait une République qui séduisait à la base; les Congolais apparaissaient, aux yeux des visiteurs, comme des hommes et des femmes qui étaient à leur place dans leur quête du bonheur.
Riche de sa tradition, de son passé, le Congo doit avoir un effet positif sur les citoyens et ses dirigeants. Notre héritage est le patrimoine d’un engagement actif au service de la République. Alors, il nous reste à rendre les idées de la gouvernance plus simples, plus claires, plus efficaces. La réalité politique doit s’imposer. La politique, lorsqu’elle procède de la sorte, sonne le glas de l’irresponsabilité et plaide pour une idéologie qui peut se montrer plus attentive, plus constructive, humble avec de la méthode. Le défi, pour les Congolais, est de passer à un système épuisé, improductif, à celui d’incarner un pouvoir transformateur et modernisateur de l’Etat.
Un autre mode de développement est possible. Mais, à quelles conditions ce mode pourra-t-il advenir? N’hésitons pas à faire appel à la civilisation. Autrement dit, renouons avec la tentative de réprimer les bas instincts de notre nature et de trouver moyen de vivre décemment ensemble, avec au moins un vernis de culture et un minimum de plaisir. Les acteurs de la politique et les acteurs de la société civile devraient y trouver ce que l’on pourrait nommer «la quête de sens». C’est le moyen de trouver des réponses satisfaisantes dans les crises et les interrogations existentielles. Ayant surtout envie de communiquer surtout notre profonde croyance dans la créativité humaine et dans la capacité de la démocratie à vaincre l’horreur politique et économique du tribalisme.
Joseph BADILA