Il ne fait pas de doute que la dette de l’Etat à la société Commisimpex, adossée aux deux sentences de la Cour internationale d’arbitrage de la C.c.i (Chambre de commerce internationale) de Paris, est un héritage toxique que la génération actuelle aux affaires publiques risque de léguer aux générations futures. Et même si le P.n.f (Parquet national financier) de Paris annulait la sentence du 21 janvier 2013, pour cause de corruption, il restera la sentence du 3 décembre 2000 qui continuera à produire ses effets. C’est dire que dans cette affaire, le Congo ne pourra plus s’en sortir sans tâter ses poches. L’affaire est arrivée trop loin, pour espérer qu’elle peut être balayée d’un revers de la main, par une quelconque juridiction.
L’affaire de la dette de l’Etat congolais à Commisimpex est bien partie de Brazzaville. Dès le départ, à la fin des années 80, c’est une dette reconnue par toutes les instances congolaises traitant de la dette. A ce propos, dans son arrêt du 27 juin 2003, la Cour suprême, présidée alors par Placide Lenga, rappelait ce qui suit:
«D’après la Caisse congolaise d’amortissement, les créances de Commisimpex s’élevaient à la somme 29.949.284.818 francs Cfa (29 milliards 949 millions 284 mille huit cent dix-huit francs) à la fin de l’année 1986. Ce montant représentait les créances en principal et les intérêts arrêtés par la Caisse congolaise d’amortissement ; dans une fiche technique de calcul.
Le 13 février 1987, Commisimpex avait trouvé pour la République du Congo, un prêt de 45 millions de dollars américains, consenti par une banque parisienne. Sur ce montant, la République du Congo lui avait concédé, le 27 avril 1987, un paiement de 15 millions de dollars américains. Ensuite, le 14 octobre 1992, le patron de Commisimpex, Mohsen Hojeij, signait, avec l’Etat congolais représenté par le ministre en charge des finances, Nguila Moungounga Nkombo, et le directeur général de la Caisse congolaise d’amortissement, le protocole d’accord n°566 selon lequel la dette restante était consolidée à hauteur de 22 milliards de francs Cfa, assortie d’un taux d’intérêt de 10,5% par année de retard. Après cet accord, l’Etat congolais avait émis à l’ordre de Commisimpex, pour le règlement de la dette, huit séries de billets à ordre en francs Cfa et en devises (dollars américains, livres sterling, francs français).
C’est ainsi que n’arrivant à recouvrer ses créances et détenant les billets à ordre, Mohsen Hojeij, avec l’assistance de ses avocats, va saisir, le 13 mars 1998, la Cour internationale d’arbitrage de la C.c.i (Chambre de commerce internationale) de Paris, conformément à la clause compromissoire contenue dans le protocole d’accord n°566. Par une sentence arbitrale définitive, rendue le 3 décembre 2000, le Tribunal arbitral a condamné solidairement la République du Congo et la Caisse congolaise d’amortissement à lui payer diverses sommes d’argent, assorties d’un taux d’intérêt de 10,5% par année de retard.
L’Etat congolais ne payant toujours pas, Commisimpex a saisi, le 3 septembre 2001, le Tribunal de commerce de Brazzaville, qui avait désigné le Cabinet d’expertise comptable Ernest & Young, pour déterminer les montants dus. Le 25 septembre 2001, le cabinet rendait son rapport établissant la dette à la somme de 7 milliards 221 millions de francs Cfa. Sur la base de ce rapport, le président du Tribunal de commerce de Brazzaville rendait, le 9 novembre 2001, «une ordonnance sur pied de requête» par laquelle il confirmait ce montant, en plus du montant lié à la sentence rendue par le Tribunal arbitral de Paris, en y appliquant les intérêts relatifs aux années de retard.
Le tribunal de commerce de Brazzaville ordonnait par ailleurs à la Caisse congolaise d’amortissement d’inscrire la totalité de ces sommes au titre de la dette de l’Etat. Il avait décidé qu’à compter du 30 septembre 2001, ces sommes seront réévaluées selon le taux de 10,5% l’an, avec actualisation annuelle jusqu’à leur entier paiement par la Caisse congolaise d’amortissement.
Le gouvernement et la C.c.a feront appel de cette décision et iront jusqu’en cassation à la Cour suprême qui, le 27 juin 2003, casse l’arrêt de la Cour d’appel qui allait dans le sens de la décision du Tribunal de commerce, et qui renvoyait les parties à l’exécution de la sentence rendue par le Tribunal arbitral de Paris. C’est dire que la bataille judiciaire dans la dette de l’Etat congolais à Commisimpex est bel et bien passée à Brazzaville.
D’ailleurs, est-ce pour éviter la procédure judiciaire? En août 2003, il y a eu un accord de règlement à l’amiable. Ce fameux accord qui sera fixé étrangement à 48 milliards de francs Cfa, au lieu de 22 milliards. Le Congo va ensuite dénoncer cet accord, comme ayant été signé sur la base d’un faux document, à savoir une lettre attribuée au Président de la République qu’il aurait adressée au patron de Commisimpex. Bref, l’évolution de cette affaire dans les instances congolaise se fera sur fond d’un climat de corruption ambiant et la société Commisimpex décrite comme faisant partie «des créanciers qui préfèrent user de leur réseau d’influence dans l’espoir d’obtenir un traitement plus favorable», les démarches engagées par celle-ci en 2003 et 2004 s’inscrivant clairement dans cette stratégie. Mais, on a beau dénoncer le climat de corruption ambiant, dès lors qu’au Congo, personne n’est condamné pour corruption, il est difficile de convaincre à l’étranger sur ce climat de corruption ambiant.
«Une information judiciaire a été ouverte par réquisitoire introductif en date du 15 avril 2022, des chefs de corruption active et passive. Ce dossier trouve son origine dans une plainte émanant de la République du Congo, adressée au P.n.f au mois d’octobre 2021», avait fait savoir le ministère public, en août 2022. Dans le viseur du Parquet national financier, le président du Tribunal arbitral qui avait rendu l’arbitrage de 2013, Yves Derains, soupçonné d’avoir «entretenu des liens financiers et secret» avec le patron de la société Commisimpex, comme cela se passait à Brazzaville. Le Congo attend donc l’aboutissement de l’ouverture de cette information judiciaire. Comme qui dirait, dans l’affaire de Commisimpex, la corruption a été de beaucoup pour aboutir à des montants qui sont loin des travaux réalisés au Congo et de leurs intérêts. Nous ne reviendrons sur cette affaire que s’il y a de nouveaux rebondissements.
Jean-Clotaire DIATOU