Désormais, les Congolais savent que l’Etat congolais est en faillite financière, depuis le mois de septembre dernier, au moment où il a donné la preuve de son insolvabilité à régler un échéancier de la dette intérieure liée au marché financier de la Cemac (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale). Depuis, on a découvert l’ampleur du mal. Notre Trésor public est très endetté et ne peut plus recourir au marché financier sous-régional, tant qu’il n’a pas réglé les échéanciers de sa dette. Le gouvernement a réagi en mettant en place le Pnot (Programme national d’optimisation de la trésorerie), qui est, après l’effet de surprise sur le marché, en train de connaître un succès inattendu, donnant ainsi un grand espoir de sortie de crise.
Il faudrait encore aux Congolais faire preuve de patience, avant de voir l’Etat sortir enfin la tête de l’eau, dans la crise financière qu’il connaît actuellement. Une crise due principalement et il ne faut pas se voiler la face pour le reconnaître, à des causes internes. En effet, les rivalités souvent sourdes mais parfois ouvertes entre dirigeants et cadres et le cloisonnement du fonctionnement des services d’Etat à travers des clans qui empêchent la circulation de l’information, etc, a fini par avoir raison de l’efficacité de l’action publique, sur fond des pratiques de détournement de chapitres et de fonds publics.
Le Congo a profité de la création du marché sous-régional des titres publics de la Cemac, lancé en novembre 2011, à Yaoundé (Cameroun), pour régler ses problèmes de trésorerie, comme d’autres pays de la sous-région le font. Il y a fait son entrée six ans plus tard, le 22 février 2017. Malheureusement, il y est devenu le pays le plus endetté. «A fin septembre 2024, l’encours des B.t.a et des O.t.a du Congo s’élevait à 2.314 milliards de francs Cfa, pour une maturité moyenne de trois ans, dont 62,7% (soit 1.451 milliards de francs Cfa) s’amortissant d’ici à fin 2026», rappelle le communiqué du Ministère de l’économie et des finances publié le 14 octobre dernier.
En principe, quand le Trésor public lève les fonds dans ce marché, à travers les B.t.a et O.t.a (Bons et obligations du trésor assimilables), pour payer les salaires, il rembourse avec les recettes qui lui parviennent tout au long du mois, à travers les régies financières (Impôts, douane, directions générales collectant les recettes des services publics, mairies, etc). Par mois, les besoins de trésorerie sont autour de 80 milliards de francs Cfa, pour faire face aux salaires et aux transferts. Or, les recettes fiscalo-douanières plafonnent à 75 milliards de francs Cfa par mois. S’il faut ajouter le remboursement de la dette, on voit le déficit. Il faudrait au trésor public mobiliser environ 130 milliards de francs Cfa par mois, pour s’en sortir. Ce qui n’est pas possible.
En effet, en dépit des régimes de réformes qu’on inflige à l’Etat, depuis les années 2000, suivant différents programmes, pour maximiser les recettes publiques, celles-ci ne remontent pas correctement au Trésor public. Ces derniers temps, les dysfonctionnements sont même devenus tellement importants que le Trésor public est parfois asséché. D’où l’expression: «Les caisses de l’Etat sont vides».
Le plus grand contributeur du Trésor public, c’est la S.n.p.c (Société nationale des pétroles du Congo), en raison du mandat de commercialisation du profit-oil que l’Etat congolais lui a confié à travers la convention signée en 2001. Il s’avère que le même Etat s’engage dans des conventions internationales où la contrepartie est directement indexée sur les cargaisons de pétrole vendues par la S.n.p.c, à l’instar du partenariat stratégique avec la Chine ou des emprunts effectués auprès des traders pétroliers. Ce qui fait que les remontées de recettes issues de la vente des cargaisons se raréfie parfois au Trésor public, parce que la S.n.p.c est obligée de faire face aux engagements de l’Etat congolais dans des accords internationaux. Les Congolais se demandent souvent: où va l’argent du pétrole? Ils n’ont qu’à voir les conventions que l’Etat signe pour le comprendre.
L’autre problème se situe au niveau de la mobilisation des recettes internes, notamment les impôts, la douane et les menues recettes collectées par les directions générales dans de nombreux départements ministériels. Les recettes fiscalo-douanières plafonnent à 75 milliards de francs Cfa par mois alors qu’il faut au moins 130 milliards de francs Cfa par mois, pour faire face à la dette. De plus en plus, ces recettes n’arrivent plus directement au Trésor public et sont parfois dépensées par les services qui les collectent.
Pour corriger ces dysfonctionnements, le gouvernement, qui s’est lancé dans l’assainissement du portefeuille de l’Etat, a décidé de centraliser désormais, dans le cadre du Pnot, les ressources de l’Etat dans un compte à la B.e.a.c (Banque des Etats de l’Afrique centrale) pendant dix ans, à hauteur de 4.200 milliards de francs Cfa. L’objectif étant de garantir le remboursement des créances du marché des titres publics de la Cemac, qui s’élèvent, comme on l’a signalé, à 2.314 milliards de francs Cfa Cfa. C’est un grand défi pour le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, pour son Premier ministre Anatole Collinet Makosso, le ministre Jean-Baptiste Ondaye et le ministre Ludovic Ngatsé, d’imposer une discipline de fer pour que les recettes de l’Etat soient dirigées principalement à ce compte de la B.e.a.c. Ce qui va encourager les créanciers du Congo, dans le marché financier de la sous-région, à marquer leur accord au Pnot, qui permet le rééchelonnement de la dette congolaise sur dix ans, donc jusqu’en 2034, à un taux d’intérêt moyen de 5,6%. Ce faisant, le Pnot va ainsi permettre au Trésor public, une fois que les engagements des créanciers couvrent le montant de notre dette sur le marché de la Cemac, avant la fin de l’année, de pouvoir de nouveau lever les fonds sur le marché financier de la sous-région et faire face à ses charges comme les salaires.
Mais, au-delà du Pnot, le gouvernement doit, plus que jamais, poursuivre les réformes prévues. Il lui faut tirer les leçons de cette crise financière où l’Etat se montre incapable de payer les salaires et autres, plongeant ainsi les travailleurs dans la bérézina. Tout le monde sait qu’un salaire nourrit au moins 5 personnes sinon 10. Quand il n’est pas versé, ce sont des familles entières qui broient du noir.
Le F.m.i (Fonds monétaire international) considère que, grâce à une restructuration importante de la dette et à l’amélioration des prix du pétrole, le Congo, en situation de surendettement, a pu rendre sa dette viable. Malgré tout, le poids de la dette sur la vie économique et sociale se fait de plus en plus sentir comme actuellement. D’où l’importance de réaliser jusqu’à terme les réformes prévues et, surtout, lutter contre les anti-valeurs.
«La diversification économique, indispensable et fondée sur l’investissement privé, dépendra de l’approfondissement des réformes structurelles et de gouvernance. Dans ce contexte, l’amélioration de la transparence des finances publiques et du secteur des hydrocarbures, ainsi que la poursuite de l’opérationnalisation de l’architecture de lutte contre la corruption, y compris le renforcement du cadre de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, seront essentielles. Par ailleurs, l’amélioration de l’inclusion financière, la mise en œuvre résolue des réformes des entreprises publiques et l’adaptation aux risques liés au changement climatique soutiendront également une croissance inclusive et résiliente, en particulier à moyen terme», avait fait remarquer les services du F.m.i, en juillet 2024, lors de la cinquième revue de l’accord relatif à la Fec (Facilité élargie de crédit) accordée au Congo. Payer la dette intérieure signifie relancer l’économie nationale, avec ce que cela signifie en termes de création et de sauvegarde d’emplois, pourvu de mettre les garde-fous nécessaires pour que les entreprises qui bénéficient du paiement de leurs créances réinvestissent dans le pays.
Jean-Clotaire
DIATOU