La majorité des partis politiques au Congo se disent sociaux-démocrates. Mais, dans le même temps, ils vident la social-démocratie de contenu politique, au nom de prétendus particularismes. Une idéologie dépouillée, pour laquelle on ne se bat pas, ne peut qu’agoniser. L’enquête d’Afrobarometer, publiée dans la livraison de l’hebdomadaire «L’Horizon Africain» du 25 septembre 2023, ne le contredit pas. Il s’agit d’une enquête commanditée par une société africaine à but non lucratif, sur la santé de la démocratie dans notre pays. L’important, ce n’est pas l’enquête, mais le résultat. On voit bien que la social-démocratie sans contenu politique a fragilisé l’Etat: tous les voyants sont au rouge: absence d’alternance; rejet du régime dictatorial; insatisfaction dans le processus démocratique; les inégalités qui s’accroissent; le commun des mortels qui estime que sa condition est mauvaise…
Le Congolais constate que depuis des décennies, ses compatriotes ont toujours écarté d’autres Congolais du débat politique. Et pourtant, comme le disait Jean-Paul Sartre, aucun individu ne peut se développer ni se construire sans le groupe auquel il appartient. Une synergie est un rayonnement. Sinon, pas de sens magnifique de notre société. On restera au même questionnement: «Si Dieu existe, s’intéresse-t-il à moi?». C’est toute la question. Les Congolais l’ont bien exprimé à travers le sondage d’Afrobaromètre. Ne croyons pas que ceux qui ont participé à cet exercice en veulent aux politicards congolais. La seule chose qui les intéresse, c’est «la République, une nécessité pour la démocratie…».
Aujourd’hui, les sondés se sont exprimés et ils l’ont dit clairement: «La République et la démocratie ont un destin lié». Ils sont convaincus et le disent d’ailleurs. Le combat pour la démocratie devient actuel: elle seule dépassera les peurs, les incompréhensions, les malentendus et, enfin, redonner à la social-démocratie, si tel est notre choix, la maîtrise de son destin.
Le sondage d’Afrobarométre montre que les Congolais sont en manque de cette boussole pour marquer la direction de l’Etat de droit. En effet, l’Etat de droit deviendra au mieux une simple tolérance. Il s’agit là d’endiguer le paradigme qui a le plus mis à mal la place de l’homme congolais dans l’univers congolais. Les exemples dans le monde sont là qui montrent que la tolérance, c’est le remède contre le mal. La pathologie de l’intolérance que les populations récusent dans ce sondage semble, de prime à bord, tout à fait à la hauteur du peuple congolais. Dans les pays où la démocratie va, la tolérance se concilie avec le maintien de la paix et le salut de l’Etat.
Aujourd’hui, plus de 74% de Congolais pensent que leur pays n’est pas une démocratie.
Ayant ainsi montré que la grande majorité des Congolais penchent pour la démocratie, on peut arriver à l’autre partie de la question: à quand, pour les acquis définitifs de la démocratie? Hélas, les institutions politiques et sociales de la République, qui devaient en être les colonnes, se trouvent être engluées dans cette espèce d’hypocrisie politique: à bas la politique, vive la jouissance.
Il faut considérer que nous devons, sans exception, déterminer que la fin dernière de la politique n’est pas d’écraser l’homme, mais tout au contraire de permettre à chaque homme de jouir aussi des privilèges de la démocratie. C’est le retour sur les voies tracées en 1963 qui devrait être marqué par ce va-et-vient incessant entre Raison et Démocratie. Ce début du XXIème siècle doit être une période charnière entre l’ensauvagement et le progrès. De telle sorte que chaque citoyen, en ses grade et qualité, ne se permette de blesser les principes et les valeurs de la République.
Au regard de ce qui se passe en Ukraine et en Israël, on peut dire que les temps sont difficiles. Mais encore plus difficiles, si notre pays continue de ne pas tenir compte des plus fragiles. Or, comme nous le rappelle Abd Al Malik: «La lumière au quartier ne vient pas du soleil en été. Elle provient de l’amour qui, désespérément, tente de rejaillir sur tous ces cœurs enduits d’asphalte, de plume et de goudron».
Encore, c’est Abd Al Malik qui le dit: «…Dans une démocratie, l’impulsion est toujours donnée par la rue, toujours par les petites gens, toujours donnée par les victimes, toujours donnée par le peuple». Exercice pratique, par le respect des règles et procédures normées, mais qui ne serait rien s’il ne comportait pas une dimension morale et éthique. Ce n’est que dans ce cadre que les oppositions inévitables peuvent être produites, lorsque des Congolais ayant des idées et des projets peuvent se rencontrer, débattre dans l’intérêt de la cohésion nationale. L’avenir du Congo sera démocratique, tel est le vœu exprimé par les résultats du sondage de l’Afrobaromètre.
Ainsi, la démocratie servira de phare pour guider tous ceux qui navigueront dans les nouvelles institutions de la République. C’est pour une meilleure visibilité au cœur des enjeux contemporains. Encore une fois, ce choix implique de prendre un nouveau chemin et de fortifier ensemble les fondations d’une politique qui se doit, en définitive, d’être d’une très grande humilité. Imaginons un Programme national de développement qui ambitionnerait de rendre la vie des citoyens plus agréable, il aurait plus de chance d’être retenu par la voie démocratique.
La clé de notre démarche, aujourd’hui, consiste à ce qu’on sache redynamiser la citoyenneté et la souveraineté. Les Congolais ont raison quand ils pensent que la Nation est en danger. Ils ajoutent, les hommes congolais sont très séparés. Ne serait-il pas temps de la réunification, afin de rendre la démocratie plus malléable, plus compréhensible, en fait plus accessible?
Dans «l’Esprit Moderne et la tradition», Raymond Abello affirme «qu’il n’y a pas d’êtres ou de séparés: la séparation est le fait d’un état provisoire». Notre vie doit se fonder, en effet, sur des échanges, des discussions, c’est-à-dire utiliser non pas l’arme à feu mais l’arme pure que sont les mots, la parole, pour affirmer et pour juger. Sans cette prise en compte-là, il n’y a pas de vie collective. Qu’est-ce-que cela veut dire pour faire simple: la cité s’éloigne de la raison; la société moderne s’éloigne malheureusement de cette vision politique du débat constructif, renforçant l’orientation d’un débat démocratique.
Selon Aristote, dans «Politique», «la Cité existe pour permettre de bien vivre et le débat politique favorise cette recherche». Pour peu qu’on prie, la révélation de l’Afrobaromètre est nécessaire pour préparer le Congolais dans un retournement complet qui lui permette d’opérer un changement de culture politique irréversible, qui n’est pas un retour à la pensée unique. Bertrand Vergeley dans «Prier, une philosophie» considère que prier, c’est demander; et il poursuit, il y a trois façons de prier:
1- la première réside dans le fait de demander;
2- la seconde dans celui de remercier et de louer;
3- et la troisième dans celui de vivre en aimant, aimer à vivre en désirant et donc en priant pour ce que l’on aime vivre.
Quand on réfléchit, notre complainte remonte à Verckys Kiamouangana. Il nous a chanté «Pourquoi l’homme noir est ainsi fait?». Il s’est mis à philosopher: sa chanson, «Na komitunaka», c’est tout un questionnement sur l’homme noir. L’homme noir n’a-t-il pas besoin de vivre? Et pourquoi il n’en finit pas avec le ridicule? Sinon, à quoi sert la politique, si ce n’est à transformer réellement nos sociétés?
Personnellement, je continue à croire en la force de la social-démocratie, car ce duo se définit comme ce qui fait société. Social fait penser à sociable; démocratie fait penser au peuple. Faisons le choix de nous rassembler, de manière à pouvoir se construire personnellement, au travers d’un projet collectif.
Depuis 63 ans, nos gouvernants n’osent pas répondre au questionnement de Verckys. Depuis nos indépendances, pour l’or, le diamant et le pétrole. Les thèmes de la Nation, de l’Etat et de la République sont agités dans les débats politiques. D’éminentes personnalités, des élites, des foules ont fait régulièrement référence à la démocratie. Dans le même temps, tous se disent républicains. Mais fort malheureusement, la démocratie n’est pas toujours rendue intelligible par la classe politique.
Par ailleurs, les particularismes caricaturent le modèle républicain soi-disant calqué sur le modèle de l’occident. Ce que l’on peut dire, les particularismes, dans notre histoire politique, viennent se greffer tardivement. Nous devons distinguer, dans cette démarche, le complexe primitif d’un côté, l’impérative suffisance de l’autre. Pour le premier, la partie qui s’installe au pouvoir cherche à s’éloigner de la voie progressiste. Pour le second, soyons critiques en nous-mêmes et ne perdons jamais de vue, surtout pas au milieu du premier siècle de l’indépendance, que la base de l’idée républicaine est la réalisation du bien commun, la chose publique.
Cet article qui revient sur l’avenir du Congo et la démocratie, s’adresse à tous, en particulier à ceux pour qui l’idéal républicain est toujours un combat. C’est pourquoi, la première chose à retenir, c’est la suivante: le Congolais a un penchant naturel à s’associer, à vivre en société et dans une société politique.
Joseph BADILA