Accueil Tribune Les joies et misères de la veuve Loutaya ou l’histoire des morts...

Les joies et misères de la veuve Loutaya ou l’histoire des morts oubliés du Congo

0
Loutaya.

Loutaya est née après la proclamation de la République du Congo en 1958 et les émeutes de Brazzaville en 1959 qui opposèrent les militants de l’U.d.d.i.a (Union démocratique de défense des intérêts africains), le parti du Président Abbé Fulbert Youlou, et du M.s.a (Mouvement socialiste africain) du Vice-Président Jacques Opangault. Quand Loutaya a un an, le Congo obtient son indépendance, le 15 août 1960. Dans son enfance, elle a entendu parler et conter, au mbongui, le lieu de rassemblement familial, le soir au village, les récits épiques sur la lutte anticoloniale, avec ces héros de la résistance: Bouéta-Mbongo; Mabiala Ma-Nganga; Biza; Samba-Ndongo et autres André Grenard Matsoua. Des récits sur la période de résistance à l’impôt de capitation de trois francs (falanka tatu) et de lutte pour l’indépendance. Elle a aussi entendu parler des patriotes nationalistes congolais comme Jean-Félix Tchicaya, Emmanuel Dadet, l’Abbé Fulbert Youlou, Jacques Opangault, Stéphane Tchitchelle, Alphonse Massamba-Débat, Marien Ngouabi, etc.

A l’issue de ses études à l’Ecole Jean-Joseph Loukabou de Pointe-Noire, Loutaya obtient le diplôme d’infirmière d’Etat. En 1989, elle se lie à Manangou, un jeune professeur de collège à Brazzaville et, ensemble, ils fondent une famille composée de deux garçons, Nsayi et Mayéla. Une famille modeste, pas riche, mais pas pauvre non plus. Pourtant, une famille heureuse!
Mais, comme souvent dans les contes de fées, tout bascula dans le tragique, le 18 décembre 1998. La rafle des quartiers Sud de Brazzaville par les miliciens cobras de triste mémoire emporta Manangou et ses deux enfants, Nsayi et Mayéla. Fauchés comme du mauvais foin à brûler, au cours de leur fuite pour la survie, dans l’un des bouchons jonchant les infernaux couloirs dits humanitaires.
Depuis, Loutaya ne sait pas faire la différence entre le rêve et la réalité, entre «Dipanda», sa congénère et cette histoire nationale du Congo qui chevauche entre le Diable et le Bon Dieu, entre la barbarie animale et l’angélisme. Elle se demande toujours, parce qu’elle ne comprend absolument rien à tout ce présent longuement pénible et noir, qui n’offre aucun avenir paisible ni rassurant. A personne. Pas à un simple citoyen lambda congolais. Ni même aux inventeurs des avenirs illusoires inexistants; ni aux créateurs des saintetés sans Dieu.

Dieudonné Antoine-Gangha, l’homme par qui le Congo a obtenu l’organisation du Fespam, auprès de l’Union africaine.
Dieudonné Antoine-Gangha, l’homme par qui le Congo a obtenu l’organisation du Fespam, auprès de l’Union africaine.

Loutaya ignore toujours où gisent les corps de son mari et de ses deux enfants. Et personne ne l’y aide. Elle ignore totalement ce qu’il est advenu d’eux; cendres jetées dans le Fleuve Congo ou dans le Djoué et servant de limon devant fertiliser les terres ancestrales pour un peuple enfin humanisé et fraternisé? Ou chairs putréfiées servant de pitance aux carnivores d’Itatolo? Des morts anonymes, des morts inutiles. Loutaya ne sait pas toujours. Et encore, elle ne sait pas vêtir le deuil cannibale ni en célébrer l’anniversaire camouflant les crimes anti-peuple et de pillage national. Elle ne sait pas; elle ne comprend rien à ce pompeux spectacle d’horreur auquel se livrent certains compatriotes? En tout cas, Loutaya ne comprend pas tout cela, du point de vue de la simple logique humaine.
Elle ne comprend pas qu’on n’ait toujours pas donné de sépulcre au Président Alphonse Massamba-Débat, qu’on n’ait plutôt pas porté sur les fonts baptismaux de la République, les noms des artistes tels que Jean Serge Essous,  Pamélo  Mounka, Franklin Boukaka, Antoine Moundanda, Paul Kamba; de certains cadres comme Pierre Kinganga, Jean-Baptiste Ikoko, Ange Diawara Bidié qui ont eu raison trop tôt, des Eminences et Excellences comme le Cardinal Emile Biayenda, Nosseigneurs Théophile Mbemba, Auguste Nkounkou, Benoît Gassongo, Firmin Singa, Godefroy Mpwati, Barthélémy Batantu, Ernest Kombo, les Pasteurs Ndoundou et Bouanga; les présidents du sénat et de l’assemblée  Augustin Poignet, Ambroise Noumazalaye, Marcel Ibalico, Jean-Pierre Thystère Tchicaya; les Premiers ministres Henri Lopès, Aloïse Moudileno-Massengo, André Milongo, Antoine Da Costa, Stéphane Maurice Bongho-Nouara, David Charles Ganao, Bernard Kolélas ou les ministres Germain Bicoumat, Stéphane Tchitchelle, Charles Assemekang, Antoine Kaïne, Auxence Ickonga, Xavier Katali et autres grands commis d’Etat comme Lazare Matsocota, Joseph Pouabou, Anselme Mansouémé, Auguste Roch Ganzadi, Placide Lenga, etc, qui ont tous marqué, de leur empreinte, l’histoire du Congo. Ainsi que les ouvriers, les agriculteurs et tous ceux de moyennes classes, abandonnés. Oubliés simplement. Comme Loutaya, oubliée dans son deuil de veuve et de mère privée de bonheur maternel et familial. Oubliée dans la solitude de son malheur et de sa condition.
Pourtant, elle se demande toujours. Dans son village Mihété, proche de Mbamou, dans le District de kinkala, dans le Département du Pool, la vie de Loutaya se partage entre l’agriculture de subsistance et les soins prodigués à des concitoyens avec l’aide d’anciens collègues infirmiers retraités percevant difficilement leur pension. Une façon d’apaiser les affres de son deuil tombé dans l’anonymat officiel forcé.
Depuis, elle ne cesse de penser à toutes ces veuves, à toutes ces mamans des morts de l’attentat contre le DC10 d’U.t.a, des disparus du beach et de tous ces enfants morts dans les quartiers de Brazzaville, dans les forêts d’Ikonongo dans la Cuvette, dans les forêts et savanes du Pool, du Niari et de la Bouénza, enterrés à la sauvette et dont les tombes ne seront jamais retrouvées ou fleuries. «Comment Dieu et les hommes du Congo peuvent-ils ignorer cette situation?», s’indigne Loutaya, le visage hagard. Sans arrêt.
En attendant une possible réponse qui viendra peut-être, quand elle ne sera plus de ce monde, Loutaya, la veuve oubliée, médite et pleure, loin des caméras et des médias officiels, locaux et internationaux, sur son mari, ses enfants et tous ces morts anonymes congolais et sur le Congo où elle est née depuis bientôt 65 ans. Les grandes douleurs ne sont-elles pas muettes?

Dieudonné
ANTOINE-GANGA

Oh bonjour
Ravi de vous retrouver.

Inscrivez-vous pour recevoir du contenu génial dans votre boîte de réception.

Nous ne spammons pas !

Vérifiez votre boite de réception ou votre répertoire d’indésirables pour confirmer votre abonnement.

AUCUN COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Quitter la version mobile