En Afrique, la démocratie pluraliste souffre de plusieurs maux dont la mauvaise gouvernance publique et l’insécurité. Mais, retenons d’abord ceux qui font parler d’eux actuellement. Il s’agit des coups d’Etat militaires ou putschs et de ce qu’il est convenu d’appeler les coups d’Etat constitutionnels, c’est-à-dire les changements ou les modifications de la Constitution pour créer les conditions de l’éternité au pouvoir.
En raison de leur brutalité et de ce qu’ils interrompent le mandat d’un Président démocratiquement élu, les coups d’Etat militaires ou putschs sont les plus décriés comme on le voit au Niger. Mais, parce qu’ils apparaissent comme une évolution normale de la vie politique, les changements et les modifications de Constitutions passent haut la main, alors qu’ils sont souvent à l’origine des coups d’Etat militaires comme on l’a vu en Guinée-Conakry. Si la démocratie veut avancer en Afrique, il faudrait à la communauté internationale condamner aussi bien les coups d’Etat militaires que les coups d’Etat constitutionnels destinés à confisquer le pouvoir, en s’y maintenant.
L’exemple de la Centrafrique, pays déjà en proie à l’insécurité, prouve les limites de la crédibilité de la démocratie. Car, quand un candidat est élu, il exerce un premier mandat et l’appétit venant en mangeant, il sollicite un deuxième que souvent la Constitution permet. Puis, l’appétit du pouvoir s’emparant de son entourage, ses proches, sa famille et ses soutiens nationaux et internationaux, il brise le tabou constitutionnel qui limite les mandats présidentiels à deux, pour en solliciter un troisième, qui devient source de crise politique ou d’instabilité démocratique.
Suivant le niveau de maîtrise du pouvoir, la crise politique née du troisième mandat peut être surmontée. Elle peut aussi entraîner le pays dans une guerre civile ou une crise armée comme en Côte d’Ivoire où elle a été évitée de justesse, après le troisième mandat du Président Alassane Ouattara.
En Guinée-Conakry, le Président Alpha Condé avait réussi son passage au troisième mandat, en août 2020, après la modification de la Constitution. Sauf que ce troisième mandat, caractéristique d’un passage en force, lui avait ôté la légitimité démocratique, en raison d’une forte opposition de la classe politique et de la société civile. Il n’en avait cure. Les militaires vont saisir cette opportunité pour s’emparer du pouvoir. C’est ainsi que le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya, commandant du G.f.s (Groupement des forces spéciales), le renverse et le fait prisonnier, sous les cris de joie de la population. Ayant compris la leçon, la communauté internationale n’a pas bougé pour le soutenir. Tout juste elle a protesté contre son emprisonnement par les putschistes.
Rien de nouveau donc avec ce qui se passe en Centrafrique où le Président Faustin-Archange Touadéra a changé de Constitution pour dorénavant briguer infiniment de nouveaux mandats à la tête du pays. Une telle aventure conduit-elle le pays à la stabilité? L’expérience prouve qu’il y a beaucoup de risques d’instabilité. Même la République du Congo n’a pas tourné le dos au principe de la limitation des mandats. Si on peut reprocher au Président Denis Sassou-Nguesso d’avoir changé la Constitution, pour se maintenir au pouvoir, on peut lui reconnaître tout de même l’honnêteté d’avoir maintenu dans la Constitution le principe de la limitation des mandats présidentiels. Ils sont limités à trois dans la nouvelle Constitution, soit trois mandats de cinq ans. Donc, le plus long temps qu’un Congolais peut demeurer au pouvoir, c’est 15 ans. Etant dans les prémices de la démocratie, lui-même bénéficie de deux fois cette durée, en plus de la transition flexible et de ses années de monopartisme à partir de 1979. Mais, on peut se réjouir de ce que le principe de la limitation des mandats présidentiels soit ancré dans la culture politique congolaise.
A propos de la démocratie, il est dit que c’est le moins mauvais des régimes. Winston Churchill, le Premier ministre du Royaume Uni (1940-1945) avait dit: «La démocratie est le pire des régimes, à l’exception des tous les autres». C’est pour dire que la démocratie n’est facile pour personne. Même dans les Etats où elle est bien ancrée, comme les pays européens, les Etats-Unis, l’Inde, etc, les difficultés ne manquent pas.
En dehors de la démocratie, l’homme n’a pas encore inventé de système d’organisation politique qui soit universellement meilleur. Si la démocratie est en recul en Afrique de l’Ouest et qu’elle stagne en Afrique centrale avec des régimes qui battent les records de longévité, elle n’a pas pour autant disparu. Elle fera son retour en force partout où elle est retardée, parce qu’il n’y a pas de système d’organisation politique meilleur que la démocratie. C’est dire qu’il ne sert à rien de faire la guerre aux régimes putschistes. Il faut les laisser, ils vont s’essouffler avec le temps. Quand Sékou Touré est mort, les Guinées ont soufflé un ouf de soulagement. Il faut laisser les militaires ouest-africains faire les Sékou Touré avec les réseaux sociaux. Ils vont s’essouffler et la démocratie reprendra ses prérogatives.
Jean-Clotaire DIATOU