Les acteurs politiques et les intellectuels africains doivent relire «L’étrange destin de Wangrin», le best-seller de l’écrivain et ethnologue malien, grand défenseur de la tradition orale africaine, Amadou Hampaté Bâ. Dans ce roman, l’auteur raconte l’histoire d’un homme qui fut son ami et qui fut voué, dès sa jeunesse, à Gongolowa Soké, dieu des contraires et de la ruse. C’est un roman qui raconte les débuts de l’Afrique sous l’administration coloniale, et qui fut publié en 1973, par les Editions l’union générale d’édition.
Dans ce roman volumineux de 439 pages, qui fait le récit des aventures africaines entre 1900 et 1935, on comprend mieux pourquoi l’Afrique n’arrive pas à se développer. Au-delà du colon qui, lui, à juste titre, poursuit ses ambitions, le vrai problème vient de l’Africain lui-même. Wangrin, noble toucouleur doté d’une intelligence phénoménale, à la fois sage et farceur, bon et mauvais, réussit à se jouer de tout le monde, par la ruse mise au service de l’ambition. Pourtant, après avoir amassé une fortune, il finit ruiné et délaissé, malgré sa générosité.
Wangrin préfère la ruse à l’intelligence. Il est dans un projet personnel, plutôt qu’une œuvre collective. Or, la ruse ne dure qu’un temps. Il utilise la magie. Malheureusement, toute magie est tromperie. On passe d’illusion en illusion, sans jamais apprendre. En fait, Wangrin vit au jour le jour, sans plan à moyen terme, voire à long terme. Il préfère la tactique à la stratégie. C’est ce qui différencie les Africains des Asiatiques qui, eux, se projettent sur un siècle, misant sur l’effort plutôt que sur la mendicité. Ainsi, l’individualisme et l’intérêt personnel ont laminé le continent.
Pourtant, sans doute que l’heure du réveil a sonné. Pas ce réveil apparent, car toutes ces manifestations, ces dénonciations des accords avec les pays occidentaux, ces putschs, ces artifices politiques, ces trafics ou reformes de Constitutions ne sont que transitoires. Le véritable réveil dépendra du choix entre la ruse et l’intelligence, entre la tactique et la stratégie.
A travers le personnage de Wangrin, Amadou Hapamté Bâ entraîne son lecteur «dans une suite d’aventures cocasses où on le voit avec pour seules armes, son intelligence et sa connaissance des hommes, se hisser au sommet de la puissance et de la fortune, dépouiller les riches au bénéfice des pauvres et suprême exploit pour l’époque, rouler «les dieux de la brousse» d’alors: «Messieurs les administrateurs coloniaux! Mais, il arrive que les dieux se fâchent».
Chrysostome FOUCK ZONZEKA