Comme je l’ai déjà écrit, à l’occasion de ton départ à l’Orient éternel, le temps n’a rien changé et je revis en permanence ta disparition, un certain 23 juillet 2017, il y a 16 ans. Je n’y puis rien. C’est plus fort que moi, car Dieu a pris ce qu’il m’a donné. Je ne veux même pas accepter cette mort qui m’a privé d’un ami et d’un être cher, qui a privé le peuple congolais, ta famille et tous ceux qui, de près ou de loin, t’admiraient, d’un être humain aussi merveilleux, humble, bon, altruiste, dévoué et patriote que toi et qui ne cessait d’affirmer que «ta conception du pouvoir n’était pas celle du pouvoir pour le pouvoir, pour t’ouvrir les vannes de l’enrichissement, par la rapine de l’Etat mais celle de servir ce peuple qui t’aurait accordé son suffrage».
Toi qui, pendant le gouvernement de Transition, au lendemain de la Conférence nationale souveraine, malgré les menaces, les sarcasmes, les injures et les intimidations de quelques Congolais dont certains mangent aujourd’hui au râtelier du Président Denis Sassou-Nguesso, affirma courageusement: «J’ai toujours placé l’intérêt supérieur de la Nation avant toute autre considération; voilà pourquoi, malgré les provocations et les humiliations de toutes sortes, j’ai cherché à éviter à notre peuple, les épreuves douloureuses où l’égoïsme et les ambitions des politiciens véreux ont voulu t’entrainer».
Oh que tu avais totalement raison, toi qui avais toujours sacrifié à l’idéal de paix et d’unité nationale qui t’avait toujours animé. Toi qui étais porté au pinacle des élites de notre Etat, avec tes collègues Henri Lopès, Agathon Note, Marcel Roger Gnali-Gomès, Jean-Jacques Ontsa-Ontsa, Alexis Gabou, Pascal Lissouba, Paul Kaya, Hilaire Bounsana, Pierre Nkounkou Lamartine, Emmanuel Ndébéka, Auxence Ickonga, Joseph Pouabou, Lazare Matsocota, Auguste Roch Nganzadi et Antoine Kaine. Toi et tes collègues, vous nous fasciniez, nous alors étudiants au C.e.s.b ou à l’Ecole nationale d’administration.
Tu faisais partie de ces hommes politiques à propos de qui le ministre Joseph Ouabari a écrit: «Le Congo a connu et connaît des hommes politiques humbles, non préoccupés par l’accumulation des biens et ne dérangeant personne, mais très attachés aux valeurs nationales».
En ce 23 juillet 2023, je me permettrais encore de paraphraser Charles Péguy pour te dire que:
«La mort n’est rien. Tu es seulement passé, dans la pièce d’à côté.
Je continue à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Je pense à toi, je prie pour toi.
Je prononcerai toujours ton nom, partout, comme il a toujours été,
Sans emphase d’aucune sorte, sans une trace d’ombre.
La vie signifie ce qu’elle a toujours été.
Le fil n’est pas coupé.
Pourquoi serais-tu hors de mes pensées,
Simplement parce que tu es hors de ma vue?
Tu n’es pas loin, juste de l’autre côté du chemin».
Ya Milos,
Je me permettrais d’ajouter aussi que tu étais, avec tes qualités et tes défauts, très humble et toujours à l’écoute des autres. Tu nous as laissé un riche héritage, notamment l’amour pour le pays et pour le peuple; le respect de la chose publique et l’attachement aux valeurs républicaines; la notion, le sens du devoir et la glorification du travail; la rigueur dans la gestion des finances publiques; l’humilité et le respect de tout être humain; la résolution des problèmes par le dialogue et non la violence. Ce qui explique que tu fus l’unique leader politique d’après la Conférence nationale souveraine de 1991, à ne pas avoir eu de milice dont malheureusement, certains se sont servis comme strapontins ou escadrons de la mort, pour semer la désolation, la terreur, la misère et la mort dans certaines régions où les populations ne demandaient et ne demandent qu’à vivre et à vaquer à leurs occupations dans la liberté et dans la paix.
Malgré les dérisions, les sarcasmes et les injures dont tu fus l’objet pendant ton bref mandat de Premier ministre de la Transition (1991-1992) et qui n’étaient pour toi que barbaries, tu ne changeas point d’attitude. A ce propos, tu déclarais à qui voulait l’entendre: «Nous sommes entrés définitivement dans l’État de droit; celui-là qui a mis hors la loi, l’arbitraire, l’injustice, le fait du prince, la gabegie, le vol, le culte de la personnalité, la tyrannie, l’hégémonie d’une famille, d’un clan, d’une tribu ou d’une région. Finis donc ces spectres du passé. Bâtissons désormais, ensemble dans la paix, dans l’unité de toutes les filles et de tous les fils du pays, un Congo de la liberté, de la dignité et de l’honneur. Nous devons renaître et vivre, désormais, dans la nouvelle culture démocratique qui fait de chacun de nous, un citoyen libre et vertueux. Pour ma part j’ai toujours placé l’intérêt supérieur de la nation avant toute autre considération; et que malgré les provocations et les humiliations de toutes sortes, j’ai toujours cherché à éviter à notre peuple les épreuves douloureuses où l’égoïsme et les ambitions des politiciens véreux ont voulu nous entraîner. J’ai sacrifié à l’idéal de paix et d’unité nationale qui m’a toujours animé».
Tu appliquais ainsi à la lettre, la maxime latine: «Regis est tueri cives». C’est-à-dire: «C’est le devoir du roi de protéger ses concitoyens». Quelle sagesse et quelle vision! En travaillant avec toi, je n’ai jamais cessé de te respecter, toi qui agissais avec conscience et honnêteté, toi qui exerçais ton libre arbitrage avec sagesse et habileté, toi qui, enfin, as été pour moi, ce que Mendès France fut pour François Mitterrand, un modèle de père, d’aîné, de cadre, d’intellectuel et d’homme politique et visionnaire.
Elle me plaisait et me fascinait, ton attitude de bon citoyen intègre, qui savait l’importance de la joie et la prônait par l’exemple, motivé, convaincu et enthousiasmé par la réussite de nos nobles idéaux communs dont la paix, le dialogue, la tolérance, la liberté, l’égalité et la fraternité.
A tes côtés, j’ai compris aussi le sens profond de l’amitié. Combien de fois ne m’avais-tu pas dit d’être toujours fidèle en amitié, quelles que soient les circonstances, tant dans le bonheur que dans le malheur? Combien de fois ne m’avais-tu pas répété qu’un «véritable ami était une douce chose et que l’amitié était la plus étroite des parentés et que pardonner était une action plus noble et plus rare que celle de se venger»?
Tu me faisais chaud au cœur, toi qui, par tes plaisanteries, m’enseignais à vivre avec humour le caractère éphémère de l’existence. Je continue à rire toujours, quand je pense à cette question que tu me posas en latin, lors de notre dernière rencontre à Washington DC, en mai 2007, «Usque tandem mi fili, eris ex Patria?» c’est-à-dire jusqu’à quand, mon fils, seras-tu hors du pays?». Je te répondis en latin: «Nescio». C’est-à-dire: «Je ne sais pas». J’ajoutai aussi, avec Victor Hugo: «Fidèle à l’engagement que j’ai pris vis-à-vis de ma conscience, je partagerai jusqu’au bout l’exil de la liberté. Quand la liberté rentrera, je rentrerai». Et tu éclatas de rire. C’est la dernière fois que je t’entendais rire et que je te voyais.
Chaque fois que j’étais avec toi, tu ne cessais de me répéter et de me confier que la sensibilité, le courage, la solidarité, la bonté, le respect, la tranquillité, les valeurs, la joie, l’humilité, la confiance, l’espérance, la sagesse, les rêves et l’amour, pour les autres et pour soi-même, étaient les points fondamentaux pour être un homme libre et de bonnes mœurs.
Enfin, je conclurai cette lettre en paraphrasant Kipling dont nous avons souvent lu ensemble son poème, «Tu seras un Homme, mon fils», pour te dire que je «t’ai vu supporter d’entendre tes paroles travesties par tes adversaires pour exciter leurs militants et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles sans mentir toi-même d’un mot. Que tu étais bon, que tu savais être sage sans être moral ni pédant. Et que tu fus un homme», Ya Milos. Je suis fier et honoré d’avoir été ton ami et ton collaborateur.
Là où tu es, prie pour la paix véritable et pour l’unité au Congo, prie pour le peuple Congolais, prie pour ta famille et pour nous qui t’avons aimé et qui continuons à t’aimer ad multos annos. Repose en paix, Ya Milos!
Dieudonné
ANTOINE-GANGA