Nous vînmes des contrées lointaines, pour les libérer du joug de l’imperium de la bête immonde. Ils nous envoyèrent en première ligne dans les batailles qui n’étaient pas les nôtres. Pour leur reconstruction, ils se servirent de nous et de nos richesses. Parce que la guerre avait décimé les hommes. Et l’industrie manquait désespérément de bras. Pour ces motifs, ils étaient favorables à l’arrivée des étrangers. Ils avaient alors planifié l’arrivée d’un million et demi d’immigrants, sur cinq ans. Leur imperium avait même informé «l’assemblée consultative qu’un grand plan était tracé, afin d’introduire, au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d’immigration dans la collectivité française».
Mais attention, même si leur pays souffrait d’un déficit de population, il n’était pas question de recevoir tout le monde. «L’idée est donc venue de faire appel à de «bons éléments d’immigration». Bons, c’est-à-dire sains, assimilables et prolifiques». C’est ainsi que fut opéré très officiellement la distinction entre «la main-d’œuvre blanche» et la main-d’œuvre coloniale». Elles n’étaient pas logées à la même enseigne. Parce qu’il était préférable de «faire appel à la main-d’œuvre d’origine européenne, de préférence à la main-d’œuvre coloniale ou exotique, en raison des difficultés d’ordre social ou ethnique que pourrait faire naître la présence sur le sol français d’éléments ethnographiques trop nettement distincts du reste de la population».
La main-d’œuvre blanche était désirable, parce qu’elle pouvait «contribuer au repeuplement»; «en revanche, la main-d’œuvre coloniale, composée d’hommes de «couleur», est «indésirable», et il faudra continuer à la surveiller de près».
Des décennies après, la même logique perdure, notamment avec les métiers en tension, les quotas migratoires ou le regroupement familial. L’arrière-pensée est d’éviter la main-d’œuvre noire. Ne nous cachons pas la face; il y a trop de Noirs chez eux, qui leur prennent leur gîte, leur couvert et surtout leurs femmes. Ils sont d’accord pour les mouvements des capitaux, des matières premières, des biens manufacturés (surtout les leurs) et des services. Mais, les hommes doivent rester chez eux; mais pas tous: les cerveaux bien faits sont les bienvenus.
Bon! Et si on essayait, ne serait-ce qu’un instant, de leur laisser leurs ordures, leurs vieillards, leurs voiries, leurs travaux en bâtiment, leurs vendanges, leurs récoltes des fruits, leurs hôpitaux, leurs usines et leurs laboratoires? Et si on essayait, ne serait-ce qu’un instant, de leur laisser leur langue et leur compte d’opérations? Et si on essayait, ne serait-ce qu’un instant, de ne plus leur vendre nos matières premières, de ne plus prendre leurs avions?
Au fond, ils ont raison de défendre leur gîte et leur couvert. Ils ont peur de disparaître; mais, ils disparaîtront, parce que la civilisation est au métissage. Ils disparaîtront, parce qu’avec leur loi contre l’altérité, ils perdent de «e» du nom de leur pays, qui incarnait leur Esthétique civilisationnelle. Sans ce «e», il ne leur reste que l’argent que, du reste, ils ne veulent plus dépenser au profit des intrus du Midi, tous ceux du septentrion étant les bienvenus. L’argent! Jusqu’à en exiger des étudiants, sans dire si entre-temps, il sera placé ou non! On sait tous que l’argent ne prend pas de loisir! Une société qui en arrive là est forcément en déclin.
C’est pour cela qu’il ne nous reste plus qu’à enfermer nos richesses en lieu sûr, en les fructifiant pour nos congénères, afin que cesse l’humiliation d’être toujours considérés comme les derniers de la planète, les quémandeurs impénitents et les éternels profiteurs des gîtes et couverts des autres, alors que nous en enrichissons plusieurs, même s’ils ne peuvent ou ne veulent pas le reconnaître.
Prométhée