Comme au 15ème siècle, combien d’Africains périssent-ils dans la Méditerranée, pour chercher à rejoindre l’Europe? En plein 21ème siècle, l’Union africaine (U.a) assiste impuissante aux mouvements migratoires qui se développent sur le continent. Les routes de l’émigration vers l’Europe s’illustrent par un nombre de victimes élevé (près de 40 mille décès et disparitions enregistrés depuis 2014, chiffre sans aucun doute en dessous de la réalité). Le nombre annuel de décès d’émigrés enregistrés augmente rapidement avec des estimations de 4.300 personnes en 2023 (Suite du précédent numéro).

Dans le cadre politique des migrations de l’Union africaine (M.u.a), la coopération régionale et l’harmonisation des politiques de migration de main-d’œuvre peuvent favoriser la migration régulière de main-d’œuvre pour répondre à l’offre et à la demande des marchés du travail nationaux et étrangers, promouvoir l’application des normes du travail et réduire le recours aux migrations irrégulières. Il y a une recommandation d’harmoniser et de renforcer la mise en œuvre des dispositions de libre circulation de l’Union africaine et des communautés économiques régionales en matière de résidence et d’établissement, ainsi qu’une coopération renforcée entre les États membres en matière de facilitation de la libre circulation. Simple recommandation sans moyens de réalisation!

Par Maître Rocil Matingou, avocat au Barreau de Paris (France)

L’élément central de la traite des êtres humains est le fait que la victime est privée de sa volonté et contrainte à des conditions similaires à l’esclavage ou à la servitude involontaire. Il est donc impératif d’améliorer l’identification des personnes victimes de la traite et de leur accorder la protection et l’assistance. A quoi rime-t-il que l’Union africaine laisse les Etats agir individuellement devant ce facteur bloquant de développement économique?
Le continent est en proie à deux principales causes d’émigration: l’émigration due à de mauvaises conditions de vie socio-économiques et celle qui serait la conséquence des conflits armés internes. La réalité d’une Afrique, terre d’accueil, se transforme en mythe du fait des politiques étrangères de gestion des crises continentales.
La Convention de Kampala sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (du 23 octobre 2009) pose les jalons d’une coopération intra-africaine, mais elle responsabilise plus les Etats qu’elle n’implique l’Union africaine. Selon les intérêts des uns et des autres, tout semble permis tant que les statistiques et les économies peuvent ramer en ordre dispersé. L’Union africaine reste encore accrochée à la vision nombriliste du développement économique du continent. Peut-on compter sur une telle institution dont la léthargie politique pousse plutôt à la sauvegarde des égos de ses responsables?
Avec 244 millions de migrants internationaux en 2015, soit une augmentation de 41% par rapport au chiffre de 2000, les statistiques de l’Union africaine comptent pour la même année 34 millions de migrants africains, dont près de la moitié sont des femmes. En 2016, plus de 5000 personnes ont perdu la vie dans la Méditerranée, sous le contrôle des contrebandiers. Constat qui atteste que l’Afrique a tendance à encourager l’exode rural et à négliger la transhumance des femmes et des jeunes vers l’eldorado européen. A ce rythme, que vaut la stratégie de l’Agenda 2063 qui vise une Afrique intégrée, voire politiquement unie, et appelle à la libre circulation des personnes?
De recommandation à recommandation, l’Union africaine devra, d’abord, se rappeler du Plan d’action de Ouagadougou de 2006, pour lutter contre la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants, ensuite, fournir aux États membres, une orientation complète pour éliminer les nouvelles tendances de la traite des africains et se doter d’une politique commune.

Les nouvelles transhumances organisées par le biais du Rwanda

Pays qui défraie la chronique sur le plan international, le Rwanda est en train de jouer la carte de leader africain en matière de développement socio-économique. Son économie étant florissante, il se permet de vouloir négocier, sous forme de partition monocorde, d’égal à égal avec les Etats-Unis et surtout avec l’Union européenne, des accords individualistes et préjudiciables aux pays voisins. Les conséquences des accords internationaux qu’il signe avec ses partenaires économiques semblent encore échapper à l’Union africaine qu’il manipule politiquement. L’Europe acclame, puisque le Rwanda devient une solution à l’émigration et l’Afrique ignore qu’elle est envisagée pour devenir le dépotoir des indésirables émigrés. C’est le commerce triangulaire des siècles d’esclavagisme revisité sous forme d’immigration triangulaire de l’Afrique: les émigrés de tous les pays vont, d’abord, en Europe qui les accueille pour une sélection comme demandeurs d’asile et, ensuite, les déchets d’asile sont déversés en Afrique qui les reçoit, enfin, comme de potentiels opérateurs économiques.
Le Rwanda a déjà ouvert le bal des débarquements vers ce type de nouveaux comptoirs en signant la Loi «Safety of Rwanda (Asylum and Immigration)» (sûreté du Rwanda, asile et immigration) du 23 avril 2024 et le traité de partenariat entre le Royaume-Uni et le Rwanda en matière d’asile d’avril 2022. L’Afrique aux frontières poreuses n’a plus qu’à se débrouiller avec les nouveaux fléaux que la transhumance va développer.
Cette politique européenne à l’égard de l’Afrique reflète la tendance des migrants à se rendre d’abord dans les pays voisins à faible revenu comme l’a révélé l’expérience menée en Ethiopie. Afin de mieux soutenir les efforts de cette dernière dans l’accueil de ces populations, les partenaires internationaux au développement ont investi dans l’industrialisation, créant plus de 100 mille emplois pour les Éthiopiens et les réfugiés résidant dans le pays. Dans le cadre du Pacte pour l’emploi en Éthiopie, l’Union européenne a assorti son soutien à la création d’emplois en Éthiopie d’un assouplissement progressif des restrictions d’accès au marché du travail pour 30 mille réfugiés.
Le Rwanda s’est inspiré du mutisme des institutions africaines face aux mouvements migratoires que soutient l’Union européenne dans des pays de transit vers l’Europe. A l’instar de l’Éthiopie, qui accueille plus de 950 mille réfugiés et demandeurs d’asile par an et reçoit, dans le cadre du Pacte pour l’emploi en Ethiopie, des fonds européens nécessaires au contrôle de son marché du travail, le Rwanda s’est ouvert à la politique de la main tendue pour croire gérer efficacement les exilés politiques non désirés par l’Europe. En effet, il ne faut pas perdre de vue que le Rwanda, qui a adhéré au Commonwealth en novembre 2009, donne à la diplomatie européenne, l’occasion de pouvoir s’abriter derrière des accords spécifiques, en vue de déployer, à son tour, de grandes vagues d’expulsions des émigrés. Les vols charters décriés dans les années1990 pourront revenir sans complexe.
Quelle a été l’attitude de l’Union européenne par rapport à l’accord signé entre Israël et le Rwanda en 2018, pour la relocalisation des réfugiés est-africains expulsés d’Israël? Le silence complaisant! Le Rwanda avait perçu ses financements dans le cadre dudit accord et ne peut donc pas se refuser de réitérer l’expérience.
L’accueil et l’intégration des migrants déboutés par Londres sont un coup politique et une opportunité économique pour le Rwanda qui s’attend de la part du Royaume-Uni à un investissement, dans un premier temps, de 120 millions de livres sterling (145 millions d’euros) pour aider à la mise en place du projet, mais aussi pour soutenir le développement du pays, dont 40% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté et qui est régulièrement critiqué pour sa répression de la liberté d’expression. Le Rwanda demeure le pays africain à forte densité humaine (plus de treize millions d’habitants pour une superficie de 26.340 km2).
Signé à Kigali, le 5 décembre 2023, l’accord de partenariat entre le Royaume-Uni et le Rwanda prévoit que les demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni en «small boats» (bateaux pneumatiques) soient transférés au Rwanda où leurs demandes d’asile seraient ensuite évaluées. Pour les Britanniques, il s’agit de gérer plus de 46.000 personnes arrivant chaque année à bord de ce moyen de fortune. Les dirigeants africains sont passés outre les critiques entretenues par l’opinion publique et les médias. Ils admettent d’avaler la patate chaude de l’arrogance politique rwandaise sans broncher: «Nous croyons que les migrants africains, mais aussi ceux venus d’ailleurs doivent pouvoir vivre en sécurité et dans la dignité en Afrique», clame Vincent Biruta, le ministre rwandais des affaires étrangères.
Une fois arrivés au Rwanda, les migrants seront dans l’alternative soit d’être régularisés soit de rentrer dans leur pays d’origine s’ils le souhaitent. Les nouveaux négriers rwandais auront accès à la mutuelle de santé, aux aides sociales rwandaises et pourront chercher un emploi. Alors que le Rwanda accueille déjà plus de 130.000 réfugiés, principalement originaires des pays limitrophes, Kigali opte pour augmenter le flux migratoire de quelques dizaines de milliers de personnes expulsées du Royaume-Uni.
Sans tenir compte des difficultés qui minent le continent, le Rwanda se lance dans l’impertinence en soutenant que «nous avons poursuivi ce partenariat avec le Royaume-Uni parce que nous pensons que nous avons un rôle à jouer dans cette crise de l’immigration clandestine» (propos tenus par Vincent Biruta lors d’une conférence de presse, le 5 décembre 2023). L’Afrique noire est mal partie pour une nouvelle traite négrière à domicile.

Maître Rocil MATINGOU
Docteur en Droit;
Avocat au Barreau de Paris;
Consultant juridique et Intermédiaire en affaires.

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