Comme au 15ème siècle, combien d’Africains périssent-ils dans la Méditerranée, pour chercher à rejoindre l’Europe? En plein 21ème siècle, l’Union africaine (U.a) assiste impuissante aux mouvements migratoires qui se développent sur le continent. Les routes de l’émigration vers l’Europe s’illustrent par un nombre de victimes élevé (près de 40 mille décès et disparitions enregistrés depuis 2014, chiffre sans aucun doute en dessous de la réalité). Le nombre annuel de décès d’émigrés enregistrés augmente rapidement avec des estimations de 4.300 personnes en 2023.

Depuis plus de 20 ans, les migrations africaines continuent de subir des pressions persistantes à la hausse. Essentiellement, les jeunes vont chercher du travail sous d’autres horizons et près d’un million ont été concernés par le fléau en 2023. Ce chiffre s’ajoute aux 43 millions d’émigrés africains (au total) qui regagnent des centres urbains ou qui émigrent hors du continent, principalement au Moyen-Orient et en Europe (6,6% et 8,2% respectivement de l’ensemble des migrants dans ces régions). A croire que ces pourcentages paraissent peu significatifs, derrière ces mouvements de personnes se cachent des crimes crapuleux devant lesquels l’Union africaine témoigne d’une réelle cécité et de nonchalance.

Maître Rocil Matingou, avocat au Barreau de Paris (France).

Sur le bord africain de la Méditerranée, des réseaux de passeurs s’organisent, comme des négriers d’antan, à exporter, dans des conditions inhumaines, des cohortes humaines; de l’autre côté de la Méditerranée, en Europe, des comptoirs s’érigent pour recevoir et dispatcher la potentielle main-d’œuvre bon marché. Au nom des droits de l’homme et sous prétexte de la Convention de Genève sur le droit d’asile, la transhumance converge vers les endroits plus propices au travail et à la survie. Si ce n’est de l’esclavage qui s’annonce, c’est la traite des nègres des temps modernes. Des jeunes africains rêvent de participer à cette forme de traite négrière où le travail à l’étranger demeure le leitmotiv. Toutes les sortes d’exploitation qu’ils subissent s’apparentent à de l’esclavage, car en réalité, avec des systèmes de quota dans certains pays et des critères très subjectifs dans d’autres pays, l’admission à l’insertion sociale dans les pays d’accueil prend des formes de sélection semblables aux marchands d’esclaves des Amériques.

Les Organisations non-gouvernementales (O.n.gs) parlent d’esclavage moderne

Entre ces esclaves qui quittent volontairement le continent et les nouveaux négriers que l’on impose insidieusement à l’Afrique, l’Union africaine ne réalise pas encore que le développement économique du continent risque de devenir l’affaire des exilés politiques. En effet, l’Europe redirige, depuis peu, vers des pays africains, à l’instar du Rwanda, qui ont conclu, tous azimuts, des accords d’accueil, des refoulés européens sur son sol.
Condamnant l’esclavage et les pratiques analogues, la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage, signée à Genève, le 7 septembre 1956, énonce, en son article 7, qu’«aux fins de la présente Convention:
– a) l’«esclavage», tel qu’il est défini dans la Convention de 1926 relative à l’esclavage, est l’état ou la condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux et l’«esclave» est l’individu qui a ce statut ou cette condition;
– b) la «personne de condition servile» est celle qui est placée dans le statut ou la condition qui résulte d’une des institutions ou pratiques visées à l’article premier de la présente Convention;
– c) la «traite des esclaves» désigne et comprend tout acte de capture, d’acquisition ou de cession d’une personne en vue de la réduire en esclavage; tout acte d’acquisition d’un esclave, en vue de le vendre ou de l’échanger; tout acte de cession par vente ou échange d’une personne acquise en vue d’être vendue ou échangée, ainsi qu’en général tout acte de commerce ou de transport d’esclaves, quel que soit le moyen de transport employé».
La transposition de cette disposition au contexte des récentes migrations africaines qualifie les infractions qui se perpétuent sous le regard indifférent de la communauté internationale. Autant certaines O.n.gs décrient les faits et tentent de soulager les personnes en détresse, autant l’Union africaine manque de mots et de réponse concrète à ce naufrage civilisationnel. Sa conférence des Chefs d’Etats baigne dans l’indifférence, comme si les mouvements migratoires qui vont dans les deux sens demeurent sans conséquence sur le développement des Etats africains. Dépourvue de stratégie offensive de développement, cette institution n’ose même pas laisser ses experts intervenir efficacement. Pourtant, on estime que 35% de la population subsaharienne vit dans la pauvreté. Ce qui crée une pression énorme sur les membres des ménages ayant un revenu, pour qu’ils trouvent un emploi, afin de répondre aux besoins essentiels.
Les «refoulés européens» négociés par le Rwanda vont contribuer à l’augmentation constante des migrations africaines qui, si les tendances actuelles se maintiennent, verront les migrations transfrontalières africaines atteindre 11 à 12 millions de personnes d’ici à 2050.
La migration intra-africaine ayant augmenté de 44% depuis 2010, les nouveaux négriers arriveront par vague à durée illimitée sans qu’il ait une politique africaine spécifique de gestion de ce flux migratoire. L’Union africaine attend de se retrouver devant le fait accompli, afin d’impliquer les Nations unies, à la recherche de solutions d’urgence. Pendant ce temps, les Chefs d’Etats continueront à faire semblant de parler des maux qui minent le continent, alors que cette nouvelle traite négrière demeure le fruit de leur gestation.

L’inexistence d’une cohérence africaine à propos des mouvements migratoires

L’Union africaine fait preuve de consommatrice des politiques des migrations élaborées par les O.n.gs et les experts en humanitaire étrangers. Sans visibilité, elle vogue au gré des événements sans piper mot sur les constats des périls humains qui sévissent à travers le continent. Faute de garantie d’un avenir certain, des candidats à la main d’œuvre européenne défraient des chroniques et, depuis l’accélération du phénomène, les Chefs d’Etats se rencontrent au moins une fois par année, sans aucune volonté de se saisir de la donne, en vue de gérer en commun ce fléau de déshumanisation de l’Africain.
Les Africains peuvent être considérés comme du bétail et cela importe peu: il compte que les figurations aux grands-messes annuelles et extraordinaires peuvent montrer que les leaders africains semblent avoir des idées futuristes et progressistes sur l’évolution des Etats.
Prise dans l’étau des O.n.gs qui réfléchissent et agissent à sa place, l’Union africaine ne conçoit même pas une cacophonie de politique migratoire. Elle laisse les Etats s’occuper individuellement des transhumances qui les frappent, faisant fi de ce qu’il n’y a pas de développement sans politique démographique et sans maîtrise des frontières.
Les statistiques de l’Union africaine viennent des O.n.gs qui s’organisent à désengorger l’Europe de toutes vicissitudes socio-économiques susceptibles d’obérer son ascension économique. Selon elles, l’Éthiopie accueille plus de 950 mille réfugiés et demandeurs d’asile. Ce qui reflète la tendance des migrants à se rendre d’abord dans les pays voisins à faible revenu. Afin de mieux soutenir les efforts de l’Éthiopie dans l’accueil de ces populations, les partenaires internationaux de développement ont investi dans les efforts d’industrialisation de l’Éthiopie, créant plus de 100 mille emplois pour les Éthiopiens et les réfugiés résidant dans le pays.
Dans le cadre du Pacte pour l’emploi en Éthiopie, l’Union européenne a assorti son soutien à la création d’emplois en Ethiopie d’un assouplissement progressif des restrictions d’accès au marché du travail pour 30 mille réfugiés. Pourquoi l’Union européenne (qui est une structure à vocation continentale) ne négocie-t-elle pas directement avec l’Union africaine (son homologue) de ce type de projets?
Les partenaires internationaux peuvent soutenir davantage les efforts de migration mutuellement bénéfiques en améliorant la collecte de données sur la population africaine et les schémas de migration. Une meilleure information peut alors améliorer les régimes politiques, réglementaires et financiers des pays africains, afin d’attirer davantage des investissements étrangers directs et de réduire conjointement les taux de migration irrégulière. Mais, l’initiative devrait revenir à l’Union africaine qui reste coincée entre défis économiques et indifférence (sinon solitude) des Etats. Pourtant, dans un monde à économie globalisée, la force des Etats africains devrait se trouver dans la cohérence d’une vision commune de coopération avec les entités d’investissements internationaux. L’Afrique n’a-t-elle pas besoin de ses enfants pour se restructurer économiquement?
Pourquoi faire semblant de gérer les transhumances entrantes et sortantes comme si ce phénomène d’émigration démographique ne pouvait pas avoir une solution intra-africaine? C’est la volonté des Chefs d’Etats africains qu’il faille interpeller, en tenant compte des responsabilités qu’ils doivent assumer aux droits fondamentaux et libertés individuelles. (A suivre)

Maître Rocil MATINGOU
Docteur en Droit;
Avocat au Barreau de Paris;
Consultant juridique et Intermédiaire en affaires.

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