La session du Conseil supérieur de la magistrature, qui s’est tenue lundi 27 mars 2023, au Palais du peuple, à Brazzaville, sous la présidence du premier magistrat, le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, a abouti sur des décisions qui sont diversement interprétées par les citoyens. Des magistrats révoqués, d’autres rétrogradé ou retirés, d’autres encore réprimandés et promus. Dans l’interview qu’il nous a accordée, le Franco-congolais, Christian Nzaloussou, avocat au barreau de Paris, en France, consultant chez Dixi Conseil Congo, pense que cette session du Conseil supérieur de la magistrature est un électrochoc pour la magistrature congolaise. Interview!

* Maître Nzaloussou, quel commentaire faites-vous des décisions du Conseil supérieur de la magistrature?
** Plus que les précédentes sessions, il est sans conteste que celle du 23 mars 2023 était très attendue. On mesurait bien l’attente des délibérations de sa formation disciplinaire, lesquelles ont eu un écho au sein de la population. La question des sanctions a occulté l’autre activité du Conseil supérieur de la magistrature, la gestion des carrières des magistrats. C’est à peine que ces nouvelles nominations ont été commentées.
Il me semble que ce qui a le plus marqué les Congolais, outre le discours de clôture du Président de la République, c’est bien l’étendue et la force des sanctions infligées à certains magistrats: de la réprimande avec inscription au dossier, qui est la sanction la moins forte, à la révocation avec droit à pension qui est la sanction la plus forte. Et vous remarquerez, enfin, que ces sanctions visent aussi bien les magistrats du siège (ceux qui jugent) que les magistrats du parquet.

* Donc, c’est un tsunami dans le milieu judiciaire congolais?
** On n’a pas l’habitude de voir autant de magistrats sanctionnés au cours d’une même session du Conseil supérieur de la magistrature. Il faut quand même rappeler que neuf magistrats ont écopé de la sanction la plus lourde, dont le procureur général près la Cour d’appel de Brazzaville, et qu’un avocat général près la Cour suprême a été rétrogradé.
De ce point de vue, c’est bien un électrochoc. Mais, comme vous l’avez rappelé, dans votre journal, en citant le Président de la République, «le ver est dans le fruit», il fallait des mesures cathartiques pour une institution judiciaire à laquelle le justiciable démuni semble exprimer sa méfiance. C’est vrai que le constat fait par le Chef de l’Etat, notamment sur la situation au niveau des juridictions de Pointe-Noire, est inquiétant, au regard de la persistance des comportements répréhensibles. Le ministre de la justice a d’ailleurs souligné, à juste titre, le danger pour la cohésion nationale d’une justice à laquelle le justiciable n’adhérerait pas.

* Tous ces magistrats sont donc corrompus?
** Qui peut l’affirmer sinon ceux qui ont siégé au sein de la commission disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature, ceux qui ont consulté les pièces du dossier de ces magistrats? Je vous rappelle quand même que ces mêmes membres sont tenus au secret des débats et des délibérations qui se font à huis clos. Je connais bien des magistrats qui sont des professionnels sérieux dans leur travail. Théoriquement, il n’est pas exclu qu’aient été sanctionnés aussi bien des magistrats véreux que des magistrats ayant manqué à la discipline, sans être forcément corrompus.
Je rappelle que la loi impose aux magistrats des règles de conduite au regard de la dignité de leur fonction. N’oubliez quand même pas que selon la Constitution, ceux-ci, même s’ils ne sont pas élus, forment le pouvoir judiciaire, à côté du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
A ce propos, je souligne qu’un magistrat peut être sanctionné pour tout manquement au devoir de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou la dignité ou encore pour toute insubordination caractérisée et répétée à l’égard de son supérieur hiérarchique. Je présume que tout cela est enseigné à l’E.n.a.m (Ecole nationale de l’administration et de la magistrature). Au-delà, il faudra peut-être envisager un jour une obligation de formation continue des magistrats tout au long de leur vie professionnelle, car certains ont peut-être fauté par omission ou par ignorance.

* Est-ce que dans ce genre de situations, ces magistrats sanctionnés disposent d’une voie de recours?
** Là vous touchez à un sujet délicat sur le plan juridique. Y répondre sollicite une approche technique et je crains de perdre vos lecteurs, qui ne sont pas tous juristes, dans des explications complexes.

* Vous pouvez toujours esquisser un début d’explication pour nos lecteurs?
** Dans cette analyse, il faut avoir trois choses en tête. Premièrement, le Conseil supérieur de la magistrature agit soit comme conseil de discipline, soit comme un organe de gestion de la carrière des magistrats. Deuxièmement, un recours peut être soit judiciaire soit administratif, et dans ce dernier cas, le recours administratif sera un recours gracieux. Troisièmement, le Conseil supérieur de la magistrature propose certaines sanctions que le Président de la République approuve par décret (rétrogradation, mise à la retraite d’office ou admission à cesser les fonctions lorsque le magistrat n’a pas droit à une retraite, révocation avec droit à pension). Mais, ce même conseil peut aussi prendre certaines sanctions sans intervention du Président de la République: réprimande avec inscription au dossier; déplacement d’office; retrait de certaines fonctions et abaissement d’échelon.

*Si je comprends bien, les décisions disciplinaires du Président de la République et du Conseil supérieur de la magistrature peuvent faire l’objet d’un recours?
** En réalité, en droit congolais, la sanction édictée par le Chef de l’Etat peut faire l’objet d’un recours judiciaire ou gracieux, alors que les décisions du Conseil supérieur de la magistrature ne peuvent faire que l’objet d’un recours gracieux. Cette discrimination est tout de même surprenante. S’agissant en effet du recours gracieux, la loi organique du Conseil supérieur de la magistrature l’envisage pour les sanctions disciplinaires prises par cette institution. La loi ne dit rien en ce qui concerne les décrets du Président de la République approuvant les propositions du conseil, mais rien n’interdit un tel recours.
S’agissant, en revanche, du recours judiciaire, nous avons deux régimes différents, selon que l’on est en présence d’une décision du conseil ou d’un décret du Président de la République approuvant les délibérations dudit conseil. Ainsi, pour les sanctions disciplinaires prononcées à titre définitif par la commission de discipline du conseil, l’article 22 de la loi de 2018 relative à cette institution écarte la possibilité de tout recours judiciaire. Un justiciable avait d’ailleurs saisi la Cour constitutionnelle de cette situation. Il soulignait alors que l’absence de voie de recours judiciaire violait le droit constitutionnel de toute personne d’être entendu par un tribunal et que la disposition critiquée méconnaissait les articles 8 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Son raisonnement, qui ne manquait pas d’intérêt juridique, n’a pas convaincu la Cour constitutionnelle qui a rejeté cette requête dans sa décision rendue le 15 février 2021.
Au-delà de la question de sa constitutionnalité, il faut souligner que l’article 22 de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature est manifestement en conflit avec l’article 38 de la loi organisant de la Cour suprême, qui dispose que toute décision du conseil de discipline «est susceptible de recours devant la chambre administrative de la Cour suprême». Or, cet article 38 de la loi précitée n’a jamais été abrogé explicitement et paraît, dans sa lettre, plus conforme à l’esprit de la Constitution que l’article 22 de la loi sur le C.s.m.

Propos suscités
et recueillis par Chrysostome FOUCK ZONZEKA

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