Les malheureux événements de 1959, 1997 et 1998 sont des fautes gravissimes. Le Congo apparaît comme République en 1958. Son indépendance, qui apparaît dans le concert des Nations en 1960, correspond à l’effondrement de l’empire français devant le théâtre des événements de la guerre d’Algérie. Il est ridicule, aujourd’hui, de faire comme si le combat mené pour l’indépendance du Congo n’avait pas de sens, sans but. A première vue, les Congolais ne réalisent pas que la nationalité congolaise se présente, aujourd’hui, comme radicalement privée de patriotisme. Il n’est pas sans signification que chacun y mette du sien, pour créer un lieu de passage.

On peut définir chaque citoyen comme celui qui cherche d’aller vers les autres, en vue de construire une Nation. C’est une recherche permanente qui implique déjà une première réponse. Aussi, est-il ridicule, aujourd’hui, de croire que quelques privilégiés de la République, refléteraient une tendance significative de l’opinion publique congolaise.
C’est en 1991, au moment de la C.n.s (Conférence nationale souveraine), que les Congolais et les Congolaises ont beaucoup fait pour accélérer le processus d’une conscience nationale. Le Congo d’aujourd’hui n’a pas su tirer profit des résolutions de la C.n.s. Dans l’opinion publique congolaise, l’esprit de la C.n.s s’est effacé. Le bon sens voudrait que les acteurs politiques et la société civile décident du retour du bon sens dans tout le pays. Le bon sens voudrait que le pouvoir congolais rentre en lui-même. C’est dans lui-même, c’est-à-dire dans le pouvoir qu’habite la solution des Congolais et des Congolaises.
A la lumière de ce retournement, une première conclusion s’impose: il ne faut pas ignorer que la crise politique de toute notre époque provient, en grande partie, de la séparation du patriotisme et de la raison. Le rapport actuel entre patriotisme et raison demande un effort de transcendance, parce que le patriotisme et la raison se sont tous les deux appauvris et se sont affaiblis l’un en face de l’autre. Il est illusoire de penser que la citoyenneté sans patriotisme peut sonder les grands fonds la République. Il est dans la nature du citoyen de rendre compte du primat des intérêts collectifs ou du bien général, sur l’intérêt particulier.
Par voie de conséquence, le citoyen est à la fois un bon citoyen et un être fortifié de toute la puissance commune: selon le discours de philosophie politique, le citoyen est l’homme incité à la prise en compte du bien public, recevant en échange la protection du public pour ses droits. Pour cela, le terme peuple doit devenir un concept important de la pensée politique, pour donner de la vigueur à la République. Des questions se posent alors: peut-on faire l’éloge d’un particularisme qui n’a pas été à la réussite au cours de ces soixante dernières années? Comment traiter des réponses qui touchent au sens du vivre-ensemble sans s’ouvrir sur le patriotisme? Comment on fait pour galvaniser le désir, l’amour du pays. Nous déjouons trop pour défendre la patrie. Comment une telle inconscience?

Ne pas oublier notre culture et notre histoire

D’un point de vue politique, je parlerai d’une mésentente historique. Alors, la même question revient: Que faire pour éviter une longue période d’embourbement? Comment, 32 ans après la chute du mur de Berlin, a-ton pu, malgré le pétrole, le bois, les hommes, les femmes en arriver là où nous sommes? Il n’y a pas quatre chemins. Si le tribalisme, l’égoïsme, la mauvaise gouvernance restent aussi ancrés dans l’univers congolais que leurs contraires, nous oublierons notre culture et notre histoire.
Comme disait Jacques Attali, «l’Utopie est le dessin d’une société idéale. Elle ne se confond pas avec le mythe, qui entretient la mémoire d’un passé imaginaire… Elle n’est pas non plus un programme ni une idéologie, ni une stratégie de prise de pouvoir. Elle est volonté de modeler l’image de la société à partir d’un idéal éthique, d’une certaine conception de la justice, du bonheur, de l’efficacité, de la responsabilité: admettre le droit à l’utopie, c’est alors admettre le droit à comprendre et à changer».
Je crois, dans le contexte de mésentente qui remonte à 1963, date du grand schisme entre le libéralisme occidental de la première République et le marxisme-léninisme issu de l’ex-Union soviétique, plus que jamais, il faut nous affranchir de ces visions étroites bien illustrées par le grand rabbin de France, Haïm Korsia: «Le mystère d’une œuvre et, peut-être, d’une vie, ne repose-t-il pas justement dans la réalisation de cette multiplicité de possibles, au-delà de toute négation, de tout renoncement, de toute l’indifférence terrible des âmes habituées».
Au lendemain du 64ème anniversaire de la République du Congo, il faut donc accepter de voir ce que rien ne nous interdit de penser, de faire, afin de scruter de nouveaux possibles et ce dans l’intérêt du Congo. Il revient aux intellectuels comme aux politiques de redessiner les nouvelles lignes maîtresses. Ne confondons pas: les hommes passent, mais la patrie cette communauté sociale et politique à laquelle nous appartenons se perpétue.
Par ailleurs, je crois avoir raison de rappeler, aux privilégiés de la République, que leurs premiers soucis doivent être envers les humbles et les déshérités. Le sentiment que la Nation est cet arbre qui, sans cesse, tutoie le ciel, fier de ses racines qui plongent dans le sol et dont l’apport au dialogue, à notre civilisation, est majeur. Nous ne devons pas nous laisser entraîner par des particularismes jusqu’au-boutistes.
Des fautes ont été commises au cours de ces 60 dernières années. Mais, il ne sert à rien de se morfondre à attendre. A nous de comprendre que la République n’est pas un rêve naïf. Pour concrétiser ce rêve, nous devons considérer le patriotisme comme un devoir. Alors la Nation sera un cadre pour élaborer les schémas de la fraternité. Mieux, ce qui vaut pour les Nations civilisées, vaut aussi pour le Congo, c’est-à-dire poser les termes du vrai débat: celui de l’articulation entre Nation, République, Patrie et souveraineté.
Comme disait Natacha Polony, si le «souverainisme» existe, il réside dans le fait de considérer que la souveraineté se confond avec la démocratie. Rien n’avoir, donc, avec un quelconque nationalisme. Il s’agit de proclamer que c’est le peuple assemblé qui décide, en commun, de son destin. Cela ne peut se faire que si la Nation maintient tout son sens, c’est-à-dire que le désir et l’amour du peuple sont concentrés. Nous le voyons aujourd’hui avec l’exemple du peuple ukrainien. Ce peuple fait preuve de patriotisme, de sorte qu’il est condamné à défendre son histoire et sa culture.

Embarquées sur le même «radeau de la méduse»

Le 28 novembre 2022 deviendra-t-il dans nos livres d’histoire le jour où le Congo se mettra à écrire une autre histoire entraînant son peuple vers des destinées plus ouvertes? Et que nous ne serons plus à l’état des questions? Il en restera l’idée que le Congo a tourné la page, que les Congolais ont un destin commun et qu’il faut mettre fin à plus de 60 ans de mésentente. Les ethnies du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest ne seront plus distantes. Elles auront mis fin à leur interminable crise de nerfs.
Qu’on le veuille ou pas, toutes ces ethnies sont embarquées sur le même «radeau de la méduse» représenté par le peintre Théodore Géricault tout au début du 19ème siècle. Ce radeau de fortune, mais qui a eu tous les atouts, dans son rôle hybride de rassembler et de sauver. Le point central de réécrire notre histoire, outre le fait qu’il est destiné à nous rassembler, il nous sortira de la défiance et de la violence. Oui! C’est un mouvement qui mettra fin à l’immobilisme. En outre, notre fraternité ne sera plus empoisonnée. Dans ces conditions, les gouvernants trouveront facilement les solutions.
Ce qui est en jeu, à l’occasion des célébrations du 28 novembre, c’est donc l’avenir du Congo lui-même. Or, le Congo souffre d’une situation: il s’insurge contre le mot démocratie, dans la mesure où le pays paraît détruire les valeurs culturelles héritées des pays occidentaux. Quant à nos cultures à nous, vivantes, elles sont devenues négligeables.
De tout ceci, il résulte que l’état du pays est voué à la curiosité et à l’inquiétude, avec des chances de réalisation devenues très minces. Ce qui est sûr, si nous ne faisons rien, l’obligation du progrès inscrite dans l’ordre des choses se diluera très vite dans le temps. La colonisation, on le sait, a laissé partout des traces de rancœur, des complexes d’infériorité qui se sont mutés en complexes de repliement et d’orgueil. Mais, jusqu’à quand?
Les Congolais ne doivent-ils pas se préoccuper de l’éveil des valeurs essentielles? Mais, s’ils le veulent, par quels moyens? C’est vrai, l’Occident nous a apporté la langue et l’écriture. Mais, il n’a pas assuré au même degré le développement matériel. C’est donc dans un deuxième temps qu’il faut voir le rythme de développement par nous-mêmes. L’enrichissement collectif de la population doit augmenter par une bonne répartition des revenus. Il faut une volonté politique derrière tout ça. Sinon, la pauvreté aura tendance à empirer au fur et à mesure que la population augmente. Car, l’accroissement d’une population n’est pas seulement un phénomène quantitatif, c’est aussi un phénomène qualitatif.
C’est certainement dans le domaine de la démocratie et de la bonne gouvernance qu’on peut avoir l’action la plus efficace. Il faut, en effet, penser à améliorer les conditions de vie des populations. Les trois éléments doivent progresser de pair: indépendance, dignité, émancipation. Le 28 novembre 1958, c’est l’évènement. S’attacher à la République, c’est apporter le sens, le développement et la paix. Car, il n’y a pas du tout d’autre vie pour le politique.

Rechercher l’amour caché

Humilité, lucidité et générosité doivent devenir les effets d’une action politique suffisamment forte, pour redonner à la patrie ses lettres de noblesse. Au grand regret, ce triptyque essentiel ne semble plus prioritaire, une soixantaine d’années à peine après l’indépendance. C’est une faute gravissime. C’est pourquoi il nous faut un véritable rallumage des feux, pour savoir ce que nous voulons.
Visitons l’intérieur du Congo, en recherchant, dans ses entrailles, nous trouverons l’amour caché. Car, ne dit-on pas: qui cherche trouve? Mais, trouver quoi? Trouver la clé du développement de l’expression: «Amour de la Patrie». En effet, cultiver l’amour de la Patrie reviendrait à dire, entre autres, se référer au texte qui devait décrire la construction de la Nation congolaise, depuis 1958.
Notre Constitution, référence primordiale de la République, est la clé importante de la symbolique nationale. Ce n’est pas seulement pour spéculer, mais pour ouvrir tout développement sur l’Unité, le Travail et le Progrès. Sans doute est-ce dans les milieux démocratiques qu’on trouve les meilleures conditions de vie. En toute société, montrera Spinoza, tant que la pensée est libre, donc vitale, rien n’est compromis. Quand elle cesse de l’être, toutes les autres oppressions sont possibles, toute vie menacée. Il est certain que le citoyen trouve dans l’amour de la Patrie, le chemin le plus favorable pour son épanouissement.

Joseph BADILA

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