Musique
Papa Noël, un guitariste-compositeur
qui a marqué la rumba congolaise
Papa Noël, l’un des plus grands artisans de la rumba congolaise, a tiré sa révérence le lundi 11 novembre 2024, en France, à l’âge de 84 ans, des suites d’une longue maladie. Sa disparition survient juste après celle du producteur de musique, Beethoven Henri Germain Yombo et du musicien Michel Boyibanda. Des grandes figures du monde de la rumba quittent ce monde, nous laissant des souvenirs inoubliables. De son vrai nom, Antoine Nedule Montswet, Papa Noël était souffrant de longues années, sans bénéficier de l’assistance des autorités publiques des deux rives du Fleuve Congo, en dépit d’insistantes alertes, publiées via les réseaux sociaux, entre autres, par son ami et néanmoins admirateur, le ministre Joseph Ouabari Mariotti.
Elevé et inspiré à la musique par sa mère
Né le 29 décembre 1940, à Léopoldville, alors capitale du Congo-Belge, Papa Noël (surnommé ainsi en raison de sa naissance quatre jours après Noël), est de père ressortissant de Mindouli (Département du Pool) au Congo-Brazzaville, et de mère issue de l’ethnie Banunu, en RD Congo. Seule, celle-ci va élever son enfant. Le goût de la musique lui viendra de par sa mère, qui écoutait les mélodies d’Amérique latine sur son phonographe. Enfant de chœur à la Paroisse Saint-Paul, Antoine deviendra ensuite choriste. Il fait ses premières armes musicales au Collège catholique Saint-Anne de Léopoldville. D’après le célèbre chroniqueur musical, Clément Ossinondé, Daniel Loubélo, De la Lune, est son maître-guitariste. Congolais de Brazzaville, De La Lune avait intégré, en 1953, la Maison Loninguisa de l’éditeur grec Papadimitriou, avant d’être co-fondateur de l’Ok Jazz, le 6 juin 1956.
Un virtuose de la corde pincée
Sa première guitare, c’est un don de sa maman, lors de son anniversaire à 16 ans. Après quelques mois d’apprentissage en autodidacte, Antoine est découvert, par hasard, par Léon Bukasa, une autre grande figure de la guitare, qui l’emmène à la Maison d’édition Ngoma, de l’éditeur grec Nico Jeronimidis. Composée par Léon Bukasa, la chanson «Clara Badimuene», sortie en 1957, dans laquelle Papa Noël explose à la guitare solo et au chant, fera carton plein.
A la demande de Jean-Serge Essous, Papa Noël intègre l’Orchestre Rock-a-Mambo du grand Nino Malapet, où l’attend un défi de taille: celui de remplacer le géant Tino Baroza, démissionnaire. Par la suite, il intègre l’Orchestre Maquina Loca, à la demande de Guy Léon Fylla, qui l’invite à le rejoindre à Libreville, où ils partageront la même aventure artistique, très courte au demeurant.
Août 1959, les autorités du Congo-Belge renvoient les Congolais de Brazzaville à leur pays d’origine. Nino Malapet, Jean-Serge Essous, Saturnin Pandi de Rock-A-Mambo et Edo Nganga, Célestin Nkouka et Loubélo De La Lune de l’Ok Jazz se retrouvent à Brazzaville où ils créent leur orchestre, les «Bantous de la capitale».
1961, l’Orchestre Maquina Loca s’effondre. Papa Noël doit quitter Libreville pour regagner Kinshasa. Transitant par Brazzaville, il rencontre Jean-Serge Essous, qui lui prie de rejoindre les «Bantous de la Capitale».
Deux ans plus tard, Jeff Kallé projette de se marier. Devant animer la soirée dansante, l’African Jazz abdique, en raison d’une forte hémorragie de musiciens, et pas des moindres (Rochereau, Dr Nico, Roger Izeidi), partis créer l’Orchestre African Fiesta. C’est alors que seront appelés à la rescousse les Bantous de la Capitale, qui y signeront une prestation de haute facture. Mais, en bonhomme de remise en question permanente, Papa Nono va faire défection aux Bantous, pour rejoindre African Jazz, en perte de vitesse, après la désertion d’une armée de musiciens. Mais, après une étincelante tournée au Congo et en Europe, sa collaboration avec l’African Jazz tourne court.
En 1965, Papa Noël se retrouve dans l’Orchestre Co-Bantous, mélange des «transfuges» des Bantous de la Capitale et de Conga Jazz. Juste peu avant d’aller créer, en 1967, son propre orchestre, Bamboula, lequel est un véritable nid de musiciens talentueux comme Pépé Kallé, Wuta Mayi, Bozi Boziana, Madilu… En 1969, le Zaïre est à la cherche d’un orchestre pour le représenter au Festival panafricain d’Alger. Une compétition est organisée, à l’issue de laquelle l’Orchestre Bamboula l’emporte.
Papa Noël au firmament
1973, dans la foulée de son succès au festival d’Algérie, avec son Orchestre Bamboula, Papa Noël se voit confier, par le gouvernement, la réalisation de la première anthologie de la musique zaïroise moderne. Une vraie victoire, pour lui, qui fera sa fierté, au vu de l’âpreté de la concurrence.
En 1978, il rejoint le Tout-Puissant Ok Jazz, du Grand-maître Franco Luambo Makiadi, où il va, enfin, s’établir durablement. Il y compose de nombreux titres célèbres, dont Tangawisi. En 1984, à l’insu de Franco, son patron, Papa Noël largue un album culte, «Bon Samaritain», qui sera sa pomme de discorde avec ce dernier. Interprété par Lassa Carlyto et enregistré à l’I.a.d (Industrie africaine du disque) à Brazzaville, sous la direction de Freddy Kebano, l’album est un chef-d’œuvre, plébiscité autant par le grand public que par la chronique musicale.
L’Europe ou la traversée du désert
A la mort de Franco, Papa Nono s’engage dans une carrière européenne où il connaîtra des fortunes diverses. D’abord des difficultés administratives pour obtenir son titre de séjour. Ensuite, des collaborations avec divers groupes musicaux comme Kekelé, avant de rencontrer l’accordéoniste Viviane Arnoux avec laquelle il réalisera, d’ailleurs, un disque baptisé «Color». Ayant recouvré sa liberté, il renoua, vers la fin de sa carrière, avec ses influences cubaines, perceptibles dans des albums tels que «Café Noir», «Bel ami», «Bana Congo»… Un livre, «Le parcours du combattant Antoine Nedule Montswet, Papa Noël» lui est dédié par le chroniqueur musical Clément Ossinondé, publié aux Editions Edilivre, en 2021.
Avec son brillant parcours qui a épousé l’histoire de la musique congolaise des deux rives, Papa Noël aura marqué de son empreinte toute une époque. Sa disparition est incontestablement un coup dur pour la communauté «Rumberos», qui se retrouve ainsi orpheline d’une icône qui les aura bercés de ses envoutantes mélodies, plus d’un demi-siècle durant. Chapeau bas l’artiste!