Musique
Pourquoi Zaïko Langa-Langa ne reviendrait-il pas à ses fondamentaux sur la rumba?
Historiquement, Zaïko Langa-Langa est un orchestre dont la réputation, à partir des deux rives du Fleuve Congo, s’est forgée autant sur la chanson, entendue comme texte ou parole, que sur la puissance rythmique de ses sébènes ou ngwasuma, dans le jargon lingala. Le sébène étant la partie dansante de la chanson, qui intervient après la fin de la dernière ligne du refrain. Cet équilibre texte-instrument est sûrement la botte secrète de ce groupe musical ayant fait la pluie et le beau temps de la musique africaine, à travers les générations, et qui poursuit son bonhomme de chemin. Aujourd’hui, il y a lieu de se demander s’il n’est pas souhaitable pour ce groupe de revenir aux fondamentaux de la rumba congolaise, selon l’esprit de sa propre école.
En effet, aux côtés des écoles guitaristiques de rumba pure, représentée par l’Ok Jazz du grand-maître Luambo Makiadi et l’African Jazz du Docteur Nico, a émergé, au tournant de la décennie 70, une troisième génération d’école, aux accents funk, plutôt rapide, qui a abandonné les instruments à vent, au profit de la batterie, de la guitare solo, accompagnés dans l’animation, depuis un certain temps, par les Atalakus. Cette offre musicale arrivait à point, pour répondre à un nouveau besoin sociétal, celui d’une jeunesse en ébullition, porteuse de nouvelles aspirations, après avoir longtemps été ngembo (spectateurs) ou badauds. C’est l’époque Yéyé!
Bien que privilégiant les rythmes soutenus, la nouvelle école ne tourna, cependant, pas le dos à la rumba qu’elle continue de jouer dans la première partie des chansons, selon la structuration classique de la rumba: couplet; refrain et sébène. Etonnamment, depuis un certain temps, dans le répertoire de Zaïko Langa-Langa, on constate une rupture de cet équilibre, au profit du tout rythmique, au grand regret de certains ses mélomanes, qui ne se retrouvent plus. Il est vrai que «Vimbaaah, mokongo ya koba» a connu un succès populaire, alors que «Système ya benda» n’a pas tellement décollé. Tout le contraire du Live «Awa té», actuellement sur le marché, qui se comporte plutôt bien. Mais, Zaïko a forgé son succès historique dans l’équilibre du texte et du sébène.
Zaïko Langa-Langa, porte étendard de la musique jeune
Crée en 1969 sur les cendres du groupe Belguid National, par D.v Moanda, l’Orchestre Zaïko Langa-Langa se distinguera par son style saccadé et syncopé, en rupture avec les rythmes lents ambiants issus de la rumba classique. En créant ces nouveaux tempos, proches de l’ambiance soukous, dont les Orchestres Négros Succès, Thu Zahina, Stukas Boys, Sinza Kotoko de Brazzaville, Bakuba et Bakuba Mayopi de Kinshasa ont été les précurseurs, Zaïko Langa-Langa est devenu la coqueluche d’un public notamment jeune et adulte, connecté à l’international et lassé de l’offre existante.
De tout temps, dans Zaïko Langa-Langa, les textes des chansons ont toujours revêtu une grande importance, de sorte que la plupart de ses musiciens, chanteurs ou instrumentistes, sont aussi des auteurs-compositeurs. D’où la variété de son répertoire, mêlant à la fois des chansons à paroles telles que «Eluzam», «Mbeya-Mbeya», «La vérité», «Bongo Bouger»… qui sont des chefs d’œuvre textuels et des albums à dominante rythmique tels que «Nippon Banzaï» ou «Jetez l’éponge». D’ailleurs, de l’importance de la parole est né tout un métier, le parolier. Ce dernier n’étant pas forcément un musicien stricto sensu, mais un professionnel du texte, à l’instar de Gérard Bitsindou, Pascal Poba, Max Mongali, Olémi Eshar, Shiko Mawatu, Do Akongo, etc. Mieux, dans son répertoire, Zaïko Langa-Langa compte des chansons exclusivement de paroles, sans sébène, comme «Etape», dans l’album Muvaro.
Zaïko Langa-Langa, devenu un orchestre ewawa?
Poser cette question peut paraître irrévérencieux, notamment à l’égard des zaïkophiles qui peuplent les deux rives du Congo et au-delà, à travers le continent et dans les diasporas africaines sur tous les continents. Ils peuvent nous en vouloir, faute de recul. Rappelons que dans le jargon populaire congolais, le terme «ewawa» signifie ancien, vétéran, avec une connotation plutôt péjorative. Ainsi défini, le terme va comme un gant à Zaïko Langa-Langa d’aujourd’hui, dont l’étoile, disons-le, a pâli, depuis longtemps. En effet, il faut remonter loin dans le temps, au milieu de la décennie 90, avec l’album «Avis de recherche», pour retrouver la version originale de Zaïko Langa-Langa, avec des chansons à texte de bonne tenue.
Mais, que s’est-il donc passé?
Une partie des explications pourrait venir de la scission du groupe en 1988, qui a donné naissance à l’Orchestre Zaïko Familia Dei. Avec le recul, on a l’impression qu’en partant, les musiciens dissidents avaient emporté un pan de l’identité du groupe. De toute façon, la défection d’un auteur- compositeur aussi prolifique que Bimi Ombalé ne pouvait que se ressentir. D’autre part, on ne perd pas «impunément» des musiciens aussi expérimentés, auteurs compositeurs comme Alexandre Matima Mpioso (Mbuta Matima, guitariste), Enoch Zamuangana (guitariste), Claude Nsumbu Makola alias Lengi-Lenga Ya Lengos (chanteur), ou Jean-Marie Belobi Ng’Ekerme alias Meridjo «Masini ya Kauka» (drummer). Pour maintenir le niveau, il aurait fallu que Jossart N’Yoka Longo (Joseph Roger Nioka M’Vula), président de Zaïko Langa-Langa, en renouvelant l’équipe, intègre des critères de productivité tels que la composition, au lieu de tout miser sur la chorégraphie, comme il semble en avoir fait le choix.
Le président de l’Orchestre Zaïko Langa-Langa devrait, par ailleurs, apprendre à se remettre en question sur ses choix stratégiques. Il devrait accepter, par exemple, de céder un peu de champ à ses musiciens, pour leur permettre de se révéler. Par son omniprésence, il paraît étouffer le talent de ses musiciens, les réduisant de fait à un groupe d’accompagnement, à l’image de Fally Ipupa, Roga-Roga ou Ferré Gola. A vrai dire, à chaque orchestre correspond un modèle.
Enfin, le président Nyoka Longo serait bien inspiré de préparer, dès maintenant, la relève, s’il veut éviter à cette institution, le sort qu’ont connu les orchestres tels que Ok Jazz, Afrisa international, African Jazz, Empire Bakuba, Viva la Musica, etc, disparus après leurs chefs.
Reconnue en 2021, par l’Unesco, comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité, la rumba congolaise a besoin de promoteurs. Par son histoire, son expérience et sa notoriété, Zaïko Langa-Langa en est un. Il devrait revenir à ses fondamentaux, pour le bonheur des mélomanes et pour la reconquête de ses lettres de noblesse.