L’on va bientôt célébrer, dans le monde entier, la fête de Noël. Sa préparation bat son plein et indique plus ou moins le faste qui accompagne toutes les célébrations, religieuses ou profanes, de fin d’année. Malgré la misère et la pauvreté qui cisaillent, dans nos villes et surtout dans nos marchés, c’est l’effervescence, avec la fête de nouvel an qui pointe à l’horizon. Riches et pauvres se croisent au cours de leurs emplettes, sans se voir, les regards des uns rencontrant les yeux hagards des autres. Le jour de Noël serait-il différent des autres jours? Non, il n’est pas un jour différent des autres, car il n’y a pas de trêve ni pour les exploités, ni pour les opprimés, ni pour les affamés, ni enfin pour les torturés. Aussi, me permettrais-je de rédiger cet article, avec la conscience aiguë de ce décalage permanent entre l’idée que l’on peut se faire de la fête et du bonheur, ou de la réalité douloureuse d’une société trop dure pour tous ceux qui vivent dans ses marges. La conscience aussi du peu de poids des mots pour répondre aux vraies détresses, plus vraies et plus inacceptables encore en ces rendez-vous rituels et profanes.
Noël n’est pas un jour différent des autres. Pas de trêve pour les exploités, les opprimés, les affamés, les torturés, les miséreux et les nécessiteux. Et c’est vrai qu’à vouloir écrire ici quelque chose de plus pour fêter Noël, l’on éprouve de la gêne. Mauvaise conscience? Qui ne la ressent pas dans cette atmosphère de la «rupture»? Quelle est actuellement la signification de Noël pour la majorité de nos concitoyens? Celle de la fête des enfants, comme le prônait, depuis quelques années, le P.c.t? Celle des cadeaux ou celle d’une bouffe en famille?
Et les chants célestes dont nous abreuveront les chorales dans les églises pour célébrer Noël ne couvriront pas plus, cette année que d’autres, les cris de détresse qui montent des villages et hameaux des sinistrés du Département du Pool, des victimes des inondations dans les banlieues de nos villes et dans les départements du Nord du pays, ni les larmes silencieuses des veuves, des orphelins, des enfants de la rue, des enfants des pauvres, des vieillards solitaires, des clochards dormant à même le sol aux carrefours des grandes avenues ou dans les marchés, des diplômés sans emploi, des chômeurs et des retraités maltraités, désespérés qui devront se contenter du spectacle de l’opulence des autres.
Même si elle est aujourd’hui minoritaire, la dimension spirituelle de l’évènement que fêtent, le 25 décembre de chaque année, les chrétiens, en souvenir de la naissance, à Bethléem, parmi les pauvres, de l’enfant Jésus, il y a plus de deux mille ans, reste inébranlable.
Dieu qui s’est fait homme et qui est venu apporter aux hommes, un message d’amour et de paix: «Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (in terra pax hominibus bonae voluntatis)». Ce message est malheureusement souvent déformé, confisqué, dénaturé par ceux-là même qui sont supposés le propager. Oh l’exécrable collusion encore trop réelle entre l’Eglise et l’argent, Dieu et Mammon!
Ah! si les chrétiens pouvaient rester fidèles au sens de l’événement, en honorant au moins en Jésus-Christ, le non conformiste qui a osé braver les institutions établies, leur dire que leurs actes n’étaient pas conformes à leurs paroles, que tous les êtres humains sont frères! Jésus, cet Homme en colère qui maniait le fouet pour chasser les marchands du temple!
Les évêques, les prêtres, les pasteurs, les diacres et autres évangélistes ainsi que tous les chrétiens devaient rendre à Noël, sa vérité et son actualité. Sa vérité, car si Dieu s’est fait homme comme l’annonce l’Evangile, Noël est d’abord la fête de l’homme et de ses droits qui prennent ce jour-là une dimension d’éternité. Son actualité, car Dieu sait si les droits de l’homme solennellement proclamés par les Nations unies et repris dans la Constitution de notre pays, le Congo, vivent aujourd’hui des temps incertitudes: l’errance; l’exil; l’exclusion; la faim; le long retard du paiement des pensions des veuves et des retraités; le chômage; le manque de structures sanitaires et scolaires; les angoisses; les soucis quotidiens; la prison et son horreur qui atteignent l’homme dans sa dignité et au cœur de lui-même, qui le rongent.
L’on ne dira jamais assez comme l’on ne combattra jamais assez pour la liberté et pour la paix. Mais, les droits de l’homme ne s’arrêtent pas là où finissent la prison ou l’exil ou encore l’errance. Ou plutôt, il existe d’autres exils, d’autres prisons et d’autres errances. Par exemple, le père de famille harcelé par les usuriers ou qu’un implacable désordre économique laisse sans emploi et donc sans salaire, est un exilé dans son propre quartier. Lui aussi marche à la recherche d’un avenir où sera reconnu son droit à l’existence en même temps que sa dignité. Et que dire du jeune sans emploi, réduit au chômage avant même d’avoir travaillé? Que dire de l’enseignant vacataire qui attend in fine son embauche définitive et sa titularisation? Que dire du retraité, délaissé et abandonné sans pension, attendant en vain le paiement de ses arrérages et de ses six mois de préavis? Et quand sera-t-il jour de bonheur pour ces adolescents, ces adolescentes, pour ces jeunes filles-mères qui vendent à la criée, dans nos rues, dans les carrefours, dans les ronds-points, des sachets d’eau glacée et de jus de gingembre, des tranches de noix de coco, des tranches de mangues mûres ou vertes assaisonnées de piment, des pots de crème lactée et glacée? Ils travaillent, les pauvres, douze à treize heures par jour, sous une chaleur accablante voire suffocante, pour un bénéfice dérisoire et de misère.
Quand sera-t-il jour de bonheur pour toutes les personnes qui se sentent perdues, pour celles qui ne savent plus où aller, pour celles qui se terrent dans le noir, pour celles qui, à cause de l’oisiveté, errent dans nos rues sans but, pour celles qui souffrent dans leur corps, pour celles qui tirent le diable par la queue, pour celles qui se sentent abandonnées de tous, pour celles qui ne connaissent que de la solitude, pour celles qui ne parlent pas ou souffrent en silence, pour ces jeunes enfin qui, pour noyer leurs soucis permanents, leurs angoisses et chagrins, s’adonnent dès 9h du matin, à des beuveries dans les ngandas de fortune, érigés à même les trottoirs de nos rues et de nos avenues? Ce qui fait d’eux des adeptes indécrottables du dieu Bacchus. Toutes ces personnes vivent comme dans un «goulag».
A ce propos, le Congo serait-il devenu un «goulag» où vivraient et seraient enfermés les affamés, les miséreux, les clochards, les nécessiteux, les laissés pour compte et les jeunes à l’avenir incertain? Il serait très souhaitable qu’en cette période de Noël, les chrétiens rappellent cette vérité à tous et sauvent l’honneur: qu’il n’est pas de foi qui vaille qui ne se situe, par principe, du côté des faibles, des exclus et des opprimés; que la dévotion des riches et des puissants ne pèse pas.
Qui d’entre nous ignore le pauvre Lazare aux portes de leurs banquets; que les droits de l’homme, tous sans exception, doivent être respectés: le droit de penser et d’écrire; le droit de rire et de dire publiquement ce que l’on pense. Mais aussi, le droit de travailler, d’aller à l’école, d’être soigné lorsqu’on est malade, le droit de se reposer, de jouir de sa retraite dans la dignité et enfin le droit de manger et de vivre. Ces droits n’ont pas la moindre chance d’être respectés et garantis à tous, aussi longtemps que la richesse, l’arrogance et le bonheur de quelques-uns seront nourris dans notre pays, par la misère et le malheur des autres.
En cette période Noël, l’occasion est donc donnée à tous les chrétiens, à tous les croyants pour affirmer haut et fort que le seul message de Noël est commun à «tous les hommes de bonne volonté», qu’ils croient au ciel ou qu’ils n’y croient pas. C’est leur raison d’être, eux les chrétiens qui attendent le Christ; leur attente n’est pas et ne doit pas être une attitude de passivité, une démission par rapport au monde où comme l’a affirmé Saint Jean-Paul II, «la menace du mal qui s’enracine si facilement dans le cœur des hommes d’aujourd’hui et qui, avec ses effets incommensurables, pèse déjà sur la vie actuelle et semble fermer les voies vers l’avenir!». Il s’agit, pour eux, «d’aller avec courage sur le chemin de la justice à la rencontre du Seigneur».
Qu’ils ne se lassent point de la clamer, d’un Noël à l’autre et tous les jours que Dieu a faits. C’est l’exigence de la charité, de la justice, de l’égalité, de la liberté, de la fraternité, de la tolérance, de la paix et du bonheur entre les hommes. Cette exigence qui est au cœur de tous les hommes: les chrétiens, les croyants et les non-croyants.
Dieudonné
ANTOINE-GANGA.