Le Président de la République considère que la crise économique d’aujourd’hui est une crise sociale et sociétale. Les autres y voient la maladie chronique d’une société fragmentée dans laquelle les Congolais vivent. Nul ne peut nier que la société congolaise est bloquée. Elle est dans l’incapacité de dénouer le débat public autour des sujets très marqués. De Brazzaville à Pointe-Noire, durant la période 2015-2016, ces villes ont été le théâtre de manifestations citoyennes qui ont toutes replacé la démocratie au centre du jeu national. En 2020, le coronavirus a défié le gouvernement. Si ces derniers temps, les conflits sont mis entre parenthèses, les conflits actuels sont ceux qui sont alimentés entre autres par la pauvreté.
Ces derniers temps, fort heureusement, une idée émerge, celle de l’économie sociale et solidaire, pour faire face à notre système productif et économique bridé. On le voit à quel point notre système économique est gêné dans son développement. Mais, il faut commencer à adopter des comportements qui débrident nos instincts. Ce qu’il faut rechercher, c’est avoir les prédispositions à respecter l’ordre et la discipline. Il faut se poser les questions suivantes: sommes-nous disposés à en finir avec le prolongement des comportements redoutables qui pèsent sur la raison humaine? Qu’est-ce que la raison humaine, en effet, si ce n’est ce flux de confiance dans l’aptitude de l’homme à comprendre sa place dans la société, sans recourir aux idées qui nous rendent plus inertes? Pourquoi restons-nous immobiles?
On a comme l’impression que nous n’avons ni réflexion, ni activité, ni réaction, ni ingéniosité devant les politiques d’une grande inefficacité. Pour opérer la transition de l’économie anesthésiée vers l’économie sociale et solidaire, le Congo doit contrebalancer l’image d’un pays tout dévoué au pétrole, en s’efforçant de montrer qu’il tient à participer à l’essor d’un marché de la zone Afrique. A cette occasion, diverses améliorations doivent être opérées, afin de rattraper cette transformation manquée, après la chute du mur de Berlin. L’histoire du 20ème siècle offre peu d’exemples d’une telle importance. Nous n’avions pas su tirer profit de ce bouleversement modernisateur.
L’événement de 1989 n’a pas eu pour avantage historique, chez nous, d’être analysé comme le fruit de la nécessité. Nécessaire, cette analyse aurait pu montrer notre capacité à trouver le compromis entre une poussée démocratique de la société et susciter une révolution agricole. On oublie souvent que la révolution agricole, en Europe, a précédé de plusieurs siècles la révolution industrielle.
Pourtant, notre pays, le Congo, n’est pas maudit. Mais, les programmes économiques ne parviennent pas à accélérer le processus démocratique. Notre démocratie patauge, elle marche dans des eaux boueuses. Elle se perd dans des difficultés inutiles, dans des tendances à imposer une domination sous couvert de particularismes. Il nous faut dépasser ces particularismes, trouver un idéal de remplacement, retrouver, enfin, l’honneur du Congo, par la fin des destructions du patrimoine public et privé qui ne répondent pas à grand-chose: désormais, le seul combat noble est celui qui doit être contre la pauvreté, dans une performance d’un «Etat partout et un Etat pour tous».
Il n’y a plus de guerre concevable, seul un «Etat protecteur» doit nous rendre la dignité de citoyen. Ceux qui nous gouvernent ont une responsabilité: ne pas encourager ceux qui détruisent. L’Etat est là pour garantir la reconstruction, en cas de besoin, en l’occurrence, dans ces actions qui relèvent de lui: rétablir en son état ancien ou en sa forme première, le bien de l’Etat. Le logiciel politique qui ne considère pas le patrimoine de l’Etat ne doit plus être habituel dans notre système de pensée politique.
Soutenons Jad Zahad lorsqu’il affirme: «Il nous faut réussir, je le crois, tout en incarnant un Etat protecteur, à changer… Oui, il nous faut continuellement améliorer la protection par la solidarité nationale. Je crois qu’il nous faut bâtir une citoyenneté plus large, une citoyenneté active dans laquelle contribuer à la solidarité nationale n’est pas une contrainte, mais une fierté, une source complémentaire d’appartenance à la collectivité».
Soyons convaincus de ce que le logiciel de pensée qui doit imbiber l’économie sociale et solidaire doit oser se réinventer: nous sommes un pays à vocation agricole, c’est vrai, mais tout ça, qu’est-ce que ça vaut, si le Programme national de développement ne cherche pas à concilier «l’activité économique et l’utilité sociale»? Il faut que nous ayons une bonne administration des richesses, des biens matériels. Lorsqu’on a un programme économique, on tient non seulement à être compris, mais certainement aussi à prendre en compte le milieu social. Par-là, j’entends la prise en compte des classes sociales. Un exemple, on construit des logements sociaux non accessibles à la classe moyenne, à cause des loyers prohibitifs.
Conséquences, pour les jeunes congolais qui arrivent sur le marché du travail, se loger devient difficile. De l’autre, il faut reconnaître que le prix du sac de ciment est plus accessible sur le marché maintenant. L’effort qui a été fait pour le ciment doit être généralisé. Roland Berthilier, président du groupe de la Mutuelle générale des enseignants français, considère que ce siècle marquera la naissance des modèles qui constituent les principales familles de l’économie sociale et solidaire; il en a identifié trois: les coopératives; les mutuelles; les associations.
Pour le même Berthilier, l’économie sociale et solidaire, «c’est un modèle qui repose sur un projet et pas sur la rentabilité. Ici, l’argent n’est qu’un moyen au service d’une fin». En quoi ce modèle de développement peut répondre à nos défis majeurs? Il y a eu des époques où l’on croyait fermement et même avec une certaine assurance, à l’agriculture priorité des priorités. Mais, cette époque-ci peut être une époque véritablement contraire où l’on peut prendre de plus en plus de courage. Et nous savons avec quoi on peut arriver à un tel résultat: la témérité. Elle nous est essentielle.
Ce serait une promotion que de parvenir à cette espèce de passerelle réservée à la fois aux gouvernants et aux gouvernés, par laquelle on peut accéder à cette société essentiellement humaine. Pour qu’il devienne un modèle d’avenir, le projet de remettre du sens à l’économie doit relever certains obstacles. Il s’agit de ce qui touche à la vie en société, à la dignité et à l’avenir du Congolais.
Lutter contre
l’ethnocentrisme
Tout le problème de notre pays repose sur l’ethnocentrisme. Quelle que soit la fonction politique à laquelle on accède, on privilégie, avant tout, son groupe ethnique. Malheureusement, dès qu’on se met dans ce travers, on a du mal à comprendre le fonctionnement de l’Etat et de la société. Du coup, même la construction visible de la pensée nous échappe. Nous induisons l’Etat en erreur. On fabrique une machine étatique tendant à devenir l’incarnation du mal vis-à-vis de l’Homme.
L’égalité en société ne signifie plus rien. Les droits fondamentaux qui conditionnent l’égalité politique ne sont plus assurés. Or, dans une telle société, l’Etat devient un simple auxiliaire, s’éloignant de la volonté collective, son autorité s’en trouve réduite. Autant, hier, on pouvait encaisser le propos de Montesquieu disant que «l’Afrique reste le réservoir de matière première». Ce qui veut dire que tout pour le développement industriel de l’Europe, des miettes pour l’Afrique.
Mais, de nos jours, il est plus difficile d’encaisser le revirement, le changement brusque de ce qui ont eu ou ont la charge de conduire nos cités, nos sociétés vers la lumière. La question qui se pose: pourquoi les règles morales à partir des quelles s’organise la société sont violées en permanence? Est-on conscient que, tant que cela perdurera, la société ne s’harmonisera pas pour notre mieux vivre? Mais là, ce n’est pas la faute du colonialiste. Regardons-nous dans le miroir.
Voilà pour ma brièveté! Congolais et citoyen à part entière au milieu de mes contemporains, il y a des heures où l’on est très préoccupé. Il est vrai qu’il y a aussi des heures où l’optimisme revient au galop. Peut-être parce qu’il y a encore cette confiance en bonne posture vis-à-vis du savoir humain. La société a besoin de cet impératif de renouveau. Il est peut-être temps de reconstruire ce qui a été détruit sur la base de nouvelles bases, celles que porte l’économie sociale et solidaire, à savoir «coopération, entraide, altruisme».
C’est un modèle économique nouveau, pour l’économie de l’apaisement… Grâce à quoi les paysans, les agriculteurs, les entrepreneurs parviendront à ériger une économie sociale distincte, par une révision de la politique agricole du Congo. De 1958 à 1968, le programme de développement s’est élaboré en deux étapes séparées. La première est le maintien de l’existant au plan agricole, notamment par la création de l’Office national de commercialisation des produits agricoles (O.n.c.p.a).
La deuxième étape semblait avoir réussi. Le gouvernement révolutionnaire a gagné quelque vigueur par l’industrialisation de l’économie. Mais, le malaise a été surtout politique. Le gouvernement a, désormais, une responsabilité, celle de faire des choix extraordinaires pour soutenir la croissance économique. Nous avons besoin de démontrer que l’économie sociale et solidaire est un modèle pour le Congo, en prenant une place particulière, pour affronter les modèles qui ont entraîné la pauvreté et la violence, des modèles économiques qui ont créé, dans notre pays, des foyers de tension. Nos conditions de vie dans notre société ne correspondent plus à ce que nous espérions.
Dans notre société, l’individu est devenu la référence. Ce qui provoque, dans l’opinion, ce sentiment de grande déception vis-à-vis de l’Etat. Il faut inverser cette tendance, faire de telle sorte que le collectif redevienne la référence. Il faut regarder la réalité en face. Aujourd’hui, la force régulatrice de notre Etat est fragilisé par l’ethnocentrisme, la corruption, le déni. Le peuple attend simplement le retour aux leviers d’actions clairement expliqués, avec des signaux.
Nous sommes en guerre économique. Il faut que tous participent à l’effort de guerre. Nous avons besoin de conduire notre pays à une nouvelle lecture de notre société et de ses enjeux. Des enjeux, de grâce, qui doivent, en période de crise, inspirer de nouvelles politiques dans leur globalité.
Joseph BADILA