La parole est l’attribut essentiel de l’homme. Elle le distingue des autres espèces vivantes, en ce sens qu’elle permet de penser et de raisonner. La parole est perdue, lorsqu’un éphémère s’incline devant la funeste destinée, sans l’avoir transmise. Elle se perd aussi, du moins elle perd de sa charge, lorsqu’elle est dérobée pour la mauvaise cause. La parole, c’est comme le feu prométhéen; elle est faite pour convaincre, pour expliquer, justifier et susciter une adhésion à une cause. Elle doit être fondatrice. Lorsqu’elle est volée ou dérobée, elle est galvaudée; elle devient un son vulgaire, un alignement des mots sans charge créatrice.
La parole est perdue lorsqu’elle est essentiellement narcissique, nostalgique. Dans ce cas, il y a risque de passer à côté de l’essentiel, au lieu de projeter l’avenir. La parole narcissique traduit un désenchantement, même lorsqu’elle décrit une situation réelle, un existant indiscutable. Prenant pour prétexte la critique du présent, la parole perdue fait remonter à la surface toutes les frustrations des temps anciens, celles de ne pas être reconnu comme tel, celles de ne pas recevoir comme les autres, surtout celles de ne pas être considéré comme ceux qui n’étaient pas là, ou qui n’avaient pratiquement rien fait. C’est cela, le message essentiel de la parole perdue.
La parole est perdue lorsque qu’elle est dérobée, lorsqu’elle est adressée à tous les éphémères sans la volonté de son auteur. Dans certaines sociétés, il ne peut venir à l’esprit de personne d’enregistrer et de diffuser des paroles dites à titre privé et/ou confidentiel, surtout lorsque l’on n’est pas détenteur de l’autorité publique; c’est une question d’éthique. Cependant, avec le développement des réseaux sociaux et des moyens modernes de communication, rien ou presque n’échappe aux grandes et petites oreilles et aux gorges chaudes.
Il se trouve que la parole a des ailes, selon le discours homérique. Elle «franchit l’espace comme des oiseaux ou comme des flèches». Et, comme les flèches, elle blesse parfois, elle irrite, elle désempare et devient sources d’ennuis avec les hommes ou avec la justice. C’est pour cette raison qu’il faut «tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler», et bien choisir à qui parler. Parce qu’en bulgare, on dit «parole dite, pierre jetée»; et, il faut bien choisir celui sur qui on jette la pierre; sinon, c’est la descente aux enfers ou presque.
Prométhée