L’Etat congolais a connu une crise financière sans précédent due à de multiples causes dont particulièrement l’endettement public excessif. Grâce à la mise en œuvre du Pnot (Programme national d’optimisation de la trésorerie), le pays tente de sortir de cette crise caractérisée par l’effondrement du pouvoir financier de l’Etat. Mais, peut-on tourner la page de cette crise financière, sans interroger la gouvernance publique, sous les différents mandats du Président Denis Sassou-Nguesso, depuis 2002? Sans remise en cause de certaines pratiques de gouvernance publique, sans changement de comportement dans la gestion des finances publiques, l’Etat congolais peut-il retrouver ses équilibres habituels et continuer à fonctionner comme si de rien n’était ?

Depuis 2002, le Président Denis Sassou-Nguesso cumule les mandats à la tête du pays, avec une détermination bien affirmée de conduire son peuple vers le bonheur. L’intitulé de ses projets de société successifs en disent long à ce sujet:
– «La nouvelle espérance» en 2002, pour redonner l’espoir, après la guerre dévastatrice de 1997, de retrouver d’une part, la sécurité, la paix et la stabilité et d’autre part le développement socio-économique du pays;
– «Le chemin d’avenir», en 2009, pour poursuivre les efforts de construction du pays;
– «La marche vers le développement» en 2016, qui a mis l’accent sur la diversification de l’économie nationale, afin de réduire la dépendance du pays au pétrole, sans y parvenir réellement;
– et enfin, «Ensemble, poursuivons la marche», en 2021, pour accorder «une attention particulière aux moyens humains et financiers devant nous permettre de réaliser nos ambitions et de parvenir aux résultats escomptés», comme il l’avait présenté lui-même.
Mis à part les hostilités armées ayant rebondi dans le Département du Pool, à deux reprises, le Président Denis Sassou-Nguesso a bénéficié de la stabilité institutionnelle nécessaire pour mettre en œuvre ses projets de société. Surtout qu’en 2015, il a pris l’option de conduire le pays vers l’émergence à l’horizon 2025. Mais à la place de l’émergence, c’est la crise financière qui est arrivée.

Constat amer

2025, on y arrive. Le constat est amer sur le plan de la gestion financière: la dette prédomine, provoquant une crise financière qui a réduit les capacités de l’Etat à assurer régulièrement le fonctionnement de ses services, avec des conséquences désastreuses au plan social. A cause des retards de salaires, des bourses, des pensions et autres rémunérations, la précarité a atteint la classe moyenne. Il ne faut pas croire que c’est un phénomène passager. C’est structurel: si on ne change pas la façon de gérer, l’Etat ne sera plus jamais capable de payer les arriérés qui s’accumulent partout, même dans les entreprises publiques comme le C.f.c.o ou la Sopeco.
Les revendications sociales des salariés publics dans différents secteurs alimentent l’actualité nationale de manière récurrente. La première Université d’Etat, l’Université Marien Ngouabi, est en arrêt d’activité depuis le mois d’octobre, à cause d’une grève illimitée de son personnel qui revendique des salaires. Comment est-on arrivé à ce désastre social?

Au moins  trois causes

Pour certains observateurs, trois causes au moins expliquent l’effondrement du pouvoir financier de l’Etat: l’endettement public; le manque de volonté politique dans la lutte contre les anti-valeurs et le refus de réduire le train de vie de l’Etat.
Si le gouvernement s’est attaqué à la cause de l’endettement, tout au moins en partie, en mettant en place le Pnot, en revanche, les deux autres causes restent sous silence et cela suscite des interrogations sur l’avenir.
Le Pnot seul ne suffit pas pour remonter le pouvoir financier de l’Etat. Encore faut-il que la rigueur soit restaurée dans la gestion des finances publiques à tous les niveaux, en combattant l’enrichissement sans cause. Remonter les recettes de l’Etat vers le Trésor public est aujourd’hui une gageure, tant il est vrai que les administrations chargées de les collecter ont pris l’habitude de les consommer directement, avec les abus qu’on peut imaginer. Surtout qu’on est convaincu qu’au Trésor public, les longs bras ne manquent pas aussi.
Le Chef de l’Etat avait lui-même fait savoir que le ver est dans le fruit. Et pourtant, les institutions nationales n’entreprennent pas les efforts nécessaires pour retirer le ver du fruit et tout le monde semble s’y accommoder. Au contraire, ceux des dirigeants qui s’illustrent dans la lutte contre la corruption connaissent des sorts bizarres. Lamyr Nguélé, le tonitruant président de la Commission nationale de lutte contre la corruption a vu sa structure être dissoute, pour faire disparaître l’enquête visant un membre du gouvernement qu’il avait ouverte. Désormais, la nouvelle structure de lutte contre la corruption, appelée pourtant Haute autorité, prend soin de ne jamais viser les gros poissons et de garder ses affaires dans le tiroir. Même le scandale du Figa a eu l’honneur d’être classé sans suite, comme l’affaire des crédits accordés par le Fonds de soutien à l’agriculture, jamais remboursés par les bénéficiaires.
Plus récemment, la douane et les impôts ont changé de tutelle. Mais, nombre de Congolais ont compris que c’était pour donner un coup d’arrêt aux enquêtes qui visaient des hauts-cadres dans ces administrations. Et même si la nouvelle tutelle affiche sa détermination à lutter contre les anti-valeurs, on ne se fait pas d’illusion: tout donne à penser qu’il n’y aura plus de poursuites judiciaires, sinon que des petits poissons comme les transitaires.
La réduction du train de vie de l’Etat est l’un des aspects devant contribuer à la bonne gouvernance. La bourgeoisie affichée par les élites aux affaires suscite des interrogations, au plan éthique, quant à la finalité de la gouvernance publique, au regard du décalage criant entre les dépenses de santé, de l’éducation, etc, et celles liées au fonctionnement des cabinets ministériels et administratifs. La réduction du train de vie de l’Etat ne concerne pas uniquement la baisse des rémunérations, mais surtout du rythme des dépenses publiques. Tout le monde sait que les marchés publics et les missions sont devenus la caverne d’Alibaba des cadres pour s’enrichir. La surfacturation des menus marchés publics est presqu’une culture généralisée. Ne pas le faire, c’est manquer l’occasion de s’en mettre les poches. Le Premier ministre a interdit à ses ministres de voyager, jusqu’à la fin de l’année. L’Etat ne s’est pas pour autant effondré. C’est pour dire!
Avec la gestion qu’on voit des affaires publiques, pourquoi être surpris des hôpitaux, des universités et des mairies qui rentrent en grève? Sans rigueur dans la gestion des finances publiques, sans blâmer l’enrichissement sans cause, un Etat n’accomplira pas de miracle, pour assurer le fonctionnement régulier de ses services de base comme l’école et la santé. La crise financière de l’Etat est un signal qui doit amener au changement dans la gestion des affaires publiques, pour que les projets de société aient la chance d’être convenablement mis en œuvre.

Jean-Clotaire DIATOU

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