N’Djaména, la capitale du Tchad, ainsi que d’autres villes du pays étaient, jeudi 20 octobre 2022, le théâtre de violents affrontements entre partisans de l’opposition et forces de l’ordre. Une situation qui fait suite à l’appel «d’une marche pacifique» lancé lors d’une conférence de presse, le 18 octobre, par les partis d’opposition et les organisations de la société civile, pour exiger un retour plus rapide à la démocratie et le départ de l’actuel Président de transition, le général Mahamat Idriss Deby. Celui-ci, a été porté au pouvoir par l’armée, après la mort du Président Idriss Deby Itno, son père, le 20 avril 2021. Selon les autorités tchadiennes, ces échauffourées ont fait 50 morts, 300 blessées et plusieurs dégâts matériels. En réponse à cette insurrection populaire, le gouvernement a instauré un couvre-feu de 18h à 6h dans les villes où les tensions ont été enregistrées.
Après l’appel de l’opposition à tenir une «marche pacifique», pour réclamer la fin de la Transition, le gouvernement avait réagi, dans un communiqué datant du 19 octobre, lu par Aziz Mahamat Saleh, à la télévision d’Etat, pour interdire cette initiative lancée par le P.s.f (Parti socialiste sans frontières) de Yaya Dillo, le parti «Les Transformateurs» de Succès Masra, et la coalition de la société civile Wakit Tamma. Selon les autorités tchadiennes, cette marche «vise à créer une insurrection populaire et armée, avec l’appui des forces extérieures, afin de déstabiliser le pays».
De son côté, l’opposition a fait savoir que «le dialogue récemment organisé dans le pays a été un échec, car ne répondant pas aux aspirations du peuple. Ainsi, elle ne cautionnera pas un plan de succession dynastique». En effet, le dialogue national inclusif et souverain, organisé par le C.m.t (Conseil militaire de transition) composé de quinze généraux, a décidé de prolonger la Transition de deux ans, maximum, tout en autorisant le général Mahamat Idriss Déby Itno de se présenter à l’élection présidentielle qui sera organisée à l’issue de la Transition, en octobre 2024. Voilà qui a mis dans la rue, l’opposition ayant boycotté le dialogue.
Foulant au pied la circulaire du gouvernement, des milliers de manifestants ont pris d’assaut les rues de la capitale N’Djamena ainsi que d’autres villes du pays, pour «exprimer leur ras-le-bol contre le régime en place». Les mouvements de protestation ont commencé vers 3h du matin du jeudi 20 octobre, jour supposé de la fin de la Transition initiale de 18 mois (avril 2021-octobre 2022).
La communauté internationale, notamment les Nations unies et l’Union africaine, avait demandé à Mahamat Déby de ne pas prolonger la transition au-delà des 18 mois prévus, et de ne pas se présenter à la présidentielle, pour rendre le pouvoir aux civils. Le dirigeant militaire tchadien a fait tout le contraire, creusant le sillon de la pérennisation de son pouvoir. Curieusement, c’est avec mollesse que réagissent les organisations sous-régionales et internationales, à commencer par la C.e.e.a.c (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale). Aucune sanction n’est annoncée, alors que contre les putschistes maliens, le ton est sévère.
Devant les foules de manifestants ayant suivi le mot d’ordre de l’opposition, le C.m.t n’a pas lésiné sur les moyens. Les forces de sécurité sont allés jusqu’à faire usage d’armes létales, pour disperser les manifestants. Plusieurs routes avaient été bloquées par des barricades et des pneus enflammés et les magasins étaient fermées pour éviter les pillages.
Pour le Premier ministre, Saleh Kebzabo, les forces de sécurité agissaient en état de légitime défense. «Ce qui s’est passé, aujourd’hui, est un soulèvement populaire armé, pour s’emparer du pouvoir par la force et les responsables de ces violences seront traduits en justice», a-t-il déclaré. Il a souligné que «les manifestants avaient des armes à feu et ils sont considérés comme des rebelles». Les partis responsables de ces troubles ont été suspendus de leurs activités. Parmi les morts, on compte une dizaine de policiers et un journaliste d’une radio locale.
La communauté internationale a condamné la répression sanglante des manifestations au Tchad. La France, considérée comme la puissance tutélaire du régime militaire de N’Djaména, a condamné l’usage des armes létales, affirmant ne jouer «aucun rôle dans ces événements qui relèvent strictement de la politique intérieure du Tchad». Mais, contrairement au Mali, aucune mesure concrète.
Signalons que le Tchad a connu une longue histoire de troubles politiques et de conflits armés, depuis son indépendance en 1960. L’ancien Président Idriss Deby Itno, qui était considéré par la France comme un allié de poids dans sa campagne contre le djihadisme au Sahel, a repoussé plusieurs tentatives de coups d’Etats par des rebelles venus de Libye et du Soudan. D’où sa politique de tolérance par rapport à la confiscation du pouvoir par la famille Déby, avec le soutien de l’armée. Maintenant que le C.m.t a le sang de son peuple dans les mains, il faut craindre une explosion de la situation socio-politique au Tchad.
Roland KOULOUNGOU