L’art et la spiritualité kota sont exposés, du 3 mai 2024 au 5 janvier 2025, au Meg (Musée d’ethnographie de Genève), en Suisse, sous un format inédit. Pour la première fois, les membres de la communauté source ont contribué à identifier l’origine des objets exposés et à dévoiler le message plastique des ancêtres ayant réalisé ces œuvres qui avaient une fonction cultuelle. En effet, les masques kota sont connus dans le monde à travers leur qualité esthétique qui avait d’ailleurs inspiré les artistes occidentaux au début du 20ème siècle, notamment Picasso et Gauguin. Une exposition qui resitue les artefacts dans le contexte socioculturel dans lequel ils avaient été créés.

L’aire culturelle des Kota, partie prenante de l’exposition au Musée d’ethnographie de Genève, concerne le Congo et le Gabon. Jean-Didier Ekori et Jean Lignongo, héritiers culturels, sont les porteurs de ce projet de réhabilitation de la mémoire des ancêtres qui ont produit ces œuvres remarquables méconnues dans le pays d’origine. L’objectif de la démarche vise, par ailleurs, à apporter un témoignage sur la violence coloniale et missionnaire subie par nos ancêtres. Les conséquences de cette violence symbolique sont visibles sur les figures de reliquaire amputées de leur panier contenant les médicaments, «mili», composés de reliques, d’écorces d’arbres sacrés et de peaux d’animaux.

Qui sont les Kota?

Jean Lignongo.

Les Kota sont une société segmentaire composée de plusieurs ethnies qui ont une identité culturelle commune. Ils vivent en milieu forestier au Congo et au Gabon. Il s’agit des: Obamba, Ndasa, Bahumvu, Shamaye, Mbahouin, Kota, Mahongwe, Mbéti, Ungum, Saké, Ndambomo, Nzébi…
L’aire culturelle kota couvre environ 150 mille km2, notamment dans quatre départements au Congo-Brazzaville (Niari, Lékoumou, Cuvette-Ouest et Sangha) et deux provinces au Gabon (Haut-Ogooué, Ogooué Ivindo).
Les Kota sont mondialement connus uniquement pour la qualité esthétique de leurs sculptures, notamment les gardiens de reliquaires qui garnissent les collections des musées, des marchands d’art en Europe et aux Etats-Unis. D’après l’ethnologue Louis Perrois, plus de cinq mille objets kota ont été emportés en Occident, depuis le 18ème siècle.

La spiritualité et l’art funéraire kota

Le culte des ancêtres occupe une place centrale dans la cosmogonie des Kota. Leur spiritualité est hermétique, utilitaire et génétique, puisque la transmission est lignagère. L’organisation de leur société est basée sur la parenté, le lignage, le clan. Les individus se situent, tous, en général, par rapport aux défunts du clan. Et la pérennité du clan s’incarne à travers les objets d’art cultuels. Pour atteindre Dieu, d’après les Kota, il faut passer par les ancêtres qui assurent la médiation. Selon eux, il existe un Dieu immanent inaccessible, «Nziami a yolo», et un Dieu terrestre accessible, «Nziami a tsiè», incarné par les ancêtres. C’est pourquoi ils conservent, dans des paniers, les reliques des défunts, précisément des dignitaires du lignage. Le reliquaire est le cœur de la spiritualité kota et de leur système socioculturel. A cela, il convient d’ajouter un autre élément, le végétal qui contribue à amplifier la puissance des reliques.
L’imaginaire kota est de ce fait ancré dans la forêt en lien avec l’esprit/l’intelligence des arbres et des plantes. D’après leurs croyances, la forêt est peuplée des esprits puissants. Ainsi, tout espace naturel couvert de végétation ou de forêt est considéré comme sacré, à cause de la présence invisible ou parfois visible des esprits. Les sages kota disent que la forêt engendre la vie, ils sont les fils de la forêt. Tous les fondements du cosmos sont dans la forêt et tout doit être demandé à la forêt. Pour eux, la forêt est l’équivalent de la terre, dans le sens de «Terre, mère universelle, source de vie».
En somme, la forêt renferme tout ce dont le Kota a besoin pour les «nganga», se maintenir en bonne santé et son bien-être. C’est pourquoi la relation à la forêt est régie par des codes à respecter. Le Kota est, de ce point de vue, un peuple racine respectueux de la nature nourricière où, de surcroit, il aménage ses temples et ses sanctuaires à l’instar des Autochtones.
Le culte des ancêtres se décline en confréries: «Ngo» (rite de la panthère, mixte); «Ndjobi» (rite de régulation sociale, masculin); «Moungala» (rite gémellaire, mixte); «Lisimbu» (rite féminin); Satsè (la circoncision, rite de passage et confrérie).
Les principes et les valeurs véhiculés par la religion kota sont: l’ordre; la justice; la vérité; la solidarité; la cohésion sociale; le respect des aînés.

Quels sont les particularismes de l’art kota? 

Il s’agit d’un art épuré, figuratif; une représentation de la tête de l’ancêtre. En effet, cet art ne vise pas l’imitation mais la signification, la symbolique. Aussi, la beauté n’est-elle jamais recherchée pour elle-même. Elle est atteinte, parce qu’il y a un accord essentiel entre la pensée religieuse et l’objet chargé de l’exprimer ou de le servir.
Le style kota se distingue de celui des autres peuples, notamment des Fang, leurs proches voisins, au Gabon, par les formes et les matériaux utilisés. Chez les Fang en général, les ancêtres sont représentés par des statuettes. En revanche, les formes spécifiques des Kota sont le croissant sommital sur la sculpture, le piètement ajouré en losange, le visage concave ou convexe, les coques latérales signe de l’importance sociale du lignage qui conservait la sculpture. Le matériau utilisé est le bois et le cuivre. Quant aux motifs géométriques, ils représentent, les chemins des ancêtres, les «pièges d’initiation», les feuilles d’arbres, les scarifications liées à la beauté de l’époque, les bijoux…
Le message plastique des ancêtres s’articule autour de la cohésion des lignages, la reproduction lignagère, la transmission, le silence, le secret, l’incarnation de l’esprit dans la matière qu’est le masque, l’interaction sociale entre le reliquaire et les vivants… Voilà les clés permettant de décoder la part visible et invisible d’un objet d’art kota qui invite à la contemplation.

Qui sont les artistes, producteurs des sculptures?

La plupart des sculptures ne sont pas signées, parce que les pièces étaient, avant, tout destinées au culte des ancêtres. D’où la difficulté à déterminer précisément la provenance. Néanmoins, quelques artistes ont été identifiés par le Dr Andrault, qui avait sillonné le pays kota, entre 1950 et 1960, et collecté de nombreuses pièces. Les noms des forgerons sculpteurs connus sont les suivants: Semangoye; Koba; Boulakongo; Théophile Tebangoyi; Okouélé; Okanga; Obili; Pupi; Matsemba; Loba; Leké. Les artistes contemporains sont: Simon Misère; Ibamambu; Moutimba; le maître de la Sébé (anonyme).
Cette exposition sert aussi à rendre hommage à ces artistes méconnus qui ont produit des œuvres magnifiques. Seul Simon Misère avait séjourné en France et aux Etats-Unis à la demande des ethnologues pour exposer ses réalisations.

La culture kota aujourd’hui: entre crise et résilience

Au Gabon, les traditions sont relativement préservées. En revanche au Congo, la situation est préoccupante du fait de la disparition progressive des rites dans les villages avec la perte des détenteurs du savoir-faire ancestral. Seules les contrées les plus éloignées proches de la frontière gabonaise les ont conservés. Les jeunes que nous avons interrogés sont bien conscients des enjeux, mais ils sont peu intéressés par la transmission. Nous avons identifié un jeune forgeron sculpteur kota dans le Mayombe, mais il lui manque des outils pour exercer son art et les canaux de promotion. En ville, des associations kota produisent des œuvres musicales basées sur les rites et les rythmes traditionnels, une résilience encourageante, mais là aussi, elles manquent de moyens. Leurs créations se limitent à la réalisation d’audio à faible impact ou de vidéo amateur.
En somme, une culture riche menacée de disparition, faute d’une politique publique de soutien aux arts et traditions populaires. Notre démarche vise à sauvegarder ce qui peut l’être à travers la recherche et le recueil de données sur la pharmacopée, les rites, les proverbes, la culture de paix, l’organisation sociale, la gastronomie, l’éducation, la musique, la sculpture… La culture est une composante essentielle pour un peuple, elle permet de structurer l’identité, les repères, l’ancrage. La préserver est un devoir de mémoire, de réconciliation avec notre passé susceptible d’éclairer le présent et féconder le futur.

Jean LIGNONGO

Pour le public intéressé par la culture Kota, il est possible de visiter l’exposition en se connectant sur le site Web du musée d’ethnographie de Genève:
www.colonialgeneva.ch

Jean Lignongo est géographe, il effectue des recherches sur la culture des peuples du Bassin du Congo, spécialement des Kota du Congo et du Gabon depuis 8 ans. Il a publié de nombreux articles à cet effet sur le site:
www.makanisi.org

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