Les objectifs poursuivis par la création d’une zone économique spéciale sont d’attirer des capitaux étrangers industriels d’une part et d’autre part, d’assurer le transfert des technologies. Dans le cas de Maloukou, ce sont des capitaux publics congolais qui ont été engagés pour l’implémentation de son infrastructure productive. Il s’agit, en réalité, d’un site industriel clé en main, que le groupe Asperbras a fourni au Congo. En effet, ce groupe «n’est pas seulement reconnu pour ses usines de fabrication de tubes, de raccords en P.v.c et de rotomoulage, mais également pour son intervention dans les domaines de l’ingénierie industrielle, de la fabrication de panneaux M.d.f, de la gestion et du montage de projets industriels dans différents secteurs, dans la construction et l’intégration de projets immobiliers et dans les secteurs de la production alimentaire, de l’agrobusiness, de l’exploitation minière et de l’énergie».

Louis Bakabadio
Louis Bakabadio

Le groupe Asperbras s’était engagé «à prendre des participations dans les différentes unités à hauteur de 10% au minimum. En outre, il s’engageait «à promouvoir les projets auprès des investisseurs étrangers, notamment brésiliens, en vue de leur participation». Cependant, aucun franc étranger n’a été investi dans cette zone économique et Asperbras n’a pris aucune participation jusqu’à ce jour. Ainsi, l’objectif d’attirer des investissements directs étrangers n’a pas été atteint. Il ne pouvait être atteint, parce que la conception théorique de cette zone était hors économie politique des zones économiques spéciales.
En effet, l’article Il du mémorandum entre le groupe Asperbras et le gouvernement congolais qui stipule que «en cas de besoin, le gouvernement et le groupe Asperbras rechercheront, sur le marché congolais et/ou étranger des ressources supplémentaires nécessaires au bouclage du financement de l’opération», consacrait la déviance théorique en matière de financement des zones économiques spéciales. Le gros du financement devait provenir des investisseurs étrangers, l’Etat couvrant éventuellement les ressources supplémentaires et non l’inverse.
Le second aspect théorique qui préside à la création des zones économiques spéciales est, selon Arthur Lewis, le transfert de la main-d’œuvre du secteur agricole au secteur manufacturé. Cela suppose une forte capacité productive de ce secteur. Dans le cas de la zone de Maloukou, seules quatre usines, sur les quinze construites, fonctionnent, donc, une capacité productive insuffisante pour créer les 2500 emplois directs planifiés. En ce qui concerne le transfert des technologies, il est difficile à évaluer, dans la mesure où toutes les usines installées ne fonctionnent pas et c’est sur le temps qu’il faut mesurer un tel transfert. Enfin, le financement de ces infrastructures étant totalement public, il se pose la question de leur mode de gestion. Deux modalités sont possibles, le partenariat public-privé (P.p.p) ou la concession des usines au secteur privé.
En réalité, le groupe Asperbras voulait gérer cette capacité productive dans le cadre des sociétés à capitaux mixtes Etat-Asperbras. Cette dernière faisant défection, l’Etat a opté pour des «sociétés entièrement publiques». Mais, «avec l’assèchement des ressources [du Congo], il n’a pas été possible de créer ces sociétés, ni de constituer le fonds de roulement nécessaire pour la mise en exploitation des usines». Donc, la question du mode de gestion des unités implantées à Maloukou reste entière. Le partenariat public-privé s’applique-t-il dans ce cas de figure?
Il y a lieu de clarifier l’économie politique du principe de partenariat public-privé. Il est né en Angleterre, en 1992, sous le gouvernement du Premier ministre John Major, avec ce que l’on a appelé «Private finance initiative (P.f.i)». Du point de vue britannique, la P.f.i n’est pas un «contrat particulier, mais une politique générale en matière d’acquisition publique. L’une de ses originalités tient au fait qu’elle a constitué une alternative à la privatisation pour les domaines dans lesquels celle-ci n’était pas envisageable. Sa mise en œuvre au Royaume-Uni est indissociable de la nécessité qu’ont eu les pouvoirs publics de se doter d’instruments contractuels de gestion déléguée et de son intégration dans une réforme d’ensemble de la gestion publique». Lorsque la France adopte ce principe, notamment par l’ordonnance du 17 juin 2004, la P.f.i devient partenariat public-privé (P.p.p), contrat par lequel une autorité publique confie à un privé le financement et/ou la gestion des infrastructures de service public. Il importe de bien insister sur le périmètre du P.p.p et sur ses avantages, par rapport à la gestion publique. La revue de la littérature met en évidence le fait qu’il s’agit d’un moyen de financement des infrastructures pour les missions de service public ou d’intérêt général. Mais, du fait de la baisse de l’aide publique au développement, un nouveau paradigme s’est créé autour du P.p.p pour en faire un nouvel outil de coopération internationale. C’est dans ce cadre que l’on parle de projet «Greenfield», sorte de financement par l’investissement direct étranger (I.d.e), lorsqu’une société transnationale finance des nouveaux projets de développement. Lorsque le financement porte sur des infrastructures existantes, on parle alors de financement «brownfield». Selon la nature de l’investissement réalisé, on distingue cinq types de contrats P.p.p:
– le contrat B.o.t «Build, operate and transfer» (Construction, exploitation et transfert): l’investisseur privé construit, exploite et transfert à l’Etat l’infrastructure;
– le contrat B.o.o.t «Build, own, operate and transfer» (Construction, possession, exploitation et transfert): l’investisseur transfert est propriétaire de l’infrastructure qu’il transfert à l’Etat, à la fin de contrat;
– le contrat D.c.m.f «Design, construct, maintain and finance»: (Conception, construction, maintenance, et financement) dans lequel les biens demeurent la propriété de l’Etat;
– le contrat B.o.o «Build, own and operate» (Construction, possession, et exploitation): dans lequel les biens demeurent la propriété de l’investisseur;
-le contrat D.b.f.o «Design, build, finance and operate» (Conception, construction, financement, et exploitation): l’investisseur récupère son financement soit par les péages, soit par des paiements directs de l’Etat;
D’une manière générale, les P.p.p sont devenus un instrument de privatisation. Ainsi, dans le cas des unités de production de la zone industrielle de Maloukou, il y a lieu de clarifier le type de contrat de gestion par le secteur privé. La conception et la construction sont étrangères. Mais, le financement est entièrement public. Dès lors, on ne sait pas qui exploite et selon quelles modalités, conformément aux types de contrats du P.p.p.
A ce jour, la société Eco-Camaco loue deux entrepôts pour l’assemblage des tracteurs. L’usine de fabrication des cuves en plastique est exploitée par la société à capitaux mixtes Hippo-Plastique. Quant à l’usine de fabrication des tôles galvanisées et des câbles électriques, elle a été cédée à la société Getron. En matière de planification opérationnelle, il est curieux de constater que la zone industrielle de Maloukou a été lancée sans qu’il y ait préalablement une connexion électrique avec le réseau national. Les premières usines qui ont commencé la production l’ont été avec des groupes électrogènes. En 2018, le gouvernement a signé un protocole d’accord avec la société Build Africa energy, pour l’électrification et la gestion de cette zone industrielle. Il est prévu la construction de 33 kilomètres de ligne de transport du courant électrique.
Enfin, aucune étude n’a prouvé que le Congo avait un avantage comparatif sur l’ensemble des produits que cette zone doit produire, sinon la volonté de produire localement certains biens manufacturés.

Louis BAKABADIO

In «La diversification économique en question», Editions LMI (Janvier 2022). PP 115 à 126. Les références des citations sont à retrouver dans le livre.

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