Le pays de la révolution du jasmin a entamé, depuis l’arrivée au pouvoir du Président Kais-Saied (64 ans), élu en octobre 2019 alors qu’il était candidat indépendant, une véritable marche démocratique à reculons. Le référendum constitutionnel qu’il a organisé lundi 25 juillet 2022, pour faire adopter une nouvelle Constitution très critiquée par la majorité des Tunisiens, parce qu’elle concentre beaucoup de pouvoir entre les mains du Président de la République, a connu un fort taux d’abstention qui affecte la légitimité de la nouvelle loi fondamentale. Votée par une large majorité de près de 95% des suffrages exprimés, la nouvelle Constitution émane d’un scrutin qui a connu un taux de participation d’à peine 30%. En effet, sur un corps électoral de 9.278.541 inscrits, il n’y a eu que 2.830.094 votants.
Les partis de l’opposition avaient appelé au boycott du référendum constitutionnel. Le fort taux d’abstention est synonyme de rejet de l’initiative constitutionnelle du Président Kais-Saied, surnommé Robocop. La Constitution qu’il impose à son pays, la Tunisie, est une loi fondamentale très controversée qui va étendre les pouvoirs du Président de la République et conduire, selon l’opposition tunisienne, à une nouvelle ère de tyrannie et de dictature, une décennie après la chute du Président Zine el-Abidine Ben Ali, renversé par la révolution du jasmin, en janvier 2011. Pour la majorité des Tunisiens, voter cette nouvelle Constitution pour remplacer celle de 2014, revient à «ramener la division et l’incertitude».
Mais, pour le Président Kais-Saied, la nouvelle Constitution contribuera à renforcer l’esprit de la révolution tunisienne et ne portera pas atteinte aux droits et libertés des citoyens. Pour lui, la Constitution de 2014 n’avait pas servi le peuple tunisien et ne répondait pas à ses aspirations.
En vertu de la nouvelle Constitution, le Président de la République nomme le Premier ministre ainsi que les autres membres du gouvernement, sur la base d’une proposition du Premier ministre et donne au parlement la priorité dans la sélection des gouvernements. L’article 112 de la nouvelle Constitution votée proclame que «le gouvernement est responsable devant le président», tandis que l’article 87 précise que «le Président exerce la fonction exécutive avec l’aide du gouvernement». L’article 102 donne au Président «le pouvoir de mettre fin au gouvernement ou à l’un de ses membres». D’autres sections de cette Constitution affaiblissent les pouvoirs du parlement et confèrent au Président l’immunité tout au long de son mandat. L’article 55 établit qu’aucune restriction ne sera apportée aux droits et libertés, «sauf en vertu d’une loi et pour les nécessités de la défense nationale ou de la sécurité publique».
Depuis la crise politique de 2021, le Président Kais-Saied, qui dirige son pays par décrets, est accusé de dérive autoritaire, depuis le bras de fer qui l’opposait à l’Assemblée nationale qu’il avait fini par suspendre, le 25 juillet 2021, après la révocation du gouvernement du Premier ministre Hichem Mechichi, nommé le 25 juillet 2020.
En septembre 2021, il suspendait la Constitution, annonçant son intention d’organiser un référendum sur un nouveau projet de Constitution. Le référendum constitutionnel qui vient de se tenir n’est pas de nature à sortir la Tunisie, berceau du «Printemps arabe», de la crise politique aggravée par les méthodes de gouvernance personnelle du Président Kais-Saied, qui est malgré tout soutenu par ses partisans. L’opposition, tirée par le mouvement Ennahdha, d’inspiration islamiste, n’entend pas le laisser sacrifier les acquis de la révolution du jasmin.
Roland KOULOUNGOU