Une cacophonie au sein du gouvernement qui suscite indignation et incompréhension
Alors que le pays fait face à une crise financière de laquelle il essaie de s’en sortir grâce à l’outil du Pnot (Programme national d’optimisation de la trésorerie) et aux réformes économiques et financières, le gouvernement vient de révéler, en cette fin d’année, combien il est miné par des dissensions sur la mise en œuvre des réformes. Deux courriers gouvernementaux, tombés le 26 et le 27 décembre 2024, sur la place publique, à travers les réseaux sociaux, suscitent indignation et incompréhension chez les Congolais qui constatent, ahuris et même scandalisés, les contradictions qui empoisonnent les relations entre gouvernants. Le débat s’envenime, suivant les intérêts défendus par les uns et les autres.
La crise qui affecte les finances publiques et qui est à l’origine des tensions sociales, avec des grèves qui éclatent ici et là, a des causes non seulement exogènes mais aussi endogènes. Au niveau interne, on pointe la corruption, le détournement des fonds publics, la rétention des recettes publiques et leur thésaurisation, etc.
Les deux lettres gouvernementales.
Dans son message sur l’état de la Nation, prononcé le 28 novembre 2024 devant le parlement réuni en congrès, le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, a préféré être transparent avec ses compatriotes, en reconnaissant qu’il y a de graves problèmes de gestion financière de l’Etat. Pour y faire face, il a martelé sur la mise en œuvre des réformes engagées par notre pays, sur le plan économique et financier. «Sur la mobilisation des ressources, j’instruis le gouvernement de mener à terme les chantiers d’informatisation, de digitalisation des régies financières, pour optimiser toutes les procédures de collecte des recettes publiques. A compter du 1er janvier 2025, les paiements, au profit de l’Etat et de ses entités publiques, devront se faire par des moyens sécurisés, garantissant leur traçabilité et leur centralisation au niveau du Trésor public», avait dit le Chef de l’Etat.
Sur la base de cette instruction, le ministre de l’économie et des finances, Jean-Baptiste Ondaye, a accéléré la mise en œuvre de la réforme du Cut (Compte unique du trésor). Cette réforme émane, du reste, d’une directive de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) datant de décembre 2011. Malheureusement, au Congo, on avait fait le contraire, en confiant à la Banque postale, le soin de collecter les recettes de l’Etat, en lieu et place des régies financières, à travers une convention signée en 2021. Il faut reconnaître que cette décision consistait aussi à régler un problème, celui de l’hémorragie financière dans les régies et au trésor.
Seulement, cette solution a fait aussi apparaître ses problèmes. «Cette collaboration (avec la Banque postale) a permis, à un certain temps, d’améliorer le rendement du recouvrement y afférent et, inversement, a favorisé la parution d’autres difficultés de traçabilité des opérations de trésorerie et de rétroversion des ressources affectées au profit de certaines entités notamment les collectivités locales, les contributions communautaires», a écrit Jean-Baptiste Ondaye dans sa lettre du 26 décembre où il demande la résiliation de la convention entre la Direction générale du Trésor public et la Banque postale.
Le processus de résiliation de cette convention était déjà lancé depuis le 14 décembre, lors d’une réunion tenue avec la Banque postale, au Ministère de l’économie et des finances. En plus, le sommet extraordinaire de la Cemac, qui a eu lieu le 16 décembre dernier, à Yaoundé (Cameroun), a appelé les Etats membres à une politique prudente d’endettement et à consolider leurs finances publiques. Au Congo, l’Etat peut payer les salaires des fonctionnaires avec ses propres recettes, sans que le Trésor public ne soit obligé de recourir systématiquement à la levée de fonds (endettement) sur le marché de la sous-région. Sous le Premier ministre André Milongo, pendant la Transition (1991-1992), cette orthodoxie financière était salutaire.
Grande a été la surprise des Congolais de voir dans les réseaux sociaux, la lettre du Premier ministre Anatole Collinet Makosso au ministre de l’économie et des finances, lui demandant «d’interrompre, sans délai, la procédure de résiliation de la convention Gup (Guichet unique de paiement), car elle est contraire à certaines dispositions de la loi de finances 2025 qui vient d’être votée». Ces dispositions n’ont pas été citées, mais le Premier ministre a promis organiser, sous peu, un conseil de cabinet sur ce sujet. Son courrier a suscité indignation et incompréhension au sein de l’opinion congolaise. Les Gup sont les guichets uniques de paiement installés par la Banque postale, dans le cadre de la convention signée avec la Direction générale du Trésor public.
Au regard de cette cacophonie au sein du gouvernement, de nombreuses questions jaillissent. Pourquoi les membres du gouvernement n’ont pas l’habitude de la concertation, à la prise de leurs décisions, pour éviter ce spectacle public de déchirement entre eux? Quelles sont les dispositions votées dans la loi de finances 2025 qui sont contraires aux instructions du Chef de l’Etat? Que va-t-il se passer réellement au cas où le ministre de l’économie et des finances décidait de passer outre la lettre du Premier ministre? Comment le Président de la République voit-il ces dissentions au sein de l’équipe gouvernementale et que compte-t-il faire?
En tout cas, avec cette affaire, on peut constater qu’il y a des résistances à la mise en œuvre des réformes. Veut-on maintenir le statu quo à l’origine de la crise financière qui crée un grand malaise social dans le pays? Au Trésor public, les travailleurs menacent d’aller en grève, si la procédure de résiliation de la convention avec la Banque postale est interrompue. Voilà qui invite au calme!
Jean-Clotaire DIATOU
Lettre du Ministre au DG de la Banque Postale 01Lettre du Ministre au DG de la Banque Postale 02Lettre du Premier Ministre au Ministre des finances.