Un rapport sous forme de «Mémorandum économique de la République du Congo», intitulé «La voie vers la prospérité pour la République du Congo», avec pour sous-titre, «Mettre en place les fondations pour la diversification économique», élaboré par six experts de la Banque mondiale dont le Camerounais Vincent De Paul Tsoungui Belinga, économiste principal, a été publié au mois de mars 2023. A travers son analyse, ce rapport propose des solutions pour sortir l’économie du pays de son ralentissement et miser sur la diversification économique. Dans l’interview qu’il nous a accordé, l’un des auteurs du rapport, Vincent De Paul Tsoungui Belinga.
* Le «Mémorandum économique de la République du Congo» propose des pistes de solution pour une véritable diversification de l’économie congolaise. Que faut-il faire pour atteindre cet objectif?
** Je voudrais commencer par vous remercier de l’opportunité qui m’est donnée de parler davantage du Mémorandum économique de la République Congo, récemment publié par la Banque mondiale. Ce rapport qui vient en appui à la volonté du gouvernement de diversifier l’économie, exprimée à travers le Plan national de développement 2022-2026, souligne que, pour inverser les récents revers économiques que la République du Congo a connus et lui permettre de se mettre sur la voie d’une prospérité durable, le pays doit impérativement diversifier ses actifs, de sorte à être moins dépendant du pétrole, en mettant l’accent sur la mise en place d’institutions plus solides, pour améliorer le climat des affaires, l’accumulation de capital humain et physique et une exploitation plus équilibrée de ses ressources naturelles.
Il est heureux de constater que le gouvernement a entrepris ou envisage d’entreprendre quelques réformes et initiatives avec, pour certaines, l’appui des partenaires au développement. Je citerai notamment la création du Guichet unique pour la création des entreprises, la mise en place d’un cadre de dialogue et de concertation entre le secteur public et privé, la digitalisation en cours pour les déclarations fiscales et paiement des impôts, l’adoption d’une nouvelle loi anti-corruption et décret sur les conflits d’intérêts, l’adoption des lois sur le crédit-bail et de l’affacturage, la réforme en cours sur les inspections auprès des entreprises privées, l’apurement progressive des arriérés domestiques. Cependant, beaucoup restent à faire, notamment en matière de mise en œuvre des réformes.
* Vous avez dit, dans votre analyse, que le modèle de développement actuel ne génère presque pas une croissance économique durable et des emplois productifs à l’avenir. Que proposez-vous pour corriger cette tendance?
** Le Mémorandum économique propose en détails des pistes de politiques publiques susceptibles de stimuler la croissance future de manière durable et de contribuer à la création d’emplois productifs, en appui au nouveau Plan national de développement (P.n.d) 2022-2026. Il s’agit, entre autres, de:
– supprimer les obstacles à la concurrence, en limitant le pouvoir de marché des entreprises publiques par exemple, en encourageant la participation du secteur privé dans les secteurs de l’électricité et des télécommunications et en modernisant les lois sur la concurrence et les capacités de contrôle;
– accélérer la transformation numérique en créant un environnement propice à la participation du secteur privé, en facilitant l’adoption des technologies numériques et en développant les compétences dans ce domaine;
– assurer un approvisionnement fiable en électricité, en rétablissant la rentabilité du secteur, en renforçant la réglementation et en investissant dans les réseaux de transport et de distribution;
– renforcer la compétitivité et la diversification commerciales, en réduisant les droits de douane, en réexaminant les mesures non-tarifaires, en concluant les négociations commerciales régionales et en renforçant les marchés locaux;
– améliorer l’efficacité du système logistique, en examinant de près les contrats de partenariat public-privé et en adoptant un système informatique unifié pour le commerce maritime;
– soutenir le développement de l’écotourisme, en réglementant et en finançant la protection du patrimoine naturel, en renforçant les organismes de réglementation et de contrôle et en développant les infrastructures de transport et les efforts de marketing.
* Selon le Comité national économique et financier, tenu le 24 mars 2023, à Brazzaville, l’économie congolaise connaît une reprise, mais celle-ci a été entravée par la baisse du P.i.b de la production pétrolière, en dépit de la bonne tenue des cours de pétrole. En conséquence, le taux de croissance du P.i.b a été estimé à 1,4% en 2022, après une récession de 1,5% en 2021. En 2023, la croissance du Congo s’élèverait à 3,7%. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?
** La baisse continue de la production pétrolière sur trois années consécutives depuis 2020 nous rappelle l’urgence d’un changement de modèle économique. Bien qu’il soit projeté une reprise à la hausse de la production pétrolière en 2023-2024, cette reprise reste incertaine. Et même si elle arrive, les projections de long-terme prévoient une baisse tendancielle de la production pétrolière due au tarissement des puits de pétrole et à la baisse de la demande mondiale des énergies fossiles, à cause de la transition vers des énergies propres ou vertes.
Certes, le retour de la croissance commencée en 2022 va continuer en 2023, conformément à nos propres projections. Mais, elle n’est pas suffisante, pour réduire la pauvreté de manière substantielle, au vu de la croissance démographique. Il faudra plus que doubler ce niveau de croissance espérée de 3.7% chaque année au cours de la décennie, pour pouvoir retrouver le niveau de revenus par habitant de la République du Congo de 2014, avant le choc pétrolier et réduire sensiblement les niveaux de pauvreté. Le gouvernement devrait donc accélérer les réformes, y compris celles proposées par le Mémorandum économique, et la mise en œuvre du nouveau P.n.d, pour une transformation structurelle de l’économie congolaise.
* L’agriculture, branche fondamentale de l’économie nationale qui emploie plus de 50% de la population, reste pauvre, déséquilibrée et archaïque. Le Congo recourt aux importations qui s’élèvent à plus de 100 milliards de francs Cfa chaque année, pour satisfaire ses besoins alimentaires. L’agriculture traditionnelle reste prépondérante. Que faire pour relever ce défi?
** Une mobilisation importante des ressources publiques comme privées est incontournable avec une focalisation sur l’innovation agricole; les infrastructures essentielles telles que la réhabilitation des routes rurales et leur maintenance, l’infrastructure de commercialisation, l’accès à l’eau et à l’électricité; une meilleure gouvernance (organisation des coopératives, environnement des affaires, accès au crédit) dans le secteur agricole et le développement du capital humain et des compétences. Par ailleurs, face à la hausse des températures et à la modification des régimes de précipitations, il est essentiel que les agriculteurs, en particulier les plus petits et les plus vulnérables, soient informés de l’impact de ces changements sur les rendements des cultures et puissent avoir accès à des variétés de semences plus résistantes.
La promotion d’une agriculture climato-intelligente est essentielle, car elle peut accroître la productivité, renforcer la résilience, faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Elle peut également contribuer à l’augmentation des revenus et donc à la réduction de la pauvreté, tout en réduisant la déforestation et les émissions qui en résultent et en préservant la riche biodiversité du pays.
La Banque mondiale accompagne les efforts de la République du Congo pour relever ces défis. Par exemple, le Projet d’appui aux activités économiques inclusives et résilientes au changement climatique en République du Congo (Proclimat Congo) soutient les petits agriculteurs dans la production résiliente et dans l’accès aux chaînes de valeurs, pour lutter simultanément contre la pauvreté et appuyer la diversification économique, en tenant compte des exigences du changement climatique d’une manière inclusive.
* Les nouvelles technologies sont encore à l’état embryonnaire, quelle stratégie utiliser pour développer ce secteur?
** Lors de la préparation du Mémorandum économique du Congo, nous avons mené une petite enquête auprès d’un échantillon relativement réduit des entreprises congolaises, pour comprendre les obstacles à l’adoption des nouvelles technologies de l’information et de la communication, dans leurs activités. Elles ont cité par ordre d’importance:
– les contraintes financières;
– le coût élevé de l’énergie et de l’Internet;
– le manque d’informations et de connaissances;
– l’absence d’avantages économiques;
– le cadre réglementaire;
– le manque de compétences techniques et l’incertitude de la demande.
Le point de départ, pour les décideurs publics, devrait donc être de s’assurer que les conditions favorables à l’adoption des technologies sont en place, en termes d’accès aux infrastructures et à l’information, de suppression des goulots d’étranglement réglementaires, pour favoriser la concurrence et l’accès au crédit, de garantir une offre de qualité en termes de capital humain et de compétences.
En outre, la crise de la covid-19 nous a rappelé que l’adoption de la technologie, aujourd’hui, est une nécessité pour la survie des entreprises. A cet effet, elles doivent mieux s’organiser, adopter les bonnes pratiques de gestion, investir dans la formation et le recyclage de leur personnel, investir dans les nouvelles technologies, chercher de nouveaux marchés, collaborer entre elles, etc. Les chapitres 2, 3 et 4 du Mémorandum économique proposent en détails des pistes qui pourraient contribuer davantage à l’adoption des nouvelles technologies.
* Avec la présence de la Zlecaf, le Congo n’est pas encore prêt à faire face à la concurrence. Est-ce que le pays ne sera pas noyé?
** Il faut, d’emblée, dire que la Zlecaf ne se résume pas qu’à une zone de libre-échange. Elle requiert une élimination progressive des barrières tarifaires, en tenant compte du niveau de développement de chaque pays et de la structure de son économie. Plus important, elle nécessite également l’abolition graduelle des barrières non-tarifaires, dans le but de créer un marché unique pour le continent, de permettre la libre circulation des biens et services à travers le continent et de renforcer la position commerciale de l’Afrique sur le marché mondial.
Il s’agit, donc, d’un outil de développement qui englobe l’industrialisation, les infrastructures, l’innovation et la technologie, la mobilisation des ressources et la coopération entre Etats, pour réaliser une transformation structurelle et inclusive des économies africaines. La Zlecaf offrira, donc, aux pays africains, y compris la République du Congo, des opportunités d’augmenter et de diversifier leurs exportations, d’accélérer la croissance et d’attirer des investissements directs étrangers. L’accord pourrait booster le commerce intra-africain, les revenus par habitant et ainsi permettre de sortir 30 millions de personnes du continent de l’extrême pauvreté, d’ici à 2035.
La République du Congo sera-t-elle noyée? Je ne le pense pas. Comme la plupart des pays africains, la République du Congo exporte principalement les matières premières (90% de ses exportations) hors de l’Afrique (l’Afrique représente seulement 7% des exportations congolaises, d’après les données officielles) et elle importe les produits manufacturés.
Au regard donc de cette structure économique assez similaire des pays africains, la Zlecaf aura un impact plus important sur les exportations et la diversification des pays africains, y compris la République du Congo. Cependant, la réalisation du plein potentiel de la Zlecaf en République du Congo ou dans d’autres pays africains dépendra de la mise en place de réformes structurelles importantes, comme je l’ai évoqué plus haut et des mesures de facilitation des échanges.
Propos recueillis par
Martin
BALOUATA-MALEKA