La crise politique qui a affecté le processus électoral au Sénégal depuis trois ans, avec la mise à l’écart de l’opposant mythique Ousmane Sonko (50 ans), président du parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), ancien député (2017-2022) et maire de la ville de Ziguinchor, s’est terminée par la victoire du candidat de l’opposition, Bassirou Diomaye Faye (44 ans), un proche du leader du Pastef. L’alternance démocratique que le Président sortant, Macky Sall (63 ans) et sa coalition au pouvoir, le B.b.y (Benno bokk Yakaar) voulaient éviter pour conserver le pouvoir, en faisant embastiller les dirigeants du Pastef, s’est imposée selon la volonté des Sénégalais.
Ainsi donc, le Président Macky Sall ne connaîtra pas le destin d’Alassane Dramane Ouattara, le Président ivoirien qui avait réussi à arracher la modification de la Constitution en mars 2020, suivant un vote parlementaire, dans un contexte de crise violente dans son pays. Ce qui lui a permis de se représenter à l’élection présidentielle d’octobre 2020, après ses deux premiers mandats de cinq ans, alors qu’il avait exprimé son intention de respecter la Constitution de son pays, en ne se présentant plus à l’élection.
Au Sénégal, Macky Sall a essayé de suivre l’exemple ivoirien. Mais, les Sénégalais étaient très vigilants et prêts à tous les sacrifices pour lui barrer la route. Les dernières manifestations sanglantes se sont produites en février dernier, contre le report de l’élection présidentielle que voulait opérer le Président Macky Sall. Celui-ci était incité par un dialogue national n’ayant pas fait l’unanimité, à prolonger son mandat jusqu’à la désignation de son successeur. Mais, le Sénégal est un pays résolument tourné vers la démocratie. Le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à annuler le décret signé par le Président Macky Sall, pour le report au 15 décembre de l’élection présidentielle, estimant que cette décision était anti-constitutionnelle. Pour calmer la rue en colère, celui-ci était obligé d’annoncer la date de son départ du pouvoir, la fixant au 2 avril.
L’autre stratégie a été de chercher la mise à l’écart de l’opposant mythique, Ousmane Sonko, en multipliant, depuis 2021, les procédures judiciaires contre lui, jusqu’à le faire arrêter et le faire condamner, pour l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle. Le rejet de sa candidature est acté en janvier 2024 par la Cour suprême, confirmant sa condamnation à six mois de prison avec sursis, pour diffamation. Quand la justice est au service des intérêts politiques, elle finit souvent par perdre la face.
Devant cette difficulté, le Pastef choisit, comme candidat, Bassirou Diomaye Faye, pour remplacer Ousmane Sonko. Mais, Diomaye Faye est aussi incarcéré, pour outrage à magistrat, parce qu’il avait critiqué avec des mots durs la décision de la Cour suprême ayant rejeté la candidature de son leader. Donc, l’incertitude demeurait. La surprise était grande, quand le Conseil constitutionnel a validé la liste des candidatures à l’élection présidentielle. Le nom de Bassirou Diomaye Faye y figurait. Le Conseil constitutionnel avait estimé que n’étant pas encore condamné, ce dernier avait le droit de postuler.
Pour sa part, le pouvoir pensait que, n’ayant pas l’auréole de son leader, Ousmane Sonko, Diomaye Faye fera piètre figure. C’était méconnaître la détermination de la majorité des Sénégalais à provoquer l’alternance au sommet de l’Etat. L’évènement s’est produit à l’issue du vote du dimanche 24 mars. Tous les candidats, même celui de la coalition au pouvoir, l’ancien Premier ministre Amadou Ba, et le Président sortant, Macky Sall, ont félicité le vainqueur, avant même que les résultats ne soient officiellement publiés.
Après avoir tourné difficilement la page Abdoulaye Wade, Président du Sénégal d’avril 2000 à avril 2012, qui voulait imposer son fils pour lui succéder à la tête du pays, les Sénégalais viennent de remporter, au prix de leur sang, une grande bataille démocratique contre le Président Macky Sall, qui a entretenu les velléités de demeurer au pouvoir ou d’y placer son dauphin. L’issue de l’élection présidentielle au Sénégal démontre que c’est le peuple qui fait l’histoire, pour peu que le processus électoral reste équitable.
Jean-Clotaire DIATOU