Il y a quelques années, pour avoir soutenu les marches pacifiques des chrétiens à Kinshasa, en RD Congo, les évêques, prêtres et religieux catholiques, à qui d’ailleurs leurs confrères de l’Eglise protestante avaient apporté leur soutien, n’étaient plus en odeur de sainteté avec les autorités de leur pays, qui leur reprochaient de faire de la politique. Ils étaient devenus des «persona non grata». Ce qui amène beaucoup de gens, chrétiens et croyants, à se poser la question de savoir si les évêques, les prêtres, les pasteurs, les religieux et les chrétiens doivent-ils faire de la politique. Sont-ils des citoyens de seconde zone ou doit-on les exclure des débats politiques qui s’engagent dans la cité?

Sous d’autres cieux, des prélats et des pasteurs participent bel et bien aux débats politiques qui ont eu lieu dans leurs pays respectifs. C’est le cas du pasteur Martin Luther King Junior qui a défendu bec et ongles, les droits des minorités aux Etats-Unis d’Amérique, de Mgr Oscar Roméo qui, pour avoir dénoncé moult fois la répression et l’exploitation des pauvres dans son pays, le Salvador, a fini par être assassiné en pleine messe.
Chez nous au Congo, les abbés Louis Badila, alors directeur du journal catholique «La Semaine Africaine», et Emile Biayenda, alors vicaire à la Paroisse de Mouléké, ont été soit traduits en justice pour diffamation ou jetés en prison, pour avoir dénoncé carrément, dans leurs éditoriaux et sermons, les dérives d’alors de la J.m.n.r (Jeunesse du Mouvement national de la Révolution) dont la milice armée excellait dans l’arrestation et la répression de paisibles et simples citoyens. Mgr Louis Portella Mbuyu, alors évêque de Kinkala (Département du Pool), avait été sali, traîné dans la boue, souffleté et traité de menteur, pour avoir porté urbi et orbi à la connaissance du peuple congolais et de la communauté internationale, les affres, les violences, les viols et les tueries dont les paisibles populations du Pool étaient l’objet de la part tant des militaires que des miliciens ninjas-nsiloulous de Monsieur Ntumi, pendant la crise du Pool, que les autorités feignaient malheureusement d’ignorer, en faisant la politique de l’autruche.
A bien voir, le pasteur Martin Luther King Junior, les évêques Oscar Roméo et Louis Portella Mbuyu ainsi que les abbés Louis Badila et Emile Biayenda n’avaient dit que la vérité, tout en faisant montre de courage à propos duquel Jean Jaurès disait: «Le courage, c’est chercher la vérité et de la dire; ce n’est pas de subir la loi du mensonge triomphant qui passe».  Ce que corroborera, plus tard, le cardinal Joseph Albert Malula, en affirmant qu’il ne faut jamais crucifier la vérité. De son côté, Charles Péguy affirme: «Celui qui sait la vérité et ne hurle pas la vérité, se fait complice des escrocs et des faussaires».
En effet, par leur courage, ils n’avaient fait qu’opposer une action radicale à la lumière du caractère radical de l’Evangile. En quoi consiste ce caractère radical de l’Evangile? Il s’agit d’une vision du monde se traduisant par une façon de vivre exigeante et décisive et qui, sans équivoque, contraste des réalités: le bien et le mal. Cela implique une chose: choisir d’œuvrer pour le règne de Dieu, celui de la justice ou bien choisir d’œuvrer pour le silence, pour le règne de Satan, c’est-à-dire, pour le règne de l’hostilité, de la haine et de la violence. Le choix est clair et sans ambiguïté. Jésus n’a pas, en tout cas, eu peur de chasser les marchands du temple et d’affronter les chefs de la société juive qu’il trouvait coupables de mauvaise conduite.

Les deux étendards

Suivre la radicalité de la bonne nouvelle signifie s’engager profondément à l’amour pour les enfants de Dieu, en trouvant les moyens de guérir leurs souffrances. L’amour est une énergie radicale en ce que, sans compromis, il arrache aux mains de Satan les esprits vivant dans la confusion et prisonniers de l’oppression qu’exercent sur eux, les forces du mal (Luc 8: 27-29).
Là où l’Evangile est absent ou ignoré, le démon performe sans entrave et son action consiste à établir et contrôler un système d’oppression et de mensonge. Cette réalité spirituelle trouve une cohérence dans le contexte sociopolitique de nos pays où le diable a pénétré, par le biais de la corruption et des assassinats, des gardiens du temple, dans l’enceinte du sacré divin. Son triomphe éclate dans la mesure où les disciples du Fils de Dieu compromettent, par le silence, la peur et l’accommodation, la raison d’être de la présence du Christ sur terre, à savoir: détruire les œuvres du diable (1 Jean 3: 8).
Tandis que ceux qui sont supposés porter et brandir l’étendard du Christ baissent les bras et restent muets et apathiques; les porteurs de l’étendard de Lucifer plastronnent, avec mépris, sèment la terreur et font couler le sang des pauvres innocents qui ont placé leur confiance dans l’Evangile et la paix véritable.
Pourrait-il y avoir, parmi les prêcheurs de l’Evangile ou les personnes de bonne volonté, des apôtres inspirés par la béatitude qui prescrit le combat pour la justice comme disposition envers Dieu et son prochain? (Matthieu 5: 10). Ou bien, pour ne pas être restrictif, y aurait-il, dans nos pays, des humains de bonne volonté capables de dénoncer la déshumanisation qui s’y opère par l’injustice, la politique d’exclusion? Les persécuteurs pour la justice se conforment à une justice nouvelle qui, transcendant le légalisme sans pour autant l’abolir, cherche et reconnaît Dieu dans l’humanité blessée en l’exaltant: «Rendez justice au faible, à l’orphelin; faites droit à l’indigent, au malheureux» (Psaume 73: 17).
La justice est donc une valeur indispensable pour les croyants et, comme l’amour, elle constitue une expression incarnée de la foi. Le mystère de l’incarnation, prenant racine dans l’amour que Dieu a pour les humains et initiant ainsi la dynamique du salut, s’inscrit dans cette perspective de restaurer le genre humain en proie à la déshumanisation causée par la haine et l’injustice, et à l’aliénation, c’est-à-dire à la séparation et à l’éloignement des humains vis-à-vis d’eux-mêmes et de Dieu. «L’Esprit du Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération et aux aveugles qu’ils recouvrent la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur» (Luc 4: 18-19).
Amour, foi et justice sont indissociables pour le chrétien. La relation avec le divin s’incarne dans le regard et l’acte à la fois bienveillants, libérateurs et exaltants portés envers autrui. Elle est exigeante et se veut exclusive et entière.

Un exemple à méditer!

Des hommes et des femmes d’église ou des personnes de bonne volonté, chrétiens ou non, ont mis en pratique et de façon engagée cette corrélation. Pour ne pas trop m’étendre, je me permettrais de relever un cas d’espèce qui pourrait servir d’inspiration pour la chrétienté et pour les humanistes de notre pays. Il s’agit notamment de l’action menée par le cardinal Jaime Sin des Philippines. Cet exemple contredit la conception selon laquelle l’Eglise et les chrétiens ne doivent pas se mêler de politique, une idée bien avantageuse pour nos autorités et qui justifie, trop souvent, l’inaction des autorités chrétiennes.
Par ailleurs, je soulignerais, en passant, qu’aucun citoyen ne dira qu’il ne voit pas les œuvres de l’empire du mal dans nos pays. Toute conscience est donc témoin, qu’elle soit de ceux qui sont les auteurs de ce mal, de ceux qui en sont victimes ou de ceux qui se croient spectateurs passifs.
L’appel du cardinal Sin avait reçu une réponse favorable de la part de toute conscience soucieuse du respect de l’être humain. Tout en promouvant l’indépendance de l’Eglise vis-à-vis de l’Etat, le cardinal Sin était en faveur d’une intervention soutenant la perspective d’une éthique politique. Avec virulence, il avait critiqué la violence aux Philippines. Dans une lettre adressée aux membres des églises, il leur recommanda de reporter toute situation de fraude électorale. Son implication devint plus active en 1986, lorsque le Président Marcos avait organisé des élections anticipées pour donner une légitimité internationale à son régime. Le cardinal Sin avait joué un rôle important dans l’unité des candidats de l’opposition, créant ainsi la possibilité de la candidature de Mme Corazon Aquino qui avait ainsi bénéficié d’un ralliement massif de l’opposition.
Des années plus tard, l’influence politique du cardinal Sin était encore remarquable, manifestée à travers ses critiques ouvertes du nouveau régime du Président Fidel Ramos. Il avait mené des marches de protestation contre des politiques gouvernementales en 1995 et 1997. Il a osé et ainsi contribué avec son peuple à l’abolissement de la dictature et à la promotion d’une meilleure gestion gouvernementale de son pays.
Le drame pour les autorités dans le monde est que la peur qu’elles ressentent est d’autant plus grande qu’elles s’embarquent dans une tourmente qui les incite à agir avec malveillance. Comme l’énonce si bien une locution latine: «Abysssus abyssum invocat», c’est-à-dire, l’abîme appelle l’abîme. L’abomination de leur comportement est proportionnelle à la crainte qui les étreint: plus elles ont peur, plus elles agissent dangereusement, plus leurs actions sont abominables, plus elles ont la trouille! Quel cercle vicieux? Elles se sont elles-mêmes mises dans un abîme dont elles ne peuvent sortir.
«Est-il juste devant Dieu de vous écouter, plutôt que d’écouter Dieu?» (Actes 4: 19). L’audace des disciples de Jésus retentit devant le Conseil suprême qui leur interdisait de parler et d’annoncer la résurrection de leur Maître, Jésus, que ce même conseil a fait crucifier.
Le temps de l’Evangile est toujours présent et il se fait de plus en plus pressant, eu égard aux souffrances de nos peuples. L’Eglise et les chrétiens doivent-ils faire de la politique? Oui, ils ne doivent pas s’exclure du débat qui s’engage dans la cité. Car, parler ou faire de la politique, c’est parler de la vie de la cité dont toute personne, croyant, chrétien ou athée, n’est en situation ni en droit de se retrancher. Ils doivent donc faire de la politique, pas la politique politicienne, mais la vraie politique, celle de parler de la vie de la cité dont ils sont, tous, membres à part entière et dont ils ne doivent pas s’exclure.
Enfin, comme l’a écrit Albert Mianzoukouta, directeur de publication de La Semaine Africaine: «Les chrétiens catholiques ne seraient-ils bons citoyens que quand ils facilitent le dialogue entre une majorité et son opposition, et dangereux anarchistes, quand ils veulent savoir comment marchent les choses? Ils ne sont pas au-dessus de la loi, c’est vrai, mais ils ne sont pas en-dessous non plus».
En conclusion, j’affirmerai haut et fort qu’il faut que les chrétiens osent, agissent, parlent de la politique et marchent. Il faut oser la foi! Car notre mission chrétienne ne nous appelle nullement à un quelconque répit. Plutôt notre sollicitude doit s’étendre à toute cette humanité à la recherche de la paix, de la justice et, enfin, d’un vrai sens pour la vie. Car, comme l’avait dit le Pape Benoît XVI: «Nos sociétés sont des sociétés où ne règnent que l’arbitraire du pouvoir, les intérêts égoïstes, l’injustice et l’exploitation, la volonté dans chacune de ses expressions». Devant ce sombre tableau décrit par le Pape Benoît XVI, les évêques, les prêtres, les pasteurs et tous les chrétiens, doivent-ils se croiser les bras?

Dieudonné
ANTOINE-GANGA

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