Toutes les analyses économiques et les faits sociaux et économiques montrent que la diversification de la production est source de croissance économique, dans la mesure où elle booste les investissements et garantit les recettes d’exportations. Mais, de quoi s’agit-il, lorsqu’on utilise ce vocable en tant que politique économique? La problématique liée à la diversification en Afrique est la question de la gestion d’une ou de plusieurs ressources naturelles, renouvelables ou non, physiques ou virtuelles, au profit de l’érection d’un système productif national. Dès lors, il convient de clarifier ce que l’on entend par diversification et sa dynamique dans le processus de développement.

Le contenu de la diversification

Que faut-il entendre par diversification? Y a-t-il une géométrie de la diversification? Peut-on mesurer son étendue, son ampleur? Quels sont ses facteurs déclencheurs? Il importe de répondre à ce questionnement, pour comprendre comment un système productif cohérent est au cœur du développement économique.

Contenu et marqueurs de la diversification

Louis Bakabadio
Louis Bakabadio

Il y a une approche à deux niveaux du concept de diversification: un niveau micro-économique et un niveau macroéconomique. Au niveau micro-économique, la diversification consiste, soit à contrôler toute une filière, soit à développer un nouveau produit ou à conquérir d’autres marchés, toutes choses égales par ailleurs. Elle est dite verticale, lorsqu’une entreprise prend en charge toutes les activités amont et aval de sa production, ou lorsqu’elle va à la conquête d’autres marchés, avec le même produit; elle est dite horizontale lorsqu’une entreprise développe de nouveaux produits, toutes choses égales par ailleurs.
Par exemple, la société Bayo, qui fabrique des jus de fruit, s’approvisionnait en fruits auprès des paysans de Boko et ses environs. Par la suite, elle a développé ses propres vergers et est devenue son propre fournisseur en fruits; elle a fait une diversification verticale. De même, si, en ne produisant que du yaourt, l’entreprise Bayo élargit son marché de Brazzaville à Ouesso, elle se diversifie verticalement. La même société qui, au départ, ne fabriquait que des yaourts, a étendu ses activités au jus de fruit et à l’eau minérale; elle a fait une diversification horizontale.
Au niveau macroéconomique, «la diversification est l’implémentation diachronique, synchronique et diatopique des activités économiques, pour une transformation structurelle de l’économie. La diversification est d’une diachronie organisatrice, parce que, par des extensions successives de l’activité économique au cours du temps, elle crée des cohérences productives cumulatives, en amont et en aval. C’est le cas de la filiarisation, c’est-à-dire, «une succession d’opérations de transformation dissociables, séparables, liées entre elles par des enchaînements de techniques et de technologies, un ensemble d’actions économiques qui président à la mise en valeur des moyens de production».
Prenons, par exemple, le secteur bois, qui est en quelque sorte une source de diversification pour l’économie congolaise. La filiarisation par la première transformation peut être organisée, à partir de la coupe, autour des activités de sciage, de tranchage, de déroulage, de la fabrication des emballages et poteaux en bois, du conditionnement et de l’industrie papetière et des meubles voués à l’exportation. Par la deuxième transformation, la diversification dans le secteur bois peut prendre la forme de composants de menuiserie tels que les constructions de bâtiments en bois, l’ameublement ou les agencements.
La diversification est synchronique, lorsque des activités économiques dans des secteurs divers, émergent au même moment. Elle est un ensemble de simultanéités. Ici sont mis en relief les effets d’entraînement. François Perroux définit les effets d’entraînement, comme «les actions dans lesquelles l’augmentation du taux de la croissance ou de la productivité d’une unité simple ou complexe A provoquent l’augmentation du taux de croissance du produit ou de la productivité d’une autre unité simple ou complexe B», en temps réel ou avec un décalage temporel; c’est le développement des chaînes de valeur.
Par exemple, le développement de la filière bois peut, avec un temps d’adaptation ou de réaction, booster le transport ou la production maraîchère. Ce dernier cas est symptomatique du développement agricole des pays de Boko, dans le Département du Pool, au Congo-Brazzaville. En effet, la production maraîchère dans cette localité exige un enrichissement des sols avec de la fumure issue des copeaux des scieries qui servent de réceptacles aux excréments des volailles.
Les copeaux issus des bois blancs mélangés aux rejets des volailles se décomposent très vite en engrais organiques. Il s’organise alors une agriculture maraîchère de grande envergure, causée par la croissance de l’industrie du bois. Il en est de même entre la production d’engrais à partir de la potasse et du phosphate et le développement de l’agriculture vivrière et commerciale. Mais, cette agriculture va également bénéficier des effets des nouveaux centres de consommation générés par les activités minières.
On peut, également, citer la corrélation entre développement du secteur minier et celui des infrastructures de transport, chemin de fer, pipeline, extension du Port autonome de Pointe-Noire, etc. En somme, la diversification synchronique profite des propensions innovatrices d’une branche ou d’une activité, pour générer la croissance d’une autre activité.
La diversification est dite diatonique, lorsque des activités économiques diverses se développent sur l’ensemble du territoire national. C’est notamment le cas lorsqu’il y a implémentation des programmes territoriaux de développement. Le Congo aurait pu expérimenter cette forme de diversification, si le processus dit de «municipalisation accélérée» avait retenu comme noyau dur le développement territorial intégré.
Selon la Commission économique de l’Union africaine, «le niveau de diversification peut être approché par deux dimensions que sont la concentration des produits exportés et la variété des exportations se référant au nombre de produits distincts exportés. La diversification quant à elle est mesurée à travers la distribution sectorielle de la production et des exportations».
Toutes les formes d’organisation de la diversification ont été théorisées par des économistes tels que Leontief, Perroux, Hirschman, Isard, Higgins. C’est ainsi que des outils tels que le tableau interindustriel, l’analyse structurelle avec les industries motrices ou la connectivité industries-réseau d’innovations ont vu le jour et ont servi de guide de politiques économiques dans plusieurs pays.

La dynamique de la diversification

Il y a lieu de s’interroger sur le facteur ou les facteurs déclencheurs de la diversification. Que dit l’histoire des faits économiques et sociaux sur les ressorts qui ont permis à certaines sociétés de se structurer en économies diversifiées? Trois facteurs peuvent être mis en évidence: l’énergie, la recherche et les infrastructures de transport.
L’histoire des faits économiques et sociaux montre que la diversification des économies évoluées est intimement liée à la révolution industrielle. Celle-ci est elle-même fille de la capacité mécanicienne des sociétés. La capacité mécanicienne des sociétés s’est littéralement métamorphosée, lorsque l’homme s’est affranchi du pouvoir des animaux pour produire. Lorsque l’homme a maîtrisé l’énergie mécanique, il s’est ouvert les portes du développement économique.
En effet, la première révolution industrielle a lieu en 1765 avec la production de l’énergie mécanique, grâce au charbon et à la machine à vapeur. L’homme s’était aperçu que le charbon ou houille, dans sa combustion, produisait assez de chaleur pour transformer l’eau en vapeur. Le coke obtenu par pyrolyse de la houille, avait un pouvoir calorifique très élevé, transformant rapidement l’eau en vapeur. C’est ainsi que la vapeur était devenue le moteur de toute l’activité industrielle et des transports. Ainsi, l’énergie chimique du charbon s’est transformée en énergie mécanique avec la machine à vapeur. Il se développe alors des industries extractives et minières; l’agriculture connaît un essor remarquable avec le développement du machinisme agricole.
L’industrie textile se développe; les transports densifient le commerce international avec le train et le bateau à vapeur. La première révolution industrielle diversifie l’économie en transformant les sociétés à dominance agricole en sociétés industrielles et commerciales. Le professeur John Darwin évoque, avec beaucoup de pertinence, comment la puissance de la vapeur a reconfiguré les villes, le système de production et le transport, posant ainsi les premiers jalons de la mondialisation, par le décloisonnement des principaux ports mondiaux. Il affirme que non seulement que la puissance de la vapeur a généré une nouvelle configuration économique, mais surtout, elle a remodelé la culture et la politique de toutes les régions du monde. Ce qui fait dire à François Roche que «hier comme aujourd’hui, c’est la vitesse de déplacement des idées, des hommes et des capitaux qui constitue le fondement de la globalisation».
Or, c’est la vapeur qui a imprimé la vitesse primale à la transformation de l’économie.
La seconde révolution industrielle a lieu dans les années 1870… Elle a pour origine l’utilisation du pétrole et de l’électricité. L’eau qui a servi autrefois pour faire fonctionner les moulins, entre autres, va offrir sa puissante énergie mécanique (pentes, chutes) à faire tourner les turbines, qui la transmettent à des alternateurs pour produire de l’électricité. La chaleur produite par la combustion du charbon, du pétole ou du gaz sert aussi à fabriquer de l’électricité. Le pétrole est une énergie fossile composée d’éléments organiques tels que les hydrocarbures. Puisqu’il «offre des avantages certains par rapport à ses concurrents directs (bois énergie, charbon): une forte densité énergétique, un transport, un stockage et une utilisation aisés, et une abondance qui permet d’en disposer à bas coût», le pétrole a considérablement remodeler le paysage industriel du
XIXe siècle. La production de l’électricité a eu un effet de délocalisation de l’industrie vers les villes, alors qu’avant, elle était établie près des cours d’eau et des mines de charbon. Grâce à ces nouvelles sources d’énergie, se développent la production de masse, les transports avec le moteur à explosion et la chimie.
L’industrie se diversifie et le commerce international pose les jalons de la mondialisation. Ce que l’on peut dire de ces premières phases de la révolution industrielle, c’est l’histoire de la production par la transformation des sources énergétiques, transformation des moyens de production, transformation des matières premières en produits finis, transformation du marché par son élargissement extraterritorial.
La troisième révolution industrielle, théorisée par l’économiste américain Rifkin, se produit à partir de 1969, avec l’entrée dans l’ère de l’électronique et des techniques informatiques de communication d’une part, et d’autre part, les avancées en matière scientifique et technologique.
Cette troisième révolution industrielle est sous-tendue par des nouvelles sources d’énergie, l’atome et l’énergie solaire. En effet, certains spécialistes ont considéré qu’il y avait une baisse tendancielle de l’utilisation des énergies fossiles, parce que leur utilisation exponentielle était à l’origine de la hausse des émissions de gaz à effet de serre. Les sociétés industrialisées se sont alors tournées vers les énergies renouvelables, boostées par la recherche scientifique. Grâce à l’automation et aux découvertes dans l’industrie chimique, la révolution industrielle diversifie de l’offre des biens sur le marché, par la production des biens synthétiques, substituables aux produits naturels.
La quatrième révolution industrielle commence dans les années 2000, avec l’introduction des objets intelligents, l’intelligence artificielle, cloud et big data. C’est la révolution de l’association du collaboratif avec le robot (Cobot), de la mécatrologie, qui est la méthode de numération des procès industriels pour l’industrie 4.0, celle de la fusion des rôles entre la technologie de l’information et technologie opérationnelle. Ce sont principalement les Allemands qui signent un nouveau paradigme de l’organisation de la production. Ce paradigme installe une synergie «monde virtuel, conception numérique et gestion des biens réels». L’intelligence artificielle est au cœur de cette synergie (…). La maîtrise de l’énergie est l’une des clés du développement économique. C’est ce qui fait dire à Rifkin que «les régimes énergétiques déterminent la nature des civilisations».

Louis BAKABADIO

In «La diversification économique en question», Editions LMI (Janvier 2022). PP 35 à 44. Les références des citations sont à retrouver dans le livre. Le titre de l’article est de la rédaction.

Oh bonjour
Ravi de vous retrouver.

Inscrivez-vous pour recevoir du contenu génial dans votre boîte de réception.

Nous ne spammons pas !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici