Au 4ème siècle, l’Eglise catholique romaine est triomphante pour accomplir, ici-bas et pour l’éternité, le dessein de Dieu sur l’éternité. Elle a survécu et a construit une Eglise universelle. Ici, l’unité «du Père, du Fils et du Saint-Esprit» est fondamentale. L’Eglise, instituée par le Christ, est la manifestation sociale de la «religion révélée». Le message était annoncé aux hommes: désormais, c’est à Dieu que l’on doit adresser la prière.
L’opposition religion/paganisme repose sur une philosophie de la cosmogonie: vivre en désirant et priant, pour que ce que l’on aime vive. C’est le signe que nous sommes dans un univers vivant où rien n’est fermé. De sorte que, heureux ou malheureux, tout ce qui arrive exprime la vie et son ouverture. Depuis l’«homo sapiens», c’est-à-dire à un moment très éloigné, l’homme a inventé les dieux, pour qu’il y ait une force invisible qui le regarde souffrir. Mais le plus important, ce n’est pas paraître croyant d’un Dieu ou des dieux. C’est l’être. Epicure, qui a vécu avant Jésus-Christ, enseignait à travailler à devenir sage, au lieu d’attendre le miracle des dieux.
Au 17ème siècle, Spinoza, quant-à-lui, s’interroge: la métaphysique n’est-elle pas une grande illusion, en annonçant pouvoir démontrer l’existence de Dieu? Influenceur, en son temps, Voltaire, poète et philosophe, considère que Dieu peut être pervers. Cela explique sa prière laïque pour la tolérance: «Ce n’est pas aux hommes que je m’adresse, c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps, à toi qui a tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature; que ces erreurs ne fassent point nos calamités». Au fil de sa pensée, Voltaire, avec sa prière pour la tolérance, est sans nul doute le précurseur de la religion moderne, celle de la fraternité.
Nietzsche, Marx et Sartre viennent en quelque sorte gâcher l’enthousiasme de Saint-Augustin. Ils ont tenu à prévenir, selon la formule «qu’il n’y a de réalité que dans l’action: «Agis au lieu de demander sans cesse au ciel d’agir pour toi! Aide-toi et le ciel t’aidera!». Hélas, ce que l’on oublie, c’est que cette prise de conscience est abordée par Descartes de façon rationnelle qui marque une étape décisive, le glissement vers le schéma de la «Méthode». Selon Descartes, la méthode dont la première règle est de «ne jamais recevoir pour vraie aucune chose que je ne connusse évidemment être telle». Il recommande de laisser parler l’homme en soi cet homme étant celui qui pense ce qu’il pense.
Au début du 18ème siècle, l’Europe, qui sort de la guerre de religion, considère qu’il y a un temps pour tout. Pour la prière; pour la philosophie. Pourquoi y-a-t-il eu un idéal: d’un côté, il faut reconnaître ceux qui vivent pour leur croyance en Dieu; de l’autre, les hommes se sont sentis soulagés de voir que l’homme pouvait dégager, en dehors de la «Vérité révélée», un autre sens, celui de la «recherche de la vérité». Prononcer le mot «tolérance» dans un débat dans les salons privés, en public devenait nécessaire.
Pour bâtir une nouvelle société, ils avaient besoin d’un monde peuplé de mythes, de légendes et de symboles.
L’homme des sciences, Newton, les pasteurs Désaguliers et Anderson l’ont compris. C’est la raison pour laquelle ils ont poussé fort le culte de la construction. Ils incarnaient le siècle des Lumières… C’est la naissance de la Franc-maçonnerie. Institution philosophique, intimement mêlée à l’histoire intellectuelle, politique, sociale et religieuse. Ses progrès, en même temps qu’ils ouvrent de nouvelles opportunités, génèrent des comportements qui consistent à admettre, chez autrui, une manière de penser ou d’agir différente de celle qu’on adopte soi-même.
L’intitulé de cet article pouvant prêter à confusion, je précise d’emblée qu’il s’agit ici de donner, d’une part, une idée de ce qu’est, dans sa diversité mais l’unité, le principe de la reconnaissance, par l’être humain, d’un principe supérieur de qui dépend sa destinée; d’autre part que l’ensemble des questions que l’être humain peut se poser sur lui-même et examen des réponses qu’il peut y apporter.
Faut-il douter du croyant dont toute l’espérance tire sa source dans la vérité révélée? Qui sommes-nous, pour juger? Quel est le positionnement du libre penseur par rapport à la philosophie, la philanthropie, le progrès? Dans quelle mesure ces modes de croyance et de pensée qui demeurent légitimes, peuvent conduire l’homme vers la citoyenneté fervente?
Cette dimension performative de la quête de sens est intéressante et montre qu’on peut cheminer sur des idées différentes; mais que cela ne devrait pas nous léser, au contraire nous enrichir, nous élever, afin que se produise l’esprit qui doit remonter dans la cité. Ainsi, Victor Hugo, parlant de la forme, disait: «La forme, c’est le fond qui remonte à la surface».
Si on demandait à tous nos anciens marxistes-léninistes de faire table rase du passé, ils allaient retrouver l’agir qui peut servir de modèle pour notre pays qui en a tant besoin. Ce serait une aventure collective inédite et passionnante. C’est un travail qui allait montrer qu’on pouvait être pré-marxiste et s’affranchir des méthodes du parti unique. Il y a une trentaine d’années, les Congolais exprimaient leur anxiété devant les deux périls qui menaçaient le Congo: l’oubli de leurs racines et leur écrasement sous leur propre bêtise humaine.
Entre l’infidélité au passé et les transformations induites par la politique et l’argent facile du pétrole, les Congolais n’ont plus trouvé l’équilibre. Croient-ils encore en Dieu? Quand on voit le chemin parcouru par les Américains et les Européens, les libres penseurs congolais en particulier et africains en général, quant à eux, ont besoin d’être convaincus de la clarté, de la rationalité et de la générosité de leurs objectifs. Chrétiens comme libres penseurs se reconnaissent dans ces édifices reliant la Terre au Ciel, permettant au Ciel de descendre sur la Terre.
Il y a un message de Victor Hugo que nous avons entendu: «Tout édifice est une pensée». Puissent tous les Congolais se souvenir qu’ils sont frères et sœurs. Qu’ils cessent de s’entredéchirer pour des affaires de pouvoir, de tribus, de corruption. On peut ou ne pas être croyant, athée, libre penseur, mais on ne peut pas supprimer l’identité congolaise. Foi ou Engagement et République: Nul ne peut nier que les institutions religieuses ont, aujourd’hui, une importance sociale. Il ne faut pas l’occulter dans notre pays de culture chrétienne. Mais d’un côté, on assiste à l’effondrement des valeurs. Sans doute parce que le Congo n’est pas entré dans les temps de l’indépendance au moyen d’une culture républicaine, à l’instar d’un pays comme le Sénégal, au moyen d’une démocratie.
Malgré la période révolutionnaire (1963-1991), les organisations religieuses et les institutions philosophiques ont su créer le lien fervent. Aussi, il faut apprécier et valoriser ce qu’il y a de meilleur dans ces organisations et ces institutions: la quête du bonheur. Oui, il faut l’affirmer fortement. Ce qui menace notre société, ce n’est ni la religion, encore moins ceux qui pensent hors système, mais bien les idéologies politiques inadaptées. C’est pourquoi il y a une nécessité, pour les Congolais, d’imaginer cette espèce de lien fervent pour bâtir de nouveau. La République doit avoir le culte de la Nation. A travers ce culte, elle a le culte de l’homme, de la société.
Joseph BADILA