L’indignation suscitée par le drame du Stade Michel-d’Ornano de Brazzaville est grande chez les Congolais, d’autant plus que la responsabilité de l’Etat est totale. Cela se comprend au regard du cinglant paradoxe de la nature de cette tragédie: des jeunes qui vont chercher un emploi pour gagner leur vie et qui trouvent la mort. En tant que citoyen, on a la gorge nouée, à entendre les paroles des femmes qui pleurent leurs enfants. Que peut-on leur dire, pour les consoler, les rassurer que dans notre République, elles ne seront jamais abandonnées à leur triste sort ?
«Il nous faut analyser froidement les circonstances de cette effroyable tragédie, afin de situer, pour l’histoire, toutes les responsabilités et, pour l’avenir, tirer les enseignements et les leçons utiles», a dit le Chef de l’Etat dans son message sur l’état de la Nation, après avoir fait observer une minute de silence en mémoire de «ces jeunes citoyens, arrachés à l’affection de la Nation». Le poids des mots: si nous les aimions, alors les enseignements et les leçons utiles seront tirés.
En effet, cette tragédie ne peut qu’interroger sur la gestion des affaires publiques. Au-delà des faits au cœur de la polémique sur le nombre de victimes, les causes et les circonstances du drame, la responsabilité des officiers militaires impliqués, l’attitude de ceux qui nous gouvernent, etc, il y a qu’avec la démocratie, le recul des valeurs éthiques dans la gestion des affaires publiques a atteint un niveau qui affaiblit l’autorité de l’Etat. On est comme dans une jungle où les plus forts dictent leur loi. C’est un long combat pour sortir d’une telle jungle. Dans cette histoire de recrutement, «les chefs eux-mêmes avaient leurs cas et chacun veillait à ce que ses cas passent».
Lorsqu’en décembre 2022, au réveillon d’armes des Fac (Forces armées congolaises), le Chef suprême des armées promettait de recruter un millier et demi de jeunes, pour qu’ils servent sous le drapeau, il ne s’imaginait pas qu’il serait trahi à ce point ou par le destin ou par les cadres en charge de la mission de recrutement. Il pensait que c’est une action juste légitime et programmée pour soulager une partie de la jeunesse de son pays, confrontée au chômage massif.
Il y a eu des signaux qui ne trompent pas sur le recul de l’éthique dans la gestion des affaires publiques. La gendarmerie, puis la police ont tour-à-tour organisé des concours de recrutement. Des mois après, les résultats sont toujours attendus. Le gouvernement s’en est expliqué devant le sénat, mais il faut sortir de la planète Mars pour boire de cette eau. Un Etat, qui organise des concours de recrutement dans la force publique, dont les résultats ne sont pas publiés dans des délais raisonnables; un Etat qui organise un recrutement militaire qui engloutit 32 vies, sans compter les blessés! Au finish, que faut-il penser de cet Etat? Que peut attendre la jeunesse de notre Etat? Que devient le principe de redevabilité dans la gestion de l’Etat?
Il faut réécouter le message du Chef suprême des armées, au réveillon d’armes du 31 décembre 2022, pour mesurer l’étendue de nos responsabilités et tirer les enseignements et les leçons, afin que la Nation soit préservée, à l’avenir, de notre trop grande propension à mettre l’Etat au service de nos intérêts particuliers. Cela nous aidera à comprendre fondamentalement que l’Etat, c’est pour servir la Nation.
L’HORIZON AFRICAIN